Logo

La petite histoire du slogan ACAB

Des ouvriers britanniques à George Floyd, ces quatre lettres ont fait un long chemin.

Par
Ouissem
Publicité

Quand il s’agit de trouver des slogans contre les forces de l’ordre, tous les animaux de la ferme se retrouvent. S’ils sont décrits comme des vaches (ou des poulets) en France, en Angleterre ce sont plutôt des cochons, comme nous l’apprend The Slang Dictionnary publié à Londres en 1874. Et c’est justement en Grande-Bretagne que le fameux « ACAB » est né.

L’expression « All Coppers Are Bastards » a été utilisée pour la première fois en Angleterre dans les années 1920 lors d’un chant entonné notamment par les jeunes ouvriers : « I’ll sing you a song, it’s not very long : all coppers are bastards! » C’est ce qu’indique le lexicographe Eric Partridge dans son livre Dictionary of Catch Phrases. On peut entendre cette chanson être fredonnée dans cet extrait du documentaire We Are the Lambeth Boys qui a été enregistré en 1958.

Publicité

Dans les années 40, la légende urbaine raconte que son acronyme ACAB est repris par les travailleurs lors des nombreuses grèves qui ont eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale. On en compte pas moins de 900 lorsque le conflit arrive outre-Manche. Ce qui est certain, c’est que l’acronyme ACAB gagne énormément en popularité dans les prisons britanniques où les détenus écrivent ces quatre lettres sur les murs des geôles ou en font des tatouages.

À la fin des années 60, toujours en Grande-Bretagne, l’expression s’invite dans le milieu du rock et auprès des punks. En 1967, David Bowie reprend le slogan à sa manière en chantant « All coppers are nanas » à plusieurs reprises dans le titre Over The Wall We Go. En mai 1970, un jeune de 17 ans est arrêté pour avoir porté une veste en jean où il a cousu les lettres ACAB. Emmené au tribunal, l’adolescent dira auprès des juges qu’il s’est inspiré des Hell’s Angels, pensant que l’acronyme signifiait « All Canadians are bums ». L’affaire fera alors les gros titres du Daily Mirror avec un gros « ACAB » affiché dans le journal.

Publicité

Dans les années 1980, le slogan prend une autre ampleur et connaît un succès international avec le groupe Oi! The 4-Skins. La formation issue du mouvement punk sort la chanson A.C.A.B. et cette fois-ci, il n’est pas question d’insulter des Canadiens; on parle bel et bien de la police. « ACAB ACAB ACAB / All cops are bastards », chante la clique de Hoxton Tom McCourt, bassiste et grande figure de la vague skinhead.

Dans le même temps, en France, le groupe de rock Parabellum chante « Mort aux vaches, mort aux condés / Vive les enfants d’Cayenne, à bas ceux d’la sûreté », reprise d’une chanson anarchiste du début du XXe siècle chantée dans les bagnes de Guyane. En Allemagne, le groupe anti-fasciste Slime sort également un titre sobrement intitulé ACAB.

Publicité

Devenu un véritable slogan anti-système inspiré par les mouvements punks et skinhead, l’acronyme ACAB (et sa traduction numérique « 1312 ») s’exporte notamment dans les stades de soccer. Chez les hooligans anglais d’abord, puis auprès des supporters les plus engagés lorsque le mouvement ultra se structure en Europe des années 1980 à 1990.

Les quatre lettres sont alors reprises dans des tifos, sur des banderoles, dans des graffitis ou des stickers, notamment pour contester les lois qui visent les groupes de supporters. Le terme dépasse sa culture punk pour embrasser le mouvement anti-raciste très présent chez les ultras. On peut notamment citer les fans de Sankt Pauli en Allemagne, Livorno en Italie, AEK Athènes en Grève ou encore Marseille en France.

Publicité

En France, divers décès des suites de bavures policières (comme Rémi Fraisse en 2014 ou encore Adama Traoré en 2016) ont nourri l’utilisation de cet acronyme anti-police utilisé de plus en plus souvent dans les manifestations, jusqu’à devenir mainstream. En 2014, le média français Les Inrockuptibles parle alors d’un « nouveau cri de ralliement des insurgés » et d’un sigle qui « s’infiltre partout ».

Confinée au milieu militant antifasciste, l’expression ACAB connaît une exposition inédite en 2020 suite au meurtre de George Floyd par le policier Derek Chauvin. L’acronyme est alors de plus en plus utilisé pour dénoncer les violences policières et soutenir le mouvement abolitionniste.

Publicité

Désormais, la popularité de ces quatre lettres est inégalée en France et elles se retrouvent partout… jusque sur des smoothies vendus en épicerie. Et ça, c’est quand même une belle histoire pour un acronyme prolétaire/punk.

Smoothies ACAB vendus dans la chaîne d’épiceries françaises Monoprix.
Smoothies ACAB vendus dans la chaîne d’épiceries françaises Monoprix.