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La Rive-Sud, nouvelle capitale de la poutine?

EnquĂȘte multigĂ©nĂ©rationnelle dans les profondeurs du 450.

Par
Jean Bourbeau
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Je suis convaincu que la meilleure poutine au QuĂ©bec n’existe pas. Qu’une seule adresse puisse dominer unanimement relĂšve du mythe. À mon humble avis, la plus grande qualitĂ© de ce plat rĂ©side dans sa diversité : chaque poutine est unique et inimitable, offrant Ă  chaque premiĂšre bouchĂ©e une nouvelle surprise. Et c’est cette quĂȘte d’impossible qui la rend aussi attrayante.

« Peut-ĂȘtre que derriĂšre ce modeste casse-croĂ»te de bord de route se cache celle qui va tout changer? », se dit-on, plein d’espoir, perdu quelque part en Beauce ou sur la 117 .

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Ces derniers temps, il semble toutefois indĂ©niable que les grands noms de la scĂšne de la poutine convergent de plus en plus vers la Rive-Sud de MontrĂ©al. Chez Monique, La RĂ©crĂ©, Alfa, Diabo’s, Chez GrĂ©goire. La liste est longue et Ă©volue constamment.

À tel point que l’on peut se demander si cette rĂ©gion n’est pas soudainement en train de devenir la capitale quĂ©bĂ©coise de la poutine. DiscrĂšte, mais influente, elle sĂ©duit autant les nĂ©ophytes que les vieux routiers, transformant l’archipel de banlieue en un vĂ©ritable point chaud pour les bonnes fourchettes.

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Quand mon collĂšgue est venu me prĂ©senter le nouveau stagiaire de 18 ans, qui se trouve Ă  aussi ĂȘtre le fils du patron, il m’a immĂ©diatement demandĂ© de l’emmener avec moi sur le terrain. MĂȘme si je n’avais rien de prĂ©vu ce jour-lĂ , j’ai saisi l’occasion de proposer une virĂ©e dans le 450 pour vĂ©rifier la vĂ©racitĂ© des rumeurs, et bien sĂ»r, pour faire connaissance tout en se remplissant la panse.

Et cette journĂ©e pluvieuse Ă©tait une occasion idĂ©ale d’emprisonner avec moi un vĂ©ritable Zoomer, nĂ© aprĂšs le 11 septembre, pour l’étudier et tenter de mieux comprendre cette gĂ©nĂ©ration de vapoteurs aux pantalons amples qui maĂźtrisent le franglais.

Embarque dans l’char, ti-bum.

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Chez Lina

Notre odyssĂ©e de l’autre cĂŽtĂ© du pont commence Ă  La Prairie, Chez Monique, un ancien casse-croĂ»te fraĂźchement rĂ©novĂ©.

Mais en se stationnant, son voisin, un petit restaurant blanc et bleu attire notre attention : L’arrĂȘt des sportifs. Une affiche dĂ©lavĂ©e promet dĂ©jeuners, smoked meat et sous-marins. Nous dĂ©cidons d’improviser et d’ajouter cet endroit Ă  notre itinĂ©raire.

Entre les tables rĂ©tro et le comptoir d’un bleu comme il ne s’en fait plus, nous rencontrons Lina, la propriĂ©taire qui gĂšre seule cet Ă©tablissement depuis maintenant 28 ans.

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« J’aime ce que je fais et j’espĂšre que ça paraĂźt. Je cuisine avec passion et le plaisir d’accueillir », nous confie-t-elle. Cinq jours par semaine, elle prĂ©pare un menu du jour diffĂ©rent. « Aujourd’hui, c’est crĂšme de poireau », annonce-t-elle Ă  un habituĂ© qui la connaĂźt par son prĂ©nom.

Et la poutine dans tout ça? DĂ©licieuse. J’ai rĂ©ussi Ă  me brĂ»ler le palais et c’était parfait.

Elle nous l’offre avec un sourire aussi indĂ©lĂ©bile que le nĂŽtre.

Chez Monique

SoufflĂ©s par tant de bontĂ©, nous nous dirigeons vers le plan initial Ă  l’atmosphĂšre sympathique, mais un brin plus commerciale. Le commis pense d’abord que j’accompagne mon fils dans sa tournĂ©e de CV estival, mais non, nous sommes lĂ  pour partager une petite Ă  deux. Le service est rapide, honnĂȘte. Si le plat est bien exĂ©cutĂ©, cette gravy nous laisse perplexes. Vraiment perplexes.

D’emblĂ©e, Ă©vitons les notations Ă  la mode telles que 7.8, 4.2, 9.3 ; cette obsession hiĂ©rarchique m’exaspĂšre et je privilĂ©gie une apprĂ©ciation globale et imprĂ©cise. Ce qui importe, c’est l’expĂ©rience globale et Chez Monique, bah
 c’est l’fun.

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Nous discutons de tout et de rien. D’amours, de voyages, d’ambitions. De ce qu’il aimerait faire dans la vie. L’abstraction d’une jeunesse oĂč tout semble possible. Nous Ă©voquons Ă©galement comment nos profs au cĂ©gep en cinĂ©ma ont influencĂ© notre perception du septiĂšme art.

Prochain arrĂȘt deep dans les terres longueuilloises pour visiter La RĂ©crĂ©, un casse-croĂ»te mĂ©connu du grand public qui attire de plus en plus de fidĂšles, rĂ©putĂ© pour sa quantitĂ© de fromage hors norme.

L’excitation sera toutefois noyĂ©e dans une sauce de dĂ©ception par une enseigne indiquant qu’ils sont fermĂ©s de 14h Ă  16h, Ă  l’europĂ©enne. Pas le choix de laisser Ă©chapper un gros sacre sale.

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Alfa Hot-Dog

Toujours dans la charmante ville de Longueuil, le GPS nous guide vers Alfa Hot-Dog, une institution renommĂ©e depuis les annĂ©es 70. Les murs sont ornĂ©s de photos de grands joueurs du CH et des sacs de pommes de terre rouges sont Ă©parpillĂ©s parmi les clients affamĂ©s. Ici, les commandes sont Ă©noncĂ©es au micro, Ă  l’ancienne.

« Une rĂ©guliĂšre pour ici », et la brigade s’exĂ©cute sans dĂ©lai. En un clin d’Ɠil, une beautĂ© au poids spectaculaire Ă©choue sur notre cabaret.

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On y trouve une nappe de sauce BBQ orangĂ©e, Ă©voquant celle de mon coin de pays, oĂč l’on se targue fiĂšrement d’ĂȘtre les inventeurs de notre plat national. Cette sauce un peu sucrĂ©e me ramĂšne Ă  mon enfance ; parfois, mon pĂšre m’emmenait luncher autour d’une poutine au CafĂ© Saint-Pierre, Ă  cĂŽtĂ© de mon Ă©cole primaire. Peu de mots s’échangeaient, mais c’était un moment simple et prĂ©cieux.

Peut-ĂȘtre est-ce mon inconscient qui m’a conduit ici pour partager ce moment culinaire avec le stagiaire, comme mon pĂšre le faisait avec moi, ne sachant pas trop comment s’occuper d’un jeune.

– On poursuit « La tournĂ©e des grands-ducs » ?

– Ça veut dire quoi, ça?

– C’est pas grave, j’vais t’expliquer.

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Diabo’s

Diabo’s est un peu le wildcard de notre itinĂ©raire. SituĂ© sur le territoire Mohawk de Kahnawake, c’est une cantine de livraison cĂ©lĂšbre pour sa poutine qui m’avait dĂ©jĂ  laissĂ© une forte impression. En plus de trancher son fromage en grains, une caractĂ©ristique plutĂŽt rare, l’endroit est annexĂ© Ă  une sorte de magasin gĂ©nĂ©ral qui vend des produits exotiques comme du ZYN, des Four Loko et des cigarettes en vrac dans des sacs ziploc.

« Two forks, please. »

Cependant, lors de notre visite et pour une raison que j’ignore, la sauce tombe complĂštement Ă  plat. Peut-ĂȘtre nos papilles sont-elles saturĂ©es par la montagne de sodium que nous avons ingurgitĂ©e jusqu’ici, ne discernant plus aucune nuance de goĂ»t? Dommage, mais cela fait partie d’la game, n’est-ce pas?

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Repus Ă  craquer, j’essaie de contenir mon ventre en expansion, prenant conscience que mĂȘme si le jeune stagiaire est bien intentionnĂ©, sa faible constitution et son appĂ©tit d’oiseau ne me sont d’aucun secours pour finir les plats.

CoincĂ©s dans le trafic, nous en profitons pour continuer Ă  discuter de ce qui nous unit et nous divise, que ce soit les tatouages, les vieilles cigarettes, les femmes ou l’école, lui Ă©voquant les erreurs que j’ai commises et les petits succĂšs que j’aurais aimĂ© vivre plus tĂŽt.

Des pistes sans prĂ©tention, lancĂ©es entre deux klaxons, pour tenter d’accompagner les vertiges qu’impose le passage Ă  l’ñge adulte.

Aussi, rĂ©aliser que les dĂ©fis qui l’habitent animaient la personne que j’étais, il y a seulement quelques saisons.

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Chez Grégoire

Dernier pit stop et non le moindre, Chez GrĂ©goire Ă  Mercier, une Belle Pro de qualitĂ© supĂ©rieure oĂč le jeton de notre commande vibre lorsqu’elle est prĂȘte.

Toujours sur place, François, le propriĂ©taire, est souvent citĂ© comme Ă©tant celui ayant la meilleure poutine au QuĂ©bec. Un titre enviĂ©, mais rien pour lui pĂ©ter les bretelles : « Les goĂ»ts, ça ne se discute pas. Je n’ai pas cette prĂ©tention. Ce qui m’importe, c’est que tout le monde soit bien accueilli, que vous mangiez bien et que ce soit propre. C’est ça, mon travail », dĂ©clare-t-il avec le charisme d’une lĂ©gende vivante.

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Sa poutine est effectivement délicieuse, mais on arrive à peine à y plonger nos fourchettes en plastique tellement cette cinquiÚme semble de trop.

« N’y a-t-il pas plus grande calamitĂ© que de rĂ©chauffer une poutine au micro-ondes? », me dis-je, alors que François nous apporte en extra un pain-poutine, une spĂ©cialitĂ© de la place oĂč notre fiertĂ© culinaire repose dans un pain Ă  hot-dog steamĂ©.

« Mon pĂšre a ouvert ici il y a bientĂŽt 80 ans. J’ai trois fils en cuisine. Je suis content que ce soit une tradition, ça me rend ben, ben fier », dit-il en nous serrant la main trĂšs, trĂšs fort.

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Sa gĂ©nĂ©rositĂ© rappelle que l’art de la table, aussi populaire et abondant est-il en cette journĂ©e grise, incarne avant tout cette idĂ©e de passation, de convergence et de famille.

Je ne prĂ©tends pas Ă  un Pulitzer avec cet article, mais par cette tournĂ©e, les petites traditions perdurent et s’épanouissent, passant ici du pĂšre au fils du patron, occupant Ă  la fois le rĂŽle du grand frĂšre que je n’ai jamais Ă©tĂ© et celui que je n’ai jamais eu, tentant de combler les espaces que mon pĂšre n’aurait pas occupĂ©s.

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À la fin de ce marathon de poutine, une Ă©vidence se dĂ©gage : comme ces mets, lieu de rencontre d’un millennial en dĂ©clin et d’un jeune Z prometteur, nous sommes tous diffĂ©rents, mais pas tant que ça, si ce n’est peut-ĂȘtre que je consulte moins mon cell que lui.

Conclusion semi-poche : chaque poutine testĂ©e mĂ©rite d’ĂȘtre savourĂ©e, certaines peut-ĂȘtre plus que d’autres – comme l’indĂ©trĂŽnable Alfa -, mais qui suis-je pour influencer votre appĂ©tit?

Mais surtout, rendez visite à Lina, elle saura illuminer votre année.

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