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La position du missionnaire

Par
Boucar Diouf
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Texte tiré du numéro 12 spécial Ethnies – été 2006

Je ne me souviens plus combien de fois on m’a demandé si je parlais l’africain depuis que je vis au Québec. Aujourd’hui, je me contente de répondre : «Oui ! Et vous monsieur, est-ce que vous parlez le canadien? ».

Pour tous ceux qui l’ignorent, au Cameroun seulement, il y a plus de 330 dialectes, et les uns les autres ne se comprennent pas entre eux. En fait, il y a tellement de dialectes en Afrique, qu’en plus d’être notre téléphone, le tam-tam reste la seule alternative comme langue commune. La dernière fois que j’ai fait cette blague dans une école secondaire au Québec, un garçon m’a demandé comment on faisait pour commander une pizza avec un tambour. J’ai alors pris mon tam-tam et lui en ai fait la démonstration. À la fin de mon appel, j’ai tapé un son continu pendant une minute avant de lui dire : «Cette réponse indique que toutes les lignes sont présentement occupées et qu’il faut rappeler un peu plus tard. »

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En vérité, les questions qui me font le plus frissonner ne sont pas le fait des enfants, mais des adultes. Je pense à des questions comme : «Avez-vous l’électricité en Afrique ? Avez-vous la télévision ? Avez-vous des voitures ? Est-ce que c’est vrai que vous faisiez rôtir les missionnaires qui vous apportaient la parole de Dieu ? » À cette dernière question, je réponds toujours : « Si on faisait rôtir vos missionnaires, c’est parce qu’ils étaient des durs à cuire. En plus, ils n’arrêtaient pas de nous répéter : “Tenez, ceci est mon corps livré pour vous” ». Il m’arrive aussi de dire aux gens que, dans mon dialecte, un missionnaire est appelé pava. Et que, par conséquent, dans mon village, les rares fois où l’on entendait hurler sur cinq octaves, c’est quand on préparait du pava rôti.

Si les Occidentaux sont tant obsédés par le cannibalisme, c’est peut-être parce qu’ils sont nostalgiques d’un certain passé anthropophage qu’ils ne veulent pas reconnaître. Ils essaient alors de le chercher ailleurs, car comme disait mon grand-père : « L’épine dans la chair d’autrui est plus facile à enlever. » Ce passé anthropophage de l’Occident est encore très présent dans le langage populaire. En Occident, on est belle à croquer, on mange son prochain, le corps du Christ, des doigts de dame, des croque-monsieur », sans parler des oreilles de Christ et des grands-pères au sirop d’érable, si précieux aux Québécois.
La première fois qu’un ami québécois m’a annoncé qu’il revenait d’un service funéraire, je lui ai demandé s’il avait bien mangé. Et comme par hasard, on y avait servi un buffet froid. Ce jour-là, même si mon intention n’était pas de profaner, mon ami n’était pas très content. « Le caca n’a pas d’épine, mais quand on marche dessus, on clopine », disait mon grand-père. Ma question l’avait troublé comme toutes ces questions un peu stupides sur l’Afrique me font sentir un peu primitif. Je suggère qu’un jour, pour rétablir l’équilibre, les Africains refassent le film Tarzan avec un homme noir et des chimpanzés albinos.

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Texte tiré du numéro 12 spécial Ethnies – été 2006