Tous ceux et celles qui ont vécu les années 90 ne s’en sont jamais vraiment remis. Vous avez probablement tous un cousin qui vous rabat constamment les oreilles à propos du fait que c’était donc mieux dans le temps, que c’était une époque artistiquement libérée, qu’on pouvait rire ou s’offusquer de tout parce que tout le monde s’en crissait.
Ils n’ont pas totalement tort (dit le critique de 41 ans).
C’était une époque étrange et bénie où tout ce qui était considéré comme marginal et underground dans les années 80 s’est inexplicablement retrouvé au cœur de la culture populaire. Le heavy metal, la culture goth, les films indépendants, c’était une époque où c’était cool d’être mystérieux et tourmenté, et d’avoir une hygiène questionnable. Le film d’Alex Proyas The Crow, paru en 1994, n’aurait jamais pu devenir un phénomène culturel en d’autres circonstances.
L’idée même de tourner un film où un corbeau ramène un amant éploré d’entre les morts pour venger son propre meurtre ainsi que celui de sa bien-aimée vous ferait sortir d’une salle de réunion d’un grand studio cul-par-dessus-tête.
C’est mélodramatique, irréaliste et beaucoup trop dark pour une audience grand marché. Sauf que cette idée existe déjà et son audience aussi : la génération X et les vieux milléniaux.
C’était quand même une mauvaise idée de faire revivre The Crow à une époque qui ne s’y prête absolument pas pour une audience qui ne s’y attendait pas! Vous, les djeunes qui avez toutes les raisons du monde de non seulement vous en foutre, mais de vous révolter contre un super héros hyperviolent et dépressif! Étant très fan de mauvaises idées, je suis allé voir cette nouvelle mouture signée Rupert Sanders et, je dois l’admettre, j’ai revécu quelques émotions juvéniles que je croyais mortes et enterrées pour toujours.
Mononc’ Ben va aller prendre son Geritol pis vous expliquer tout ça.
Au diable le réalisme et la cohérence, ressentez-vous quelque chose?
Pour faire une histoire courte, The Crow raconte l’histoire d’Eric (le très talentueux Bill Skarsgård) et Shelly (une FKA Twigs scintillante), deux jeunes amoureux marginaux qui se font lâchement assassiner par les sbires du puissant Vincent Roeg (Danny Huston) pour avoir eu en leur possession une vidéo incriminante avec sa vieille face de méchant plissé dessus.
Décédé dans des circonstances particulièrement horrifiantes, Eric est ramené d’entre les morts par ledit corbeau pour venger des torts qu’il n’aurait pas dû subir.
Je vous le dis tout de suite : The Crow n’est pas un remake du film des années 90 du même nom, mais plutôt une réinvention complète du personnage au grand écran. Eric n’est plus une rock star, mais un simple jeune homme tourmenté. C’est plutôt Shelly qui est musicienne. Bill Skarsgård ne se transforme jamais en monstre confiant et charismatique comme Brandon Lee, mais plutôt en justicier stoïque qui ne cherche jamais à se défiler de sa damnation éternelle.
La différence principale se trouve du côté de l’antagonisme. Voyez-vous, le mal est très conceptuel dans l’univers du Corbeau. Alors que Brandon Lee combattait le crime au sens large incarné dans le personnage de Top Dollar (joué par l’immortel acteur canadien Michael Wincott), Skarsgård, lui, combat plutôt l’homme blanc privilégié (ayant conclu un pacte avec le diable, rien de moins) interprété par Danny Huston. Oui, c’est très gen Z tout ça… mais j’ai trouvé que ça fonctionnait quand même?
Oui, The Crow est un film mélodramatique, irréaliste et parfois même un peu confus, mais l ’original l’est aussi et c’est ce qui fait tout le charme des deux projets.
C’est un film qui devrait être jugé d’abord et avant tout sur sa sensibilité et ses qualités visuelles. Ressentez-vous l’amour qui unit Eric et Shelly? Oui? Cette connexion avec les protagonistes informera votre visionnement des scènes d’action et vous en ressentirez les enjeux sans même vous les faire expliquer.
C’est aussi un film qui se prend très au sérieux, mais qui est réalisé de manière intuitive et émotionnelle. Le scénario est criblé de trous, mais c’est pas très important. Il faut y déverser nos propres bobos et notre propre mélancolie pour que ça fonctionne vraiment. Ça se vit plus que ça se regarde.
Faire un film ultraviolent en 2024
J’étais disposé à aimer The Crow. J’éprouve un amour éternel pour l’original et j’ai un petit côté emo qui semble résister au temps qui passe et à la maturité que j’acquiers. Je suis aussi un bon public en général.
Certaines personnes vont froncer les sourcils (ou même s’évanouir) devant la violence ahurissante. Pour vous donner un exemple, il y a moins de morts que dans les films de John Wick, mais les décès sont plus brutaux et mémorables. Partiellement parce qu’Eric fait la majeure partie de son carnage avec une épée, mais la puissance des armes à feu n’est pas en reste. La violence n’y est pas qu’esthétique. Elle est lourde et viscérale.
Rupert Sanders a une manière bien à lui de filmer la mort. Les corps ne tombent pas hors du cadre et dans l’oubli dès qu’ils sont traversés de balles ou lacérés par une lame. On les voit sans vie et horriblement mutilés. Oui, Eric est sans l’ombre d’un doute un bourreau sexy et mystérieux (ça fait très Joker-de-Heath-Ledger), mais les conséquences de ses actions sont exposées de façon si brutale et directe que ça ne donne pas nécessairement envie de se faire justicier.
La violence inouïe de The Crow passe le test parce qu’elle est confrontante et souvent désagréable à regarder. Malgré le tsunami de scènes retouchées par ordinateur, la violence est trop réelle pour être sexy.
Les critiques ne sont pas tendres avec cette nouvelle itération de The Crow et je n’en suis pas surpris. Si l’original d’Alex Proyas était sorti en 2024, il aurait aussi eu droit à une réception caustique. Le monde a changé, l’avènement du cinéma numérique a transformé les attentes envers les films d’action et il s’agit d’un film qui ne tient pas la route si on le juge avec les mêmes critères que les autres. Parce qu’il n’est pas fait pour être regardé objectivement. C’est le genre de film à propos duquel tout le monde aura une opinion bien personnelle.