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La résurrection de Saint-Sauveur

Des citoyens et commerçants craignent le retour massif des Montréalais.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Ça fait drôle de voir un semblant de congestion, à tout le moins un ralentissement à certains endroits sur la 15, signe indéniable du déconfinement graduel en cours sur la couronne nord de Montréal. Le temps est magnifique et je roule vers Saint-Sauveur, pour voir comment se débrouille l’orgueil des Laurentides, deux jours après l’ouverture des commerces et la levée des points de contrôle routiers.

Premier constat: beaucoup de policiers sont postés en bordure de l’autoroute, le radar au poing. Je croise aussi sur ma route plusieurs pancartes géantes de Patrick Lagacé en mode radio, qui fait son désormais célèbre finger gun.

Patrick Lagacé 2020 = Marie-Chantal Toupin 1998

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Avant de prendre la sortie 60, je me fais sauvagement dépasser par un gros pick-up qui arbore fièrement un drapeau sudiste. Assurément le chef du club redneck local de la municipalité d’Arundel, en route vers son lynchage public quotidien à l’arbre du village.

Je gare ma Matrix dans le stationnement du Super C, près des outlets et du Manoir Saint-Sauveur. D’emblée, ça surprend de voir autant de voitures réunies à un seul endroit. T’sais quand il y a plus de voitures aux Galeries des Monts qu’au centre-ville de Montréal…

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Les longues files devant le supermarché et la SAQ jouent au moins des airs connus, comme des sortes de comfort food pandémique.

Mais ce qui est nouveau – outre le paysage de mont de ski toujours enneigé en arrière-plan – c’est cette sorte de frayeur anti-Montréal perçue dans mes entretiens avec les gens de la place.

«Les propriétaires de chalets vont revenir. Je les crains! », admet sans détour Roxanne.

Une peur exacerbée par la levée des points de contrôle qui empêchait jusqu’alors les visiteurs du 514 de venir prendre une puff de Laurentides. « Les propriétaires de chalets vont revenir. Je les crains! », admet sans détour Roxanne, une citoyenne de Saint-Sauveur.

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Un peu plus loin dans le stationnement, Daniel partage l’appréhension de Roxanne. « On n’a pas eu de cas vraiment ici et à Montréal c’est terrible! », note le septuagénaire, qui porte son masque depuis le début. « Les gens me regardent parfois un peu de travers, mais ça devrait être obligatoire partout », constate ce Belge d’origine, qui a « foutu le camp » de l’Espagne où il se trouvait en voyage au début de la crise.

Les commerces aussi ont rouvert.

Ça fait quand même du bien à l’âme de voir des nettoyeurs, des optométristes, des boutiques de vêtements et autres accueillir les clients. Une impression de normalité assez porteuse d’espoir merci. Les files aux portes et les bouteilles de Purell obligatoires à l’entrée rappellent néanmoins que tout ça n’était pas un mauvais rêve et qu’on est pas sorti du bois.

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À la boutique de sports Denis Parent, le propriétaire ouvre ses portes pour deux semaines, mais seulement pour récupérer l’équipement qu’il loue chaque année avant la saison de ski. « J’ai environ 300 locations. J’appelle chaque client pour lui donner une plage horaire et éviter que trop de gens viennent en même temps », raconte Daniel Richard de Val-Morin, qui ne se scandalise pas du retour des villégiateurs et des touristes. « À partir du moment où tu respectes les règles que tu fais preuve de gros bon sens, on n’a pas le choix d’apprendre à vivre avec ça hein? », philosophe le sympathique patron.

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Rue de la Gare, plusieurs restaurants et bistros sont entrés dans une espèce de guerre du take-out. Une voiture passe et fait exploser Beat It de Michael Jackson à un volume défiant toute logique. Les couronnes de Noël sont toujours accrochées aux lampadaires du mail voisin, où plusieurs voitures sont garées devant le Sports Experts fraîchement ouvert. « C’est la première fois que je sors depuis le confinement et je vais encore plus rester chez moi avec le retour des visiteurs », prévient Claude, croisée en sortant de la boutique de sport.

Je profite de la réouverture du magasin La boîte à surprises de Nicolas pour aller magasiner des cossins pour la fête de ma fille la semaine prochaine.

La boîte à surprises de Nicolas 1 – Achats en ligne 0

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Derrière le mur de plexiglass qu’elle vient de faire installer, la propriétaire Johanne Chartrand recense déjà quelques clients de Montréal depuis lundi. Elle témoigne aussi de la crainte ambiante, même si le retour des Montréalais signifie pour elle une reprise économique significative. « Les gens d’ici sont respectueux et compréhensifs, ceux de Montréal et Laval font moins attention et respectent moins la distanciation », constate la commerçante, en scannant mes articles à thématique de licorne.

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Sur la rue Saint-Denis, il y a une bonne file devant la succursale Rona, près de la rue Principale où les passants et joggeurs profitent en grand nombre du beau temps.

Assise sur un banc, Camille Breton-Skagen sirote un café flanquée d’une poussette. « Personnellement, je m’en fous de la folie de la COVID-19. Je suis en congé de maternité, donc je suis déjà pas mal confinée », illustre la jeune maman de Val-David.

Devant l’église un peu plus loin, plusieurs personnes prennent un bain de soleil sur la pelouse.

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« Go away! », peste une dame en menaçant de me lâcher son gros chien épeurant quand j’approche pour lui parler.

De loin la meilleure stratégie pour maintenir la distanciation sociale, même si je respectais déjà scrupuleusement les règles.

Gros chien épeurant 1 – Docteur Arruda 0

« Go away! », peste une dame en menaçant de me lâcher son gros chien épeurant quand j’approche pour lui parler.

Heureusement, le groupe un peu plus loin est nettement accueillant et me réconcilie momentanément avec la notion de civisme. « Ça fait du bien de profiter du soleil et sortir un peu », admet Marc de Saint-Jérôme, venu pique-niquer avec sa mère Linda et son frère Jordan qui vivent ensemble à Saint-Eustache. « J’aime mes enfants également! », assure la maman (sans doute pour s’en convaincre), même si elle et Jordan se tiennent à deux mètres du pauvre Marc.

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Le maire s’adapte

Joint chez lui dans son confinement, le maire de Saint-Sauveur ne cache pas ses inquiétudes envers le retour des villégiateurs et des touristes. De nombreux citoyens aussi l’ont contacté pour lui faire part de leurs angoisses. « On a un très bas taux de gens atteints de la COVID-19 ici et on veut garder ça comme ça! », tranche Jacques Gariépy, qui s’attend à ce que les visiteurs appliquent rigoureusement les mesures de distanciation dans sa municipalité.

En attendant, il a embauché des agents de sécurité et songe à élargir les trottoirs pour aider à faire respecter les règles.

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Dans un rapport détaillé que m’a récemment fourni la directrice d’une ville voisine, on rapporte que la MRC des Pays-D’en-Haut dénombrait récemment entre 30 et 39 cas sur l’ensemble de son territoire, répartis en 10 municipalités. Saint-Sauveur recensait de son côté entre 1 et 9 cas seulement.

Le maire Gariépy s’adapte sinon à sa façon à la situation, en diffusant chaque semaine une vidéo sur Facebook, où il donne les dernières nouvelles à ses citoyens. « Je vais aussi chaque matin en voiture faire le tour des cinq supermarchés et commerces pour m’assurer que les mesures de distanciation sont respectées » ajoute le magistrat, en poste depuis sept ans.

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En reprenant l’autoroute pour rentrer à Montréal, je constate que les stationnements des Faubourgs Boisbriand, du Carrefour du Nord et d’un Club Piscine semblent aussi commencer à se remplir.

Pendant le trajet du retour, je ne peux m’empêcher de ressentir une pointe de tristesse. Après un pas de recul planétaire de quelques mois, le déconfinement se traduira vraisemblablement par un retour de la consommation effrénée… et de la congestion sur la 15.

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