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La Place Magique

Par
Mad Amesti
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Il était une fois, dans une jolie contrée de l’Esss, un endroit magique où il faisait fort bon vivre lors des beaux jours ensoleillés. C’était un ancien parc qu’on avait transformé en place publique mais tous les tenants s’entêtaient à l’appeler «l’parc». J’ignore si cela était par conservatisme pur, conservatisme qui fait rage chez les gens qui n’ont jamais accepté qu’UQAM remplace de Montigny ou encore qui prononcent à pleine bouche des mots antédiluviens tel Dorchester. Ou bien était-ce par nostalgie d’une époque pas si lointaine où l’endroit n’était pas investi par les commerces les plus bourgeois. Car en effet, ce haut lieu était entouré de petits marchands qui avaient trimé dur pour réussir à avoir pignon sur parc, et on ne pouvait pas vraiment leur en vouloir; les affaires allaient bon train et leur contribution à améliorer le quartier était non-négligeable. Certes, il y eut bien quelques révoltés romantico-anarchistes pour tenter de les faire fuir à grands coups de spray-can jaune dans leurs vitrines. Il n’en fût rien. La majestueuse place continua de vivre et d’évoluer sous la bonne étoile de ceux et celles qui voulaient bien qu’elle existât.

À toute heure du jour, chacun venait y exhiber son petit véhicule motorisé. On pouvait en voir de tous les modèles, des triporteurs aux quadriporteurs, des modèles légers et d’autres plus robustes, quelque fois affublés de babioles d’une originalité à faire frémir la Dufresne, telles des ailes d’aigle, des led light, des radios qui crachent de la musique populaire, des mags chromés avec des motifs d’étoèles dedans, des carrosserie air-brushées avec de magnifiques dessins de loups hululant à la lune et, pour la plupart d’entre eux, des petits drapeaux oranges fluos ou encore, un drapeau du CH. Même qu’à l’occasion, on pouvait assister à des ateliers de réparations de flat de quadriporteurs en plein air, gratuit d’même, ben oui toé!

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À première vue, l’endroit avait l’air tout à fait inoffensif. Il semblait être tout au plus un lieu de prédilection pour fumer des clopes jusqu’à plus soif et observer la faune environnante en arborant son air le plus débonnaire. Dans le pire des cas, on s’adonnait au chialage de groupe, enchainant les complaining-lines une après l’autre et râlant sur tous sujets, on se morfondait dans un profond spleen prolétarien. On portait notre fardeau avec résignation, à la manière de vieux bagnards russes. Et cette lente et ronflante litanie de l’Esss s’envolait au-dessus de la place dans un tourbillon mélodieux d’un grand lyrisme, tout en étant ponctuée des sacres les plus colorés.

Malgré le romantisme apparent, les parages étaient infestés de canailles et de chapardeurs douteux qui maraudaient dans l’espoir d’élargir leur clientèle. Il se tramait des affaires pas prop’ dans cette place-là. Les pires filous s’y trainaient les pieds avec nonchalance, scrutant l’horizon d’un regard radar afin d’entourlouper le premier miséreux venu. Prêt sur gage à un taux exorbitant, vente de cigarettes de contrebande et j’en dirai pas plus pour pas les stooler. Tous avaient un ascendant sur l’un, chacun étant prêt à profiter de la faiblesse de l’autre. C’était la loi de la jungle hochelaguienne.

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J’avais pris l’habitude d’y aller au moins une fois par semaine, dès les beaux jours du printemps. L’effervescence prima verdienne qui s’y trouvait me plaisait au plus haut point et je passais de longues après-midi à fumer des clopes en reluquant les quadriporteurs. C’était tout juste si je ne les catcallais pas. Car j’admets avoir toujours rêvé en posséder un et je me suis imaginée moult stratagèmes hasardeux afin d’en avoir un gratuit. J’aurais bien accepté de faire un peu de pied d’athlète, ou même, une petite amputation, peu importe.

Parce que si j’avais un quadriporteur, je l’pimperais en esti.

J’y mettrais un moteur NITRO, je sais pas trop c’que c’est, mais j’ai vu dans un film que ça torchait des culs su’un esti d’temps. Il serait straight pipe, avec des pics argentés sur les roues qui seraient au préalable munies de spinner wheel caps (tsé les mag turbo pimp qui donnent l’impression que les roues tournent dans l’beurre?) et je le peindrais en OR. J’organiserais des courses à relais partout dans Hochelague et je fonderais une confrérie de quadriporteurs, avec des manteaux que tu pourrais être full patch pis on ferait une PRIDE SUR ONTARIO.

Mais je m’égare.

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Bref, un après-midi, alors que j’étais là en train de rêvasser au plus rocambolesque des carrousels de quadriporteurs (oui, imaginez un carrousel dans une foire agricole avec des chevaux et qu’on remplace lesdits chevaux par des quadriporteurs, et que tout tourne en rond sur une musique de cirque-enfant-un-peu-épeurante, moi ça me fait TRIPER cette idée-là) un spécimen fort étrange est passé sous mes yeux. C’était un quadriporteur qui en trainait un autre en remorque, un TANDEM. Je me posais de sérieuses questions quant à son utilité. J’veux dire, pourquoi diantre voudrait-on tirer un autre quadriporteur ? Pour faire une sortie de famille ? Quoiqu’il en soit, les deux avaient un swag que j’avais jamais vu auparavant. Bleus électrique, le premier était muni d’un petit toit, mais les deux avaient sans aucun doute été shinés au shamwow car ils rutilaient à s’en cramer la rétine. Le fier cocher qui le conduisait était un super bel homme d’environ une cinquantaine d’années, avec une chevelure lisse argentée lui allant jusque dans le milieu du dos. Je le surnommai instantanément la «Licorne des quadri» dans ma tête. Et, trop impressionnée par son attirail, je me fis la promesse qu’un jour j’embarquerais dessus.

Dès lors, j’entrepris de développer une amitié avec lui, j’allais souvent le voir et je le complimentais sur son bolide. Nous devinrent amis en peu de temps, il passait ses journées là, à attendre son shylock pour je ne sais quelle pacotille. Il s’appelait Marchel. On discutait souvent, de tout de rien. À chaque fois, il me racontait une bribe du «parc» et j’adorais ça, j’avais l’impression d’être dans le Secret des Dieux. On s’échangeait des cigarettes, surtout parce qu’il essayait de me convaincre d’acheter les siennes. Quelques fois il me parlait avec admiration d’untel et d’autres fois, il médisait de l’autretel, essentiellement pour me mettre en garde parce qu’il savait, lui, qui étaient les bons et les méchants du parc. Il y avait ceux qui iraient au Paradis, et les autres. On ne savait pas où ils iraient, mais c’était quand même une maudite gang de pas d’allure. Et je l’écoutais tout en observant ce qui se passait autour. Il nous arrivait de nous taire pendant un instant, mais même le silence était agréable avec Marchel, on s’attendait à rien quoi.

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Et puis un jour, alors que j’étais encore là, pleine d’admiration pour son quadriporteur magique, il me dit :

– Veux-tchu faire un tour?
– METS-EN!

Et là, j’embarque dans l’affaire.
J’me sentais comme une princesse. Il m’a fait faire le tour du parc, bien pénard. On a passé devant une rangée d’indigènes de l’Esss et j’ai été incapable de réprimer une splendide exécution du Salut de la Reine, juste trop fière de ma ride qui torchait toute.
Quand on s’est arrêté et que je suis débarquée je lui ai dit :

– Vous êtes mon DIEU !
– C’est ben gentil ça, mais tchu y crois-tchu, en Dieu ?

Il portait une petite croix en or dans le cou ce qui me culpabilisa un tantinet l’athéisme, je lui répondis tout de même :

– Ben….pas tant non, j’m’excuse.
– Ah non? Ah ben moé j’te l’dis qu’y’en a un Bon Dieu!
– Vous pensez?
– Certain, parce quand j’te regarde, ça m’dit qu’y’en a un.

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