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La révolte des sans cool-hot

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J’ai l’impression qu’en tant que nation, nous sommes un peu à l’image d’une femme des années 30. Elle veut bien être en charge de la maisonnée.

Elle s’y sent en contrôle et la gère au mieux de ses compétences, mais le vrai maître, un homme cultivé et éduqué, est ailleurs à décider de la destinée du clan pendant qu’elle récure ce plancher aux abords du bol de toilette. Elle ne sait rien de ce dont seuls les hommes savent : ce plancher est ultra-souillé. (Cette entrée en matière est créée de toute pièce pour demander aux gens qui ont un mâle qui urine debout en leur foyer de ne plus déposer de journaux ni de papier de toilette de rechange sur le sol, à côté du bol. À défaut d’un microscope, une simple étude du principe de l’éclaboussure pourrait vous convaincre assez facilement de laisser tomber cette habitude dégueulasse).

Donc, pendant qu’elle récolte les retailles d’ongles d’orteils, madame ne se rend pas réellement compte que le patronyme qu’elle a délaissé au profit de celui de monsieur représentait le plus important vestige de sa souveraineté personnelle. Mais, au moins, pense-t-elle, elle a son toit qui la protège, elle appartient à une famille, elle a une sortie mondaine par année pour exposer sa beauté et une table pour exprimer ses talents créateurs. Mais avant tout, se convainc-t-elle, elle est bien traitée et la claque qu’elle reçoit ici et là est bien plus enviable que la volée que reçoit la grosse Ginetti d’en face à tous les jeudis.

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Eh ! Ho ! Du calme ! N’allez pas croire que je vais me lancer dans une diatribe sur l’importance de la souveraineté individuelle ou collective. Ce n’est plus au goût du jour et je suis à la fine pointe de la dernière tendance. Ceux qui m’ont vu déambuler sur St-Viateur avec ma moustache de sarcasme et mon skinny jeans moulant de mépris peuvent en faire foi.

Ce que je ferai, par contre, c’est de proposer une résolution nationale qui pourrait raffermir notre distinction principale.

Le point de départ de ma réflexion est celui-ci. Voici une courte discussion entre Thierry et Mamadou, deux membres de la francophonie internationale :

– T’as vu le ciel ce soir Mamadou ? C’est quand même assez impressionnant, toutes ces constellations.
– Fabuleux, tout simplement fabuleux. Ça vaut la peine de sortir de la ville une fois de temps en temps pour pouvoir apprécier le ciel du Nord.
– À qui le dis-tu ! Tu sais, je suis enchanté de pouvoir partager ce moment avec toi.

… Et la discussion de continuer en toute bonhommie entre le Sénégalais et le Français jusqu’à l’inévitable climax homo-érotique nécessaire à un récit moderne qui se respecte. Et tout cela dans un langage standard empreint d’une jolie teinte culturelle, ambassadrice de l’exotisme propre à chacun, mais tout de même respectueux de la complexité et de la précision de la langue colonisatrice #3: le français.

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Voici la même discussion entre Steeve Bouchard et Louis Doyon, deux Québécois de St-Troglodyte-de-la-Vénérienne :

– Heille Steeve, Check le ciel ! Criss c’est hot. C’est cool, toutes les constellations. »
– Trop hot, juste trop nice ! C’est le fun de sortir de Montréal une fois de temps en temps pour pouvoir checker le ciel du Nord.
– Mets-en ! C’est trop hot qu’on seille icitte, men.

… Et la discussion de continuer en toute bonhommie, mais sans jamais atteindre le climax du couple précédent, car les deux protagonistes n’auront jamais assez de vocabulaire pour vraiment exprimer la profonde attirance qui les a menés dans cette forêt des Laurentides.

Mes amis, ma famille et mon nain domestique sont à coup sûr sur le point de s’arracher les cheveux en criant halte à la redondance. Oui, c’est vrai, c’est une de mes nombreuses obsessions. Jusqu’à maintenant, l’anglicisme inutile me faisait dresser le système pileux. Je déteste le fameux week-end accessoire, utilisé dans le même phrase que meeting et shopping par les yuppies.

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J’abhorre le weird futile et simplet, indigne remplaçant de la panoplie de bizarre, curieux, louche, sinistre, étrange et autre nébuleux qui font bien mieux le travail pour qualifier l’extravagance, le fantasque ou l’étonnant. Chhhhtpuuuuuuu ou Xxxxuuiiiitttpppppppuuu ! (J’ai regardé 14 Batman et Robin et je ne suis pas tombé sur une seule onomatopée de crachat).

Je croyais auparavant qu’un anglicisme devait seulement être utilisé dans un contexte très précis : attaché à un rail de métro, la Winchester d’un membre du Beaver Club pointée sur vous et la pointe du canif suisse de Justin Trudeau appuyée sur votre jugulaire pendant qu’il vous murmure à l’oreille : « Dis Anyway, allez dis whatever, sinon j’te tue! » C’était le seul cas pardonnable. Pour le reste, il fallait s’abstenir.

Je suis maintenant las de cette bataille et je me dis qu’au moins, les anglicismes susmentionnés ont une certaine valeur puisqu’ils ont une signification précise. Weird, c’est bizarre, Weak-end, c’est la faiblesse-d’une-extrémité, meeting, c’est une réunion et shopping, c’est laid à souhait, mais c’est du magasinage câlisse !

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Par contre, COOL, HOT, FUN et le récent et imbuvable NICE (prononcé NAÏSSE) sont… les qualificatifs me manquent pour décrire la pestilence de ces termes ! Puapab des entendre… Naïsse osti ! Écoutez la sonorité nasillarde : nnnâââââïïïïsssssseeeeee. (Image d’une machette enclavée dans un tibia à l’appui).

BON, DU CALME!

On continue. Ce qui me décourage de la discussion de Steeve et de Louis, c’est qu’elle est le fruit de deux êtres probablement éduqués (pas certain pour Steeve, mais Louis est sûrement à la maîtrise). Il ne lui viendrait jamais à l’idée d’utiliser autre chose que l’adjectif générique hot pour exprimer son engouement pour un ciel étoilé. Si un énergumène comme moi lui soulignait qu’il pourrait peut-être faire un effort, ce jeune homme se retournerait en prenant un air faussement snobinard et me dirait dans une imitation du français international : «Oh s’cusez-moi, j’voulais dire que le ciel est admiraaaable.» Tout cela en appuyant longuement sur la dernière syllabe pour démontrer tout son dégoût pour l’élitisme des utilisateurs de «grands mots». Il me dirait ensuite que hot, c’est beaucoup moins long, donc plus approprié. Je me sentirais alors dans l’obligation de lui arracher sa prothèse (il a perdu un bras dans un accident de ski-doo en 1997) et de le réduire en pulpe en lui expliquant sereinement que s’il veut vraiment communiquer le plus simplement possible, il peut désévoluer et grogner son chemin dans la vie, une massue à la main, la chevelure d’une belle dans l’autre et déménager sur la Rive-Nord avec Big Kev, Eul Gros et leur pot de Créatine respectif.

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– Grrrrpphmmmm, Rrrrrrrrrrrr, Uhhhhhhhmmmmmpppfffff, arghhhhhhhhh !
– Quoi ?
– Grrrrrpphmmmm, Rrrrrrrrrrr !
– Hein, pardon !
– OK d’abord, je te disais que ce film était cool.
– J’comprends pas plus.
– J’voulais te dire que j’avais grandement apprécié le jeu des acteurs et le scénario bien construit de ce film.
– Sti d’fif, lâche moi avec tes grands mots.

Tout ce déblatérage pour vous dire que si on porte une attention aux discussions qui nous entourent, il devient rapidement évident que dans ce beau pays, la langue, mais surtout les adjectifs sont plus malmenés qu’un imam à Hérouxville. Ce qui me heurte vraiment, c’est que je dois me battre sans cesse contre ma propre propension à qualifier l’enragé de fru, le sublime de hot et le nauséabond de A. Lepage. Je me retrouve devant la jeunesse, devant mon enfant (trop cuuuuute) qui débute son aventure linguistique et j’ai envie qu’il maîtrise cet outil, sa langue maternelle, à un niveau plus élevé qu’un chitsu danois. À chaque fois qu’il entend ma mollesse culturelle, il l’enregistre pour mieux la réutiliser dans une future dissertation sur l’univers céleste ou dans un prochain débat acharné sur ses propres performances à la tête de l’ONU.

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J’en viens donc à cette résolution :
Essayons en 2012, en tant que peuple, en tant qu’individus, de remplacer les cochonneries génériques qui polluent notre langue. À chaque fois que l’envie de vomir le terme nice vous viendra, fermez les lèvres et ravaler ce venin infect. Réfléchissez quelques secondes et choisissez un terme plus approprié. J’en ai fait l’essai, les occasions sont multiples et parfois les bons mots ne viennent pas de soi. On est vite envahi d’un malaise en se rendant compte du nombre de cool qui ponctue notre principal moyen de communication. Le nice des uns et les hot des autres heurteront vos oreilles nouvellement sensibles, mais d’ici peu, les adjectifs reviendront de leur purgatoire et reprendront leur juste place comme dans la jolie expression suivante : un agréable week-end.

Gabriel «Caniche-brossé» Deschambault