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La petite histoire tumultueuse de la Maison Columbia

Les entourloupettes corporatives dans la musique, ça date pas d’hier.

Par
Benoît Lelièvre
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À l’époque ancienne où on n’avait pas accès à toute la musique du monde pour la modique somme de 15,99 $ par mois via Spotify, c’était beaucoup plus difficile de découvrir de nouveaux artistes.

Et ça coûtait surtout cher. De 1991 à 2002, un nouvel album populaire pouvait se détailler entre 24,67 $ et 27,54 $ en magasin. C’est 72 % plus cher que votre abonnement à Spotify pour dix à douze chansons d’un seul artiste. C’était une époque différente, mettons.

Une époque où c’était correct d’acheter un album à ce prix-là pour écouter juste trois chansons.

Mélomane depuis mon plus jeune âge, mes options pour découvrir de nouveaux artistes étaient plutôt minces. L’option à rabais était de faire le lombric sur le divan devant MusiquePlus toute la journée (et Dieu sait qu’ en termes d’heures, j’ai dû y passer l’équivalent d’une vacance d’été complète), mais il y avait aussi la Maison Columbia. Ou le club Columbia comme on l’appelait à l’époque.

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Le nom éveille peut-être en vous une douce nostalgie, mais faire affaire avec eux était un peu l’équivalent de vendre son âme au diable. Oui, c’était génial de recevoir douze CDs pour une cenne, mais il fallait demeurer sur nos gardes le reste du temps pour ne pas se faire charger mensuellement 17,99 $ pour de la musique de marde. Pourquoi est-ce qu’on se mettait cette pression-là? Était-ce même là une pratique légale?

Petite histoire de la plus grosse patate chaude de l’industrie de la musique.

Ça n’appartient même pas (ou plus) à Columbia Records

La Maison Columbia, c’est vieux comme le monde. C’est même presque aussi vieux que mes parents.

La mouture initiale du projet est née en 1955 sous le nom de Columbia Records Club (vous avez ici la raison pour laquelle les vieux de la vieille appelaient ça « heul club Columbia » dans les années 90) et à l’époque, les nouveaux inscrits n’avaient le droit qu’à un seul disque.

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Avant la fin de sa première année d’existence, le club comptait 128 000 membres et des ventes de plus de 700 000 unités. Ça a tellement bien fonctionné qu’il ont dû se relocaliser dans un plus gros entrepôt à Terre Haute, en Indiana, un endroit aussi connu pour administrer la peine de mort à des détenus fédéraux.

Tsé, une place économiquement saine.

Il va sans dire que ça a beaucoup fait chier les commerçants de l’époque. À un point tel qu’un moratoire de six mois (plus tard réduit à trois) a été établi avant qu’un album devienne disponible aux membres du club. Les magasins de musique qui choisissaient de recruter pour Columbia avaient également 3 à 20 % des revenus sur leurs achats. Ça a mieux marché qu’on l’aurait cru. Dès 1963, 10 % de la totalité des ventes d’albums sur le marché américain passait par la Maison Columbia.

Donnez des gratuités au peuple et ils vous suivront jusqu’en enfer.

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La croissance de la Maison Columbia n’en devient que plus exponentielle au fil des années. En 1975, elle compte trois millions d’abonnés. En 1988, elle atteint les six millions. En 1996, cette croissance rapide atteint les seize millions d’abonnés. L’entreprise débute la distribution de cassettes VHS et de bandes reel-to-reel, une gogosse qu’on ne voit de nos jours que chez les audiophiles chiants et dans les films d’espionnage :

Ce succès stratosphérique commence à redescendre en 1988 avec la vente de Columbia Records à Sony. Le géant de l’électronique est alors réputé pour son matériel d’écoute et la console de jeu PlayStation, mais en ce qui a trait à la gestion de propriétés intellectuelles, leur parcours est un peu plus gênant.

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Les problèmes débutent avec l’idée qu’acheter un timbre et se rendre à une boîte aux lettres pour poster une petite carte chaque mois pour éviter de recevoir un album de Seven Mary Three qu’on n’a pas voulu, c’est beaucoup de travail pour pas grand-chose.

Ça, on le sait pas tant qu’on n’a jamais essayé quelque chose de mieux.

Dans le fond, un abonnement à la maison Columbia, c’était un peu comme être dans une relation abusive.

Les insécurités nous en ont gardé prisonniers pendant un certain temps, mais lorsqu’on a collectivement réalisé qu’on se faisait avoir, on est allés voir ailleurs.

D’ailleurs, le nom de cette pratique à la limite de la légalité, c’est la facturation par option négative. Elle consiste à charger un individu pour un bien qu’il ou elle n’a pas commandé, parce que c’est plus facile de payer que de se faire chier à combattre le système et retourner un article mois après mois.

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C’est un peu l’ancêtre de l’essai gratuit d’un mois pour lequel vous devez entrer votre numéro de carte de crédit, parce qu’à l’autre bout de la transaction, on espère très fort que vous oubliez avoir accès au service en question pour pouvoir ensuite vous charger ad vitam aeternam.

Le bon côté de l’explosion de l’industrie de la musique​

Je souhaite le malheur de personne, mais le modèle d’affaire de la Maison Columbia a pris l’eau dès l’arrivée du format mp3 et de Napster au tournant du siècle; c’était tout simplement une meilleure option que la maudite petite carte mensuelle.

Il s’en ait fait, des ennemis, ce bout de carton.

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Et des ennemis dans le monde juridique aussi : la Federal Trade Commission (l’autorité des marchés financiers des États-Unis) ne tripe pas du tout sur cette pratique. Elle souhaite même vous outiller contre. C’est également interdit en Alberta depuis 1998 et en Ontario depuis 2005 parce que c’est de la crosse.

Ça a pris 41 ans à la Maison Columbia pour bâtir un réseau de seize millions d’abonnés et six ans pour tout perdre. En 2002, Sony et AOL Time Warner se débarrassaient de leur poule aux œufs d’or devenue problématique. En 2005, l’entreprise passait à son rival d’autrefois, le groupe BMG Music quiii….. appartient maintenant aussi à Sony?

Quand est-ce que c’est mort, cette honte-là?

Jamais! C’est ça, la joke! La Maison Columbia roule toujours aujourd’hui, bien qu’elle ressemble maintenant à une version numérique d’une de ces machines qui distribuait des DVD à l’entrée des IGA, entre 2008 et 2012.

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L’entreprise a bel et bien déclaré faillite en 2015, mais, tel un méchant à la fin d’un film de James Bond, a trouvé le moyen de s’enfuir vers un autre marché : celui des DVD bon marché. On y trouve quelques longs métrages connus comme Babylon ou Top Gun: Maverick, mais sinon, il s’agit d’un distributeur pour films dont personne ne veut. En plus, qui achète encore ça des DVD?

Comment est-ce même possible? Bien que l’entreprise Maison Columbia ait bel et bien fermé ses portes en 2015, Sony est encore aujourd’hui propriétaire du nom de cette cochonnerie-là et le loue à de petites crapules qui essaient de faire un coup d’argent rapide. Depuis quelques années, le droit d’exploitation de ce nom appartient donc à une compagnie nommée Edge Line Ventures, dont le site redirige vers celui de la Maison Columbia.

La morale de cette histoire? Si vous avez une idée qui fait de l’argent, ça va prendre beaucoup de temps avant que cette dernière ne meure d’une mort laide et violente.

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En cas d’idée de génie pour exploiter le pauvre monde, vendez au premier venu et sauvez-vous en courant. Mais si c’est vous qu’on exploite, c’est alors votre job de trouver une meilleure idée.

Autrement, vous resterez coincé avec un CD de Seven Mary Three et les grands succès des Eagles pendant la majeure partie de votre vie. Bonne chance pour les passer à L’Échange.