Logo

La pire défaite de ma vie a été de réussir tôt

Publicité

En 2009, j’ai eu la chance un peu folle d‘être embauché comme concepteur de jeux vidéo dans une grosse boite de développement dans le Mile-End.

J’avais alors 19 ans, je venais de terminer mon cégep et BANG! Plot twist! De fil en aiguille, je me fais parachuter comme designer sur une franchise internationale, travaillant de mise avec des gens qui, quelques mois auparavant, étaient mes idoles.

Je rentre dans cette petite catégorie d’individus tombés au bon endroit au bon moment : j’ai réalisé très tôt le désir que j’avais depuis que j’étais enfant.

Comme tout parfait jeune-cadre-dynamique-et-infatigable qui ne vit que pour son gagne-pain, je suis évidemment tombé dans la marmite. Je ne vivais que de ça. J’étais bon dans ce que je faisais et je me faisais dire que j’étais bon dans ce que je faisais.

Publicité

Les années ont passé et, en 2013, j’habitais dans une belle bâtisse d’Outremont, dans laquelle j’avais déménagé avec ma copine de l’époque. J’avais un salaire ridicule pour mon âge qui me faisait à peu près lancer mon argent par les fenêtres. “Fuck les plaisirs simples, mes rêves sont américains”, aurait dit Lary Kidd.

C’était aussi la pire période de mon existence.

En quelques années, j’avais déjà touché le plafond. Rendu à 24 ans, j’étais embourbé et je ne savais plus quoi faire de ma vie. Tout était devenu confortable.

C’est une étrange ambivalence de vivre un grand succès social et de savoir en même temps qu’on est misérable. C’est en fait ce moment où tu réalises que ce que tu veux n’est pas du tout ce que t’as.

Je me sens tellement chanceux d’avoir eu, malgré ça, quelque part au fond de moi, un furieux besoin de recevoir un coup de poing. Je devais redescendre par la pente raide et, cette fois, me débattre pour remonter vers le haut. C’était devenu une nécessité de saigner du nez et me sentir petit dans l’univers.

Ça fait que du jour au lendemain, tout a basculé. J’ai répondu à cette crise de façon très romantique (lire : brutale et confuse). J’ai quitté ma job de rêve, j’ai vendu la quasi-totalité de mes possessions, j’ai mis mon appart hip en location, j’ai quitté ma copine et je suis parti en aller simple outre-mer avec, derrière moi, un beau gâchis.

***

Publicité

C’est ce moment où on pense qu’on est arrivé — où on pense qu’on a trouvé le sommet — qu’on commence à chuter.

La pire défaite de ma vie a été d’avoir fait face à la réussite, de ne pas avoir su comment m’en servir, de la laisser me définir et de m’assoir dessus.

Deux ans plus tard, je suis aujourd’hui toujours aussi naïf, mais un peu moins ignorant, ce qui me permet de t’écrire ceci.

Je ne peux que t’avertir face au succès. Tu peux le souhaiter; tu peux crier au ciel le poing levé SI JE VEUX, JE PEUX, mais ça ne veut pas nécessairement dire que tu seras prêt à l’utiliser. T’auras alors gaspillé ton temps à courir après quelque chose qui t’aura fait stagner. Pourquoi es-tu si pressé de te faire valider par les autres?

(la réponse est jamais vraiment agréable)

C’est une compétence très difficile d’apprendre par la réussite. C’est par contre beaucoup plus inné en nous d’apprendre en échouant.

Publicité

Je sais aussi que les points tournants de ma vie, les moments les plus importants et mémorables n’ont jamais été ces périodes de bonheur, de facilité ou de confort. Ce sont ces temps difficiles et stressants parfois soldés en victoires, mais souvent en défaites.

Recevoir des tapes sua’ yeule est non seulement inévitable à notre jeune âge, ça doit aussi arriver en quantité : on a besoin d’être déçu, d’être écœuré, de merder, de pocher, de flopper, de capituler, de perdre, de se perdre…

Et c’est passé ça que la réussite goûte bon. C’est quand elle est bâtie sur des fondations de tapes sua’ yeule, parce que c’est tous ces rebroussements de chemin qui contribuent à arpenter les frontières de notre personne.

J’espère que tes échecs dépasseront de loin tes succès.

***

Publicité