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La police du lavage de mains

Les agents de distanciation physique en CHSLD assurent le respect des règles sanitaires.

Par
Jasmine Legendre
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«On est des gymnastes de la sécurité, on a élargi notre mandat au maximum», affirme avec aplomb Bruce Lapointe, le chef de service de la sécurité et des mesures d’urgence au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal. Ce sympathique verbomoteur en a vu d’autres, lui qui affronte sa cinquième pandémie, cette fois également comme superviseur d’agents de distanciation sociale.

Bruce Lapointe

Mais jamais il n’avait prévu en vivre une aussi intense. «Quand on a commencé à entendre parler de la COVID-19, on a ressorti les vieux dossiers du SRAS de 2003», dit-il en mimant souffler sur de la poussière. Depuis le 23 janvier, date à laquelle lui et son équipe travaillent à «gagner la guerre», ils s’affairent à ne plus jamais oublier.

«On a changé le terme “distanciation sociale“ pour “physique“ parce que ça ne coupe plus le lien personnel entre les gens», m’explique Bruce.

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Celui qui gérait 180 agents de sécurité en a maintenant 400 sous sa gouverne. À tous les défis, il répond «trouvons une solution. «On ne dit jamais non et je ne le sais pas», affirme-t-il. L’une d’entre elles a été d’ajouter une brigade de quatre aides de service qui agissent comme agents de distanciation physique en se promenant dans les différents établissements du CIUSSS. Un genre de police du 2 mètres, mais sans amende de 1000$ si on enfreint les règles. «On a changé le terme “distanciation sociale“ pour “physique“ parce que ça ne coupe plus le lien personnel entre les gens», m’explique Bruce.

Leur mission est de sensibiliser les différents employés à l’importance du lavage de mains ou à rappeler de ne pas partir à la maison avec son masque de procédures pour ne pas propager le virus. «Ça donne un visage humain à la prévention», fait valoir M. Lapointe.

Ils rappellent aussi les quelque 500 directives différentes du ministère de la Santé qui ont été émises depuis le début de la crise. «On est comme l’échangeur Turcot de l’information, sauf que nous il fonctionne», blague Bruce.

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Une retraite à la guerre

Lundi matin 7h30, Serge et Jeannot ainsi que le couple formé de Patricia et Patrick arrivent au Centre opérationnel de sécurité pour récupérer les rapports de la veille. «Vous n’êtes pas à deux mètres», nous lance rieur Serge qui ne sort jamais de son rôle de police de la distanciation.

S’il est difficile pour Bruce et moi de garder nos distances, imaginez comment ce l’est pour des employés de CHSLD qui doivent travailler en équipe en plus de donner des soins de proximité à des patients. « La patrouille n’est pas faite pour être répressive, assure le chef de la sécurité. Elle est là pour aborder les différents problèmes avec la direction et les employés, et travailler à trouver des solutions. »

«La patrouille n’est pas faite pour être répressive, assure le chef de la sécurité. Elle est là pour aborder les différents problèmes avec la direction et les employés, et travailler à trouver des solutions.»

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D’ailleurs, lors de mon passage comme aide de service où j’avais vu à l’oeuvre pour la première fois Patrick et Patricia, la règle la plus difficile à faire respecter était de ne pas sortir fumer en uniforme de travail. « Après une vidéoconférence entre différents gestionnaires de CHSLD, ils ont convenu d’ériger des zones où les employés pouvaient sortir sans se changer sans risquer de propager le virus », fait savoir Jeannot qui a déjà averti un employé sorti une heure dans ses habits de travail.

Le lundi, c’est la seule journée où les deux duos échangent à propos de différentes problématiques à travers les établissements. Le matin, les quatre anciens policiers du SPVM à la retraite vont chercher les rapports d’incidents colligés par l’équipe de sécurité qui regarde les établissements avec leurs caméras de surveillance. « Un employé qui ne se lave pas les mains en entrant pour son quart de nuit est facilement repérable, puisqu’il passe la porte avec sa carte d’accès à son nom », indique Bruce.

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Pour la plupart, ce manquement aux directives sanitaire est davantage un oubli qu’un affront. Mais mieux vaut intervenir pour ne pas que ce satané virus franchisse à nouveau les portes d’établissements pour aînés où il continue de faire des ravages.

«C’est rapide quand ça va bien»

J’embarque dans la van blanche avec Jeannot et Serge en direction du premier de leurs onze arrêts de la journée : l’Hôpital chinois. «Il y a des petites lingettes pour désinfecter ton banc et la poignée de porte», me lance Jeannot. Même à l’intérieur du véhicule, l’escouade anti-germes est à l’affût.

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Serge et Jeannot sont tous les deux à la retraite, le premier depuis plus d’un an et le deuxième a terminé son service au SPVM il y a cinq ans. C’est via leur groupe Facebook d’anciens policiers qu’ils ont vu passer l’annonce. «J’ai appliqué le matin et j’ai été engagé en après-midi», raconte Jeannot qui a eu l’appel d’aller aider dès le début, en mars.

Ils ont retrouvé l’ambiance d’une voiture de patrouille, sans les calls, et un partenaire quotidien, comme avant. «Ça ressemble un peu à notre ancien métier», soutient Serge. Sauf que Jeannot a néanmoins dû troquer son collègue cheval pour un humain.

«Ce n’est pas tous les bâtiments qui ont été conçus pour assurer une bonne distanciation physique.»

«Ce n’est pas tous les bâtiments qui ont été conçus pour assurer une bonne distanciation physique», expliquent les anciens policiers en se stationnant à l’entrée de l’Hôpital chinois qui n’a eu qu’un seul cas depuis le début de la crise. Ici, l’espace est vaste et permet un respect du deux mètres presque en tout temps. L’hôpital accepte même les visiteurs à certaines heures, désormais. Un semblant de retour à la normale. «La prévention est d’autant plus importante ici, où le virus n’a pas fait de ravages», lance Jeannot.

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Les deux aides de service prennent un masque de la boîte qu’ils traînent avec eux pour ne pas utiliser ceux des établissements. «Au début de la crise, on craignait une pénurie, alors on fait attention», explique Serge. Le masque ils le mettent sur leur visage entre les portes pour montrer l’exemple: on ne doit pas entrer ou sortir d’un lieu de soins avec notre propre couvre-visage.

Cinq minutes et ils sont de retour dans la van blanche. «C’est rapide quand ça va bien», précise Serge.

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Direction CHSLD Jean-De La Lande. Il y a quelques jours, ils ont eu une problématique avec les quarts de nuit. Certains employés ne se lavaient pas les mains en entrant ou en sortant. Serge et Jeannot se sont donc pointés à six heures du matin pour observer le changement de shift. «On voit qu’on a un impact. La personne attitrée au lavage de main à l’entrée fait partie de l’équipe du CHSLD, c’est plus difficile pour eux de réprimander ses collègues», explique Serge. Quand ils arrivent, le changement de comportements est presque immédiat.

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Et au premier coup d’oeil, ça semble fonctionner. «On a seulement eu à aller une ou deux fois en zone chaude parce les usagers de CHSLD ne respectaient pas les consignes. Habituellement, on reste à l’entrée et on parle avec les coordonnateurs pour améliorer la prévention», explique Serge. Comme à Jean-De La Lande où les deux agents rigolent avec un employé qui se tient dans la zone où il peut sortir en uniforme. Une infirmière se tient aussi au pied des marches. En quelques minutes, ils sont de retour dans leur véhicule.

«C’est beau de mon bord… encore beau», assure Serge à Jeannot alors qu’il traverse la piste cyclable Rachel en direction du COS. Ils s’en vont chercher d’autres rapports de plaintes pour poursuivre leur journée.

Depuis le début de la crise, on essaie de respecter les consignes de la Santé publique qui changent au gré des jours. Une chose qui s’est dite en début de semaine peut ne plus être vraie quelques jours plus tard. Et si on a les points de presse du gouvernement Legault pour nous marteler les consignes, les établissements de santé eux, ont Serge et Jeannot pour venir les sensibiliser, mais toujours avec un sourire au visage.

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