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La rédemption de Stéphane Gendron

Faire la paix, loin des micros.

Par
Hugo Meunier
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Des terres agricoles s’étendent des deux côtés de la montée de Cazaville en Montérégie, à une dizaine de kilomètres du poste frontalier de Trout River (état de New York) et de la réserve mohawk d’Akwesasne.

Encore quelques minutes avant d’arriver chez Stéphane Gendron à Sainte-Agnès-de-Dundee, selon mon GPS.

Après plusieurs années à l’ombre des projecteurs, l’ancien maire de Huntingdon et animateur fait parler de lui pour sa participation au sein du collectif Liberté d’oppression, en campagne contre la désinformation, l’intimidation et les propos haineux/diffamatoires/discriminatoires dans certains médias de la province.

Répondant à un appel de la députée de Québec Solidaire Catherine Dorion, l’ancien animateur de L’avocat et le diable à la Mustang ostentatoire a saisi l’invitation pour faire son mea culpa de ses années de trash radio/télé.

Une façon d’aller de l’avant après deux thérapies, pour celui qui parlait d’imposer un couvre-feu plus de quinze ans avant François Legault.

Je niaise pas, je pense même que Stéphane Gendron ne tient pas trop à me voir débarquer chez lui (la seule affaire que les médias n’ont pas encore fait d’ailleurs).

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En roulant vers chez Stéphane Gendron, je me demande s’il reste quelque chose à dire sur le sujet. Le principal intéressé calcule avoir accordé dix-quinze entrevues jusqu’ici. Il en parlait même longuement au micro de Pénélope McQuade un peu plus tôt, après le péage sur la 40. « Toute ma vie j’ai carburé à l’agressivité. (…) J’ai été élevé dans la haine, la violence et l’agressivité: je n’ai connu que ça », confiait-il sur les ondes radio-canadiennes.

Une entrevue franchement captivante, sauf pour la question nounoune Facebook de l’auditeur à la fin, qui réclame à Gendron des actions terrain pour obtenir réparation pour ses années trash.

Oui monsieur, des travaux communautaires (une job de peinture quelqu’un?), deux mois de travaux forcés dans un CHSLD, des conférences dans les bibliothèques, 100 coups de fouet?

Bref, Pénélope avait pas mal fait le tour, sans compter cet article assez complet publié dans Le Soleil en fin de semaine, sous la plume de Marc Allard.

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Je niaise pas, je pense même que Stéphane Gendron ne tient pas trop à me voir débarquer chez lui (la seule affaire que les médias n’ont pas encore fait d’ailleurs).

La preuve, il m’écrit ceci la veille de mon départ: « Je ne peux pas te recevoir à l’intérieur, le doc ne veut pas que je sorte ou soit en contact avec l’extérieur. On n’est pas vacciné et je suis très à risque. Quand tu arrives, fais attention, le Canton a mal refait notre pont. Il est dégueulasse et commence à s’affaisser ».

Chouette.

Le pont supporte heureusement le poids de ma rutilante Matrix 2006.

Une fois à la barrière au bout, Stéphane Gendron me lâche un ouac, avant de se précipiter vers chez lui pour revenir m’ouvrir avec son masque deux minutes plus tard.

Il me propose aussitôt un café sur la véranda de sa grosse maison verte rustique.

J’en profite pour flâner un peu autour. J’aperçois sa vieille Mustang noire, entre une Toyota bleue et un pick up. Un peu plus loin, il y a une piscine creusée à l’orée du bois. Je reconnais la grange remplie de foin dans laquelle il a tourné sa vidéo pour le collectif, partagée plus de 3000 fois. « Ce n’est pas une blessure que je traîne. Ce n’est pas une tache à mon dossier. J’assume. Mais c’est une cicatrice », lançait-il entre autres.

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Il tiendra la veille des propos tout aussi percutants dans une lettre d’opinion publiée dans Le Devoir, notamment au sujet du prix de la liberté reçue à l’époque avec ses micros. « Ce prix est celui d’une vie qu’on aura détruite au passage. »

Là, je tiens pour acquis que vous connaissez un peu le bonhomme, sinon je vous invite à aller consulter la section « controverses » de sa page Wikipédia pour comprendre à quel point il revient de loin.

Il revient justement avec une cafetière italienne (beau lien Hugo, t’es le meilleur).

«Je suis un peu épuisé émotivement. Ma blonde me disait justement hier: faut que t’arrêtes», rapporte-t-il, au sujet des entrevues qu’il enfile depuis sa sortie publique avec le collectif.

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J’en profite pour scruter mon hôte de la tête aux pieds. Cheveux poivre et sel, chandail rouge Roots, jeans troués, barbe pas rasé, cernes: Stéphane Gendron a un peu l’air à boutte. « Je suis un peu épuisé émotivement. Ma blonde me disait justement hier: faut que t’arrêtes », rapporte-t-il, au sujet des entrevues qu’il enfile depuis sa sortie publique avec le collectif.

À part sa blonde (restée loin de mes gouttelettes à l’intérieur de la maison), je suis le premier humain que Stéphane Gendron reçoit chez lui depuis un journaliste de La Presse il y a plus d’un an (allo Vinvin !). « J’ai perdu 50 livres depuis mai/juin dernier à cause du diabète. Je suis à 164 livres là, je fais de l’insomnie et je me lève chaque nuit à 2h30 », raconte l’ex-animateur, désormais agriculteur et documentariste.

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Suivant la recommandation de son médecin, son état de santé ne lui permet pas de se faire vacciner pour le moment, même s’il a 53 ans.

En attendant, il jure ne pas courir après un micro et refuse de devenir un modèle. « Je reçois des courriels d’affection, mais je ne veux pas retourner dans ma vie d’avant où tu carbures à ça. Je dois maintenant arrêter de parler de ma personne », résume Gendron, très zen avec ses choix de vie.

Côté documentaire, il s’intéresse à la ruralité, notamment celui sur la détresse des agriculteurs diffusé l’an dernier. Il rédige actuellement un livre sur l’occupation du territoire, en plus de présider un comité agricole mandaté par le Parti libéral du Québec. « Je veux finir ma vie en prenant la parole seulement quand le sujet est dans mes cordes », résume Gendron, qui ne cache pas avoir longtemps parlé à travers son chapeau. « Donner mon opinion sur tout, c’est fini. C’est un sport extrême de sauter des coches aux cinq minutes », admet l’ancien animateur, qui se « primait » jadis en faisant sa revue de presse, avant d’aller déverser son fiel en ondes. Chaque jour, comme une machine à saucisses de haine. « C’était une opinion instantanée, je ne faisais pas avancer la pensée. Tu te laisses emporter, ça défoule, ça soulage de prendre ta frustration et de la garrocher dans un micro », illustre avec franchise Stéphane Gendron, qui raconte avoir vécu une épiphanie durant le tournage de son documentaire sur les agriculteurs en détresse. « Le but, c’est de partir avec le sentiment de faire quelque chose », résume celui qui s’efforce depuis des années à mettre des plasters sur ses bobos.

«Oui j’ai été intimidé, battu, violenté, mais à un moment donné, il faut s’en sortir. Il faut dire: j’ai été et essayer de faire la paix avant de mourir.»

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Stéphane Gendron n’a pas eu une enfance facile, mais refuse de se servir de ce prétexte pour excuser ses comportements passés. « Oui j’ai été intimidé, battu, violenté, mais à un moment donné, il faut s’en sortir. Il faut dire: j’ai été et essayer de faire la paix avant de mourir », philosophe le documentariste.

Ce nouvel apôtre de la décroissance consacre sinon ses énergies à sa quête de l’autosuffisance. « Je ne veux plus consommer, me raser, aller à l’épicerie », explique Gendron, qui cultive déjà son jardin depuis quelques années. Il fait notamment pousser du luffa qu’il vend en ligne, des gourdes, en plus d’un petit élevage de boucs et d’un projet de culture de coton prévu cette année.

«Ça prendrait un mouvement rural, sinon les campagnes vont devenir le terrain de jeu des riches, la colonie-comptoir des villes. Il va y avoir une guerre sinon, alors lâchez-moi avec les romances de L’amour est dans le pré»

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Il milite également pour une ruralité plus ouverte, plus inclusive où les travailleurs agricoles étrangers pourraient avoir droit d’amener leurs familles et obtenir leur citoyenneté. « Pas un régime seigneurial 2.0 », raille Gendron, qui s’inquiète du clivage grandissant entre le milieu rural et les villes au Québec. « Ça prendrait un mouvement rural, sinon les campagnes vont devenir le terrain de jeu des riches, la colonie-comptoir des villes. Il va y avoir une guerre sinon, alors lâchez-moi avec les romances de L’amour est dans le pré », s’énerve l’ancien maire, qui n’a rien perdu de son franc-parler.

L’heure file, une autre entrevue est prévue dans quinze minutes, avec une radio de Chicoutimi.

Je l’immortalise en vitesse devant un muret de pierres. À l’autre extrémité, un bâtiment en tôle menace de s’écrouler.

Malgré l’amour qu’il reçoit en quantité industrielle ces temps-ci, Stéphane Gendron promet de garder les pieds sur terre. Sur sa terre surtout. « Je suis très seul comme gars, en plus d’être un peu dépendant affectif. Mais là, je veux l’être juste avec ma blonde. »

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Même si je jugerais quiconque me pose cette question niaiseuse, je lui demande avant de partir s’il est heureux. « J’ai encore des affaires à régler, mais je devrais y arriver avant de mourir », tranche-t-il, au lieu de me casser la gueule.

Mais d’abord, il doit prendre un peu de poids pour se faire vacciner.

Et continuer à faire la paix, loin des micros.