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La précarité « normale »

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Hier, Le Devoir publiait une lettre inspirée dénonçant une fois de plus les réformes de l’assurance-emploi et de l’aide sociale. Les auteurs y mettaient de l’avant le concept de « sous-citoyenneté »; ce phénomène qui témoigne essentiellement d’une résignation collective par rapport à la pauvreté.

Le sous-citoyen, précisément, est celui dont la société a intériorisé comme étant « normales » et « inévitables » les conditions de vie dérisoires.
Puis, on rappelait timidement le droit de tout citoyen à espérer pour lui-même un emploi convenable, en dépit du fort chômage et de la précarité antécédente à l’emploi. En gros : qu’être pauvre, c’est pas une raison pour accepter de le rester perpétuellement.
Bien vrai. Mais bougre qu’elle a la couenne dure, cette conviction aveugle que la répartition hasardeuse et systématique d’une poignée de « McJobs » parmi les travailleurs potentiels les plus désœuvrés constitue une mesure « économiquement saine ».
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C’est une lubie ridicule et dégradante, mais voyez : c’est qu’il faut un certain courage pour oser réguler la main-d’œuvre, afin de stopper le nivellement vers le bas continuel des conditions des travailleurs peu qualifiés. C’est pas facile, ça. T’sais…
Mais surtout, cette régulation nécessiterait qu’on regarde la précarité en face, une bonne fois pour toutes. Qu’on atteste collectivement que la pauvreté, ce n’est pas qu’une histoire de chiffres et qu’elle ne se résoudra pas avec des vastes cures comptables.
C’est d’ailleurs ce qui est fascinant, avec les réformes qu’on nous propose de l’assurance-emploi et de l’aide sociale. Leur capacité phénoménale à faire abstraction totale du facteur humain, alors qu’elles visent à rendre plus efficaces des mesures conçues originellement pour des fins… strictement humaines!
J’ai l’impression que la pauvreté est devenue une de ces déplorables anomalies qu’on ne sait pas trop comment appréhender autrement qu’en terme d’état de faits perpétuel, de statistiques soi-disant inextricables…
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Curieux, aussi, de constater que dans l’imaginaire collectif, le concept de précarité a largement été récupéré à des fins coercitives.
Plus souvent qu’autrement, la précarité nous est présentée comme la sanction raisonnable de toutes les mésadaptations. Jamais arbitraire, elle frappera toujours celui ou celle qui faillit aux critères de la « vie respectable ». Comme un loup traquant les relâchements de combativité.
À ce propos, toujours dans la même lettre, rejetant la culpabilisation systématique des chômeurs fréquents et des prestataires de l’aide sociale, on écrivait : « Voilà l’arme des dominants, de ceux qui privilégient le profit au détriment de la cohésion sociale : ils créent l’image d’agresseurs pour justifier ensuite qu’on retire des droits. »
Une phrase judicieuse qui nous remet en pleine gueule que nous vivons dans une société qui normalise la dépossession, la domination sociale et la marginalisation. Une société où, en dépit du filet social, il faut endosser sans broncher la pleine responsabilité de se maintenir à vau-l’eau, parce que c’est bien la moindre des choses.
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Ce sont là des épouvantails d’une redoutable et cruelle efficacité, pour justifier l’exclusion des individus dont on ne sait trop que faire de la vulnérabilité.
Paradoxalement, nos gouvernements se targent bien d’en prendre soin, de « nos pauvres ». Mais la vérité, c’est que la mixité sociale est un leurre qu’on agite jovialement, pendant qu’on resserre inexorablement le cadre normatif du « bon citoyen ». Une forme de stakhanovisme revisité, au service d’une « économie saine » et d’une bonne « cohésion sociale ».
Et celui qui n’arrive pas à tirer son épingle du jeu le mérite probablement.
C’est d’une violence inouïe et d’une hypocrisie sans vergogne. La précarité ne devrait pas être « chose normale » ni « due » à qui que ce soit, et notre obstination à y voir quelque chose d’inextricable est franchement désespérante.
C’est tout. Petit billet pour un grand découragement.
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