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La psychologie des jeans meurtriers
Entretien cinémato-philosophique avec Borys Fridman, propriétaire de Jeans Jeans Jeans.

URBANIA et Filmoption, les distributeurs du film SLAXX, s’associent pour vous aider à survivre à votre prochaine séance de magasinage!
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Personne n’a de réflexions profondes à propos de ses jeans. Peut-être que Karl Lagerfeld trippait vraiment sur le denim de son vivant, ou que Laure Waridel a des opinions bien arrêtées sur Levi’s, mais ce sont des exceptions. Le commun des mortels les achète, se trouve beau dedans, les porte beaucoup trop longtemps et les sacre aux vidanges après avoir fendu la fourche d’un modèle qui ne leur fait plus.
Leur cycle de vie est souvent le même.
Dans le film de la réalisatrice montréalaise Elza Kephart, SLAXX, vos jeans vous tuent. Les Super Shapers, un nouveau modèle révolutionnaire qui moule votre silhouette à la perfection, exécute quiconque ose les porter. L’image est forte. Les employés d’une chaîne de magasins qui en vante les valeurs éthiques sont prisonniers d’une succursale comptant pas moins de 175 pantalons meurtriers à la veille d’un lancement mondial. La formule est connue, mais l’angle, unique et intelligent.
« J’ai trouvé que le message était très clair », affirme Borys Fridman, le sympathique propriétaire de la célèbre boutique du Mile-End Jeans Jeans Jeans.
On ne peut pas dire que mes jeans occupent une grande place dans mes pensées. C’est pourquoi j’ai eu envie de faire appel à cet expert pour m’aider à comprendre les ramifications militantes de SLAXX. Depuis 47 ans, M. Fridman s’occupe du bas de votre corps avec une passion et un enthousiasme qui rendent sa boutique, véritable institution du denim, intemporelle. En tant que vieux millénarial, j’ai beaucoup de théories sur l’industrie de la mode et sur le capitalisme en général, et je voulais savoir si elles tenaient la route.
Admettons que les jeans psychopathes existent pour vrai, là… Est-ce qu’un scénario comme celui de SLAXX pourrait se produire? Les valeurs éthiques ont la cote de nos jours. Est-ce possible de tout simplement mentir comme ça sur la provenance de sa marchandise?
Mentir? Pas vraiment. En même temps, à part en se rendant à l’usine pour vérifier l’intégrité des fournisseurs, je ne vois pas comment vérifier la provenance de marchandises. Guess, Levi’s : ces compagnies-là ont les moyens de le faire. Pour nous, c’est plus compliqué, mais on peut vérifier certaines choses. On aime beaucoup promouvoir ce qui est fabriqué au Canada, par exemple. La provenance est importante. Si les jeans proviennent de Chine, il y a de fortes chances qu’ils soient de moins bonne qualité parce que les ateliers y fonctionnent au volume. Et on peut s’interroger sur les conditions de travail.
Est-ce que c’est un peu une fantaisie alors, la consommation éthique? Est-ce qu’on achète une idée plus qu’autre chose?
Là, tu te trompes. C’est quelque chose qui est en train de changer dans le monde de la mode et dans d’autres secteurs. Avant, les entreprises fabriquaient et les gens achetaient. Maintenant, les gens demandent et les entreprises fabriquent. C’est pas plus de travail et c’est tout aussi payant. La compagnie Save The Duck a été une grande précurseure dans ce domaine. Elle a prouvé que c’était possible de faire des vêtements chauds sans duvet animal.
Donc, le pouvoir est du côté du consommateur?
Il l’a toujours été. Ils en sont juste plus conscients aujourd’hui. C’est comme les jeunes du Mile-End, là. Les jeunes cool. Comment on les appelle, déjà?
Les hipsters?
Ouais, les hipsters! Ils ont révolutionné le domaine de la musique il y a quelques années, mais ils ont aussi révolutionné la mode. Ce sont les premiers à venir en boutique pour s’informer de la provenance de la marchandise. On a révolutionné beaucoup de choses dans les années 60 et 70, mais la conscience écologique, c’est devenu populaire avec eux.
SLAXX écorche le fast fashion, la mode éphémère, mais il passe aussi à tabac le concept de la culture d’entreprise. Les employés montrant un visage jeune et dynamique à la clientèle communiquent entre eux uniquement en récitant des formules d’usage afin de manifester leur dégoût à leurs collègues sans nuire à leur carrière. On n’y voit qu’une cliente (qui doit acheter une tenue de saison pour pouvoir travailler dans le magasin), mais elle y est très mal servie. Qu’avez-vous pensé du service à la clientèle dans le film?
Très Gap. Très H&M [rires]. Pousse. Pousse. Pousse. On pousse le client, mais on pousse les employés aussi. S’ils n’atteignent pas leurs objectifs de vente de la journée, ça brasse. C’est très vieille école. Ça use le monde.
Le secret d’un bon service à la clientèle, c’est quoi, pour vous?
C’est simple. Il faut avoir du plaisir dans ce qu’on fait. On a créé une expérience le fun en magasin, et on ne fait pas perdre de temps au client. Si nos employés sont bien, nos clients vont l’être aussi.
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En concluant la conversation, M. Fridman m’explique que selon lui, le service à la clientèle, c’est un outil de survie pour un petit commerce entouré de géants. Que c’est LA raison pour laquelle ses clients y retournent, et qu’il est de plus en plus répandu de penser ainsi. Les gens veulent vivre une expérience, une belle, et ça se reflète sur leurs habitudes de consommation.
Bien sûr, les Super Shapers meurtriers de SLAXX sont une métaphore. Ils reflètent la violence psychologique et viscérale d’une consommation sans âme. Le film est aussi la manifestation d’un désir de changement. Un désir bien réel et, toujours selon M. Fridman, en voie de se réaliser. La bataille n’est peut-être pas perdue, finalement.
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SLAXX (gagnant du prix du public à Fantasia) raconte l’histoire d’une paire de jeans diabolique qui s’attaque aux pratiques sans scrupules d’une entreprise de vêtements à la mode. Allez faire saigner le capitalisme dans un cinéma près de chez vous!
