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Ces dernières années, la poutine est passée au Canada anglais du stade de « mets étranger » à celui de « repas national ». Elle y est maintenant source de fierté culinaire, comme le prouvent les memes à cet effet, elle se retrouve sur le menu de Tim Hortons, emblème canadienne du fast-food, et elle fera l’objet d’un tout premier festival à Toronto, du 24 au 27 mai. Comment expliquer ce changement subit à l’ouest de Rigaud? Est-ce que la poutine est un mets canadien ou québécois? Est-ce qu’il faut considérer ce nouvel engouement comme une forme d’appropriation culturelle? Question de ne pas réfléchir à toutes ces profondes questions l’estomac vide, Kéven Breton s’est rendu à Vancouver pour partager trois poutines avec des restaurateurs passionnés de frites, de gravy et de crottes de fromage. Deuxième arrêt : La Belle Patate!
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La Belle Patate
À mon arrivée, Pascal est attablé avec ses deux partenaires d’affaires, présumément en train de discuter du prix de la pomme de terre.
Le propriétaire de l’établissement est notamment en compagnie de Mathieu, l’un des pionniers responsables de l’invasion de la poutine sur la côte ouest. En 2008, il a ouvert La Belle Patate originale, sur l’île de Victoria. Moins d’un an plus tard, Pascal se joignait à l’aventure pour ouvrir une deuxième enseigne sur la rue Davie, à Vancouver.
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Les affaires marchent bien, donc? « Oui, on sert pas moins de 200 poutines par jour, de répondre fièrement Pascal. En tout, on a 45 sortes différentes sur le menu. »
Deux-cents poutines, ça fait beaucoup de poutines, même pour un restaurant qui serait situé à Montréal. Qui sont donc tous ces clients qui fréquentent l’établissement aux couleurs du Québec et des Canadiens de Montréal?
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« Il y a nos habitués. On profite d’une bonne réputation, puisqu’on était dans les premiers à vendre de la poutine ici. Les gens reviennent nous voir. C’est aussi un snack populaire en fin de soirée. »
Mais La Belle Patate n’est pas tant un arrêt de ravitaillement pour la sortie des bars : « On est loin des bars un peu. Cette clientèle-là, qui veut manger après une soirée alcoolisée, est plutôt reprise par Mean Poutine. Pis je veux pas bad-mouth mes compétiteurs, mais… »
Mais quoi?
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« Ben leurs frites sont congelées. »
Bon, la table est mise, entrons dans le vif du sujet.
Le secret d’une bonne poutine
« Je suis originaire du Québec. J’ai grandi en amateur de poutine et j’essaye de reproduire le goût montréalais. Dans le style du Montréal Pool Room un peu. »
La description arrive à point, en même temps que le serveur nous amène dans un casseau de carton notre généreuse portion de frites, de sauce et de fromage.
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La poutine, brûlante, présente un nid de patates bien moelleuses, un choix qu’assume parfaitement les chefs proprios : « C’est ce qu’on vise, des patates légèrement croustillantes à l’extérieur, mais très tendres à l’intérieur, qui fondent presque en bouche. Il y en a qui préfèrent les frites croustillantes, pis c’est correct, c’est pas le public qu’on cible en premier. Nos frites sont moins des coquilles vides, plus des coquilles pleines, mettons-le comme ça »
Les deux propriétaires s’entendent aussi sur l’importance du grain : il doit être le plus frais possible. Ceux-ci réussissent à importer du fromage en grain frais de Winnipeg ou de l’Okanagan. Pourquoi pas directement du Québec? « Ce serait inutilement plus long, et il y a bien des endroits qui refusent d’exporter leurs produits… »
Mais l’important, aux yeux de Pascal, ce n’est pas tant la provenance que la fraîcheur du fromage : « Si tu veux t’assurer de la qualité du fromage, c’est simple : tu as juste à observer si le fromage fond… S’il fond rapidement, c’est que les crottes ne sont pas fraîches ou qu’elles ont été surgelés. Nous, notre fromage reste intact dans la sauce. »
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« Si on compare, disons à La Belle Province, leur fromage fond… c’est du fromage plus cheap, pour faire plus d’argent, ou du fromage congelé. Les petites roulottes à patate, elles, utilisent du vrai fromage. Ça se goûte et ça se voit. »
Et sur le menu, avec 45 sortes différentes, est-ce qu’on se permet n’importe quelle liberté? « Tant que tu gardes le fromage, la sauce, et la frite comme éléments de base, oui. Mais j’ai déjà vu des restaurants mettre du poisson sur la poutine et pour moi c’est inconcevable. »
La poutine à Vancouver
Une simple promenade sur la rue Davie permet de constater que le mot « poutine » apparaît sur presque chaque vitrine de restaurant, peu importe leur spécialité.
« La mode est lancée depuis les Olympiques de 2010, avancent les copropriétaires de La Belle Patate. Le monde au complet avait les yeux rivés vers le Canada, et là on s’est demandé “’qu’est-ce qu’on peut montrer comme repas typiquement de chez nous?”’ On a présenté la poutine à la planète entière. Et puis là, boom. »
La hausse de popularité se fait autant ressentir à l’international qu’au niveau local. « Ça commençait déjà à être populaire, mais après ça, on a vu des grosses chaînes comme Wendy’s embarquer dans la game, New York Fries aussi. On a vu les Smoke’s Poutine ouvrir, etc. »
Pis est-ce que c’est nécessairement une mauvaise chose? Est-ce que ces gros joueurs give poutine a bad name?
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« Ben, c’est difficile d’offrir à la fois la quantité et la qualité. Et c’est ce que les grandes chaînes essayent de faire. C’est difficile de se faire une place dans le milieu de la restauration à Vancouver quand tu n’as pas trouvé ta niche. »
Pascal nous indique qu’au centre-ville seulement, on dénombre 600 restaurants — dont plusieurs qui ouvrent et ferment la même année. Et c’est en partie dû à ces engouements éphémères : « C’est facile pour un propriétaire d’ouvrir un resto et juste suivre la masse, mais c’est pas une recette gagnante. C’est quoi la saveur du mois? Sushi? Ok, on ouvre une place à sushi. Maintenant, les donairs sont en demande? Ok, on devient un resto de donairs. Ramen? Et ainsi de suite. C’est pas un modèle d’affaires, ça. »
Québécois ou Canadien?
Est-ce que les deux Canadiens, qui ont passé quelques années de leur vie au Québec, considèrent leur gagne-pain comme un plat québécois ou canadien?
À la question, Mathieu répond d’emblée « Québécois dish. It’s Québécois, man ». Mais Pascal ne semble pas d’accord : « Non, c’est Canadien. Fine, on peut dire que c’est un repas québécois, ça a été inventé au Québec, mais guess what, si c’est québécois, c’est canadien par association. C’est french canadian. Les seuls qui vont argumenter sont les Québécois qui ne se disent pas Canadiens. C’est correct, ils peuvent ben dire qu’ils sont pas Canadiens. Mais dans les faits, la poutine est un plat qui a été inventé au Québec, qui fait partie du Canada. »
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Et comment Pascal choisit alors de présenter son commerce? Comme un restaurant québécois ou canadien? « On se présente comme un french-canadian restaurant qui offre une expérience culinaire authentique de Montréal ».
Si les deux ne s’entendent pas exactement sur l’étiquette à apposer sur leur confection culinaire, il faut admettre que celle-ci reproduit parfaitement le goût des casse-croûtes québécois, même si composée de fromage de Winnipeg et de patates du Yukon.
Troisième et dernière destination, la semaine prochaine : le Mean Poutine susmentionné!