Logo

La rage au guidon

Par
Aurélie Lanctôt
Publicité

Trève de commentaires sur l’actualité, je confesse mes péchés: Ti-Cass Lanctôt a la rage au guidon.

Oui oui, ça existe. J’ai des épisodes ponctuels d’hystérie, à vélo. Je vous en parle pour qu’on se confesse ensemble, et qu’on travaille sur notre nous intérieur. Parce que sinon, ça va finir en véritable chaos, les routes.
Je sais, je fais dans la quotidienneté crasse. Mais vient un moment où les humeurs doivent être épanchées.
Faire du vélo à Montréal me fait lentement perdre foi en l’humanité. Lorsque j’empoigne mes poignées roses fluo, je me mets soudainement à haïr tout le monde, et ils me le rendent bien.
De jeune fille enthousiaste, je me suis transformée en harpie frustrée qui crache du venin. Avec mon vélo jaune et mon casque-champignon.
Les rues montréalaises sont un territoire hostile pour le cycliste, qui n’y a que des ennemis. Si piétons et automobilistes se partagent les artères métropolitaines avec une tolérance désintéressée, ils font légion lorsqu’il s’agit d’haïr ces dangereux effrontés que sont les cyclistes.
Publicité
Nous sommes les têtes de Turcs de la route. En même temps, je peux comprendre.
Lorsque les gens parlent des cyclistes, une pointe de mépris teinte leur voix. C’est vrai! Ce matin encore, René Homier-Roy discutait avec sa collègue de la météo de l’idée d’immatriculer les vélos pour forcer les cyclistes à respecter davantage le code de la route.
Pas une mauvaise idée. Mais c’était de les entendre soupirer en parlant de ces « délinquants à vélo ».
C’est vrai que nous sommes des tit-criss à calottes, sur nos bécykes. Non mais, pour vrai. Je prends le blâme.
Toujours est-il que les cyclistes ont ceci à leur avantage qu’ils peuvent se draper de moralité et de conscience citoyenne : « Ouais mais nous, nous, on est écolo. »
Depuis que j’ai appris à rendre aux automobilistes leur mépris, c’est mon nouveau mantra.
Fair enough
Reste pour le cycliste, le choc avec l’Autre est plus frontal. Nous ne jouissons pas de l’habitacle de notre véhicule, qui s’interpose entre nous et l’extérieur. Nous sommes littéralement immergés en territoire hostile, un couteau entre les dents.
bullyer
Publicité
Alors je respecte le code de la route (sauf une fois mardi coin Berri-Sherbrooke et j’ai eu un ticket, sti). Je signale mes intentions, j’emprunte les pistes cyclables si possible et je ne roule pas trop vite.
Non mais tsé monsieur, pensez à ma sécurité …
J’avais encore une belle naïveté d’enfant, au début de la saison cyclable. Je chevauchais ma monture, débonnaire. Parfois, il me prenait même l’envie folle d’agiter la main au passage lorsqu’un automobiliste me saluait d’un klaxon et d’une injure. Je me disais qu’il fallait égayer la vie de ces pauvres gens qui s’évertuent encore derrière leur volant. Qu’il fallait être zen, patient et courtois.
Vous souvenez-vous, il y a quelques années, il y avait une annonce à la télé qui encourageait les gens à être plus courtois au volant. « On laisse passer et on sourit! ». Mais visiblement, la courtoisie s’échange de volant à volant seulement.
non c’est pas vrai, moi je laisse passer les cyclistes
Alors à force d’essuyer des manières cavalières, j’ai cultivé une rage viscérale. Au début, je la contrôlais. Je me disais: c’est pas beau, s’énerver contre les gens.
hayi
Publicité
Maintenant, je suis un peu Rambo, quand je roule à vélo. Et je juge les gens quelque chose de pas possible.
Comme ce type, l’autre jour, qui m’a ouvert sa porte passager en pleine face, à une lumière verte, coin Saint-Denis Rachel. Oui, je vous juge beaucoup, vous. Vous êtes même un peu con, comme je vous l’avais alors fait remarquer.
Ou alors ce gros débilos qui faisait vrombir exprès son moteur de VUS cher en montant la rue Saint-Laurent, les fenêtres baissées. On peut faire rugir le moteur de sa Porsche en se pavanant sur les Champs-Élysées, la nuit. Faire du « vroum-vroum » sur le boulevard Saint-Laurent dans un gros camion Mercedes laitte à 3 heures de l’après-midi, c’est un loisir de parvenu. Je vous juge, vous aussi.
Puis il y a toute ces fois où je m’arrête pour chicaner les automobilistes qui klaxonnent sans raisons valables. Ça m’agresse, les klaxons, quelque chose de pas possible. Alors je chicane les gens qui en font usage à outrance. Même lorsque ça ne me concerne pas. « TU TE CALMES MONSIEUR. OUI TOI MONSIEUR, TU TE CALMES! » que je crie, un doigt de maîtresse d’école brandi…
Enfin.
Publicité
J’en aurais long de rancune à ressasser, mais le Dehors m’appelle. Je vais essayer de prendre des grandes respirations et de faire des sourires, sur la route.
Mais juste si vous me promettez de faire pareil.
***