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La petite histoire du «slasher film»
Quand j’étais petit, les films d’horreur étaient des objets maudits à la maison. Mes parents prenaient un vilain plaisir à les dépeindre comme des usines à cauchemars n’ayant aucune autre utilité que celle de pourrir nos jeunes vies pleines de douceur et d’innocence. Ils étaient strictement interdits et régulièrement pourfendus sous notre toit.
Malheureusement pour eux, c’était pas tous les parents du voisinage qui partageaient leur technique «mieux-vaut-prévenir-que-guérir-le-traumatisme-en-bas-âge».
Les symboles mêmes de l’horreur étaient les slashers: ces créatures à l’aura surnaturelle éprouvant une passion dévorante pour le meurtre d’adolescents sexuellement précoces.
À l’époque, les symboles mêmes de l’horreur étaient les slashers: ces créatures à l’aura surnaturelle éprouvant une passion dévorante pour le meurtre d’adolescents sexuellement précoces. Les plus populaires auprès de mes camarades de classe étaient l’envahisseur de rêves Freddy Krueger et le gigantesque mort-vivant au masque de gardien de but Jason Vorhees, mais les tablettes du club vidéo local à l’époque débordaient de tueurs assoiffés de sang et de « jeunes adultes » peu vêtus (on s’entend, on confiait des rôles de filles de 17-18 ans à des actrices de 29, on ne parle pas de porno juvénile ici).
Bien que les slashers soient d’excellents souvenirs pour les gens de mon âge, ils sont à peu près disparus des cinémas. Enfin presque. Ils reviennent périodiquement sous forme de remakes chaque trois ou quatre ans, mais la culture populaire n’en produit plus de nouveau. Pas depuis que Jigsaw a finalement fini par mourir du cancer après huit films. Encore là, c’était pas un slasher pur. Ce qui rend ces films intéressants c’est qu’ils sont nés, morts et plus ou moins ressuscités au fil de nombreux changements sociaux à partir des années 60 à aujourd’hui.
Regardons ensemble comment on est venus à en avoir besoin, à en faire un phénomène social pour finalement les enterrer et en faire de véritables zombies culturels.
Qu’est-ce qu’un slasher film?
Selon le professeur de cinéma de l’université de Thessalonique et historien en chef du genre Sotiris Petridis, le slasher film comprend: « un tueur décimant un groupe de jeunes personnes à l’aide d’une ou de plusieurs armes contondantes.» That’s it.
Je rajouterais à cette définition qu’on y voit BEAUCOUP de nudité partielle ou évoquée. Le slasher mélange violence et sexe à doses égales pour des raisons qu’on verra dans cet article.
Les proto-slashers
L’horreur a toujours fait partie du vocabulaire cinématographique. Que ce soit via l’expressionnisme allemand ou le gothique, le surnaturel, les fantômes, la maladie mentale et la violence excessive attirent les foules depuis que le médium existe. Avant qu’un genre cinématographie y soit explicitement dévoué, la violence était majoritairement sous-entendue ou se produisait hors caméra.
Une des premières scènes de meurtre à capturer l’imaginaire collectif au grand écran, c’est la fameuse scène de la douche dans Psycho, d’Alfed Hitchcock. Pour la première fois, violence et sexualité s’entrecoupaient au cinéma et ça a beaucoup choqué. On peut même dire que Norman Bates est le premier slasher, même s’il s’agit d’un personnage beaucoup plus complexe et nuancé que Freddy, Jason ou même Michael Myers.
Une des premières scènes de meurtre à capturer l’imaginaire collectif au grand écran, c’est la fameuse scène de la douche dans Psycho, d’Alfed Hitchcock.
L’idée d’Hitchcock s’est répandue comme une traînée de poudre et a inspiré toute une génération de jeunes créateurs. Le courant giallo en Italie en est né. C’est une espèce de mélange d’érotisme, de mystère et de mélodrames qui ne passerait plus vraiment aujourd’hui, mais qui a fait la renommée de réalisateurs tels que Dario Argento et Mario Bava. On était pas très loin du slasher qu’on connaît aujourd’hui, mais il y avait pas la p’tite gêne et le commentaire social. C’était beaucoup de seins nus et de monde qui crient au meurtre.
De notre côté de l’Atlantique, il y a eu les films d’exploitations qui se sont lâchés lousses avec l’hémoglobine. C’était en grande partie des films bon marché qui se rebellaient devant l’intellectualisation du cinéma. Ils étaient cheap, sous-produits, sanglants et faits pour les audiences de ciné-parcs. On en a tiré quelques trésors comme Night of the Living Dead ou The Texas Chainsaw Massacre.
Ce que j’appelle les proto-slashers, c’est vraiment un produit du cinéma d’après-guerre. De la contre-culture et de jeunes créateurs qui rêvaient d’un cinéma qui parle leur langage. On y confrontait les inhibitions sociales, les peurs irrationnelles et la notion même que l’art se doit d’être beau.
Les rois de la lame
Le 25 octobre 1978, une nouvelle bibitte voyait le jour. Tout droit sorti de l’imagination du réalisateur John Carpenter, Michael Myers était un mélange parfait de Norman Bates et de Leatherface. Un jeune psychopathe enfermé depuis son plus jeune âge pour avoir poignardé sa grande soeur. Alors qu’il se dirige vers le tribunal pour porter sa cause en appel, il s’échappe et décide de retourner chez lui où il rencontre Laurie Strode, la fille de l’agent d’immeuble qui essaie de vendre la maison de la famille Myers.
Elle deviendra sa muse et son obsession pour les 40 prochaines années.
Michael Myers était, en quelque sorte, une modernisation du Bonhomme Sept Heures.
Halloween devient vite une phénomène social à une époque où les valeurs contre-culturelles et le retour du consevatisme (allô les années Ronald Reagan!) s’entrechoquent en occident. Myers vise les adolescents libidineux pour une raison très précise: il voit leur émancipation et leur rejet des valeurs traditionnelles comme une menace à la famille nucléaire que sa soeur Judith essayait de lui «enlever». C’était, en quelque sorte, une modernisation du Bonhomme Sept Heures. Il ramassait juste les pas fins qui aimaient trop la sexualité et la drogue.
Les imitateurs n’ont pas tardé à suivre. La série Friday the 13th vit le jour en 1980, mais ce ne sera pas avant le troisième film de la série en 1982 que Jason Vorhees révélera son fameux look iconique avec le masque de hockey. Le beaucoup plus complexe et charismatique Freddy Kruger fit ses débuts en 1984 dans Nightmare on Elm Street et la poupée maudite Chucky en 1988, dans Child’s Play... question de bien terroriser les 6 à 8 ans.
Les slashers ont connu leur époque de gloire dans les années 80, alors que la jeunesse cherchait à s’émanciper du mode de vie étroit et drabe de leurs parents. S’ils ont été aussi populaires pendant une période de temps si courte, c’est parce qu’il était un produit de leur époque.
Les post-slashers
Le slasher classique est mort la journée où il est devenu self-aware: le 18 décembre 1996. Ce jour-là, c’était la première du film de Wes Craven Scream, à Los Angeles.
Scream, c’est un slasher à propos des slashers et de la culture de l’horreur en général. Les tueurs ne sont plus des créatures à la limite du surnaturel, mais bien des connaissances des victimes qui prenaient un plaisir sadique à contrôler les circonstances. L’auditoire avait vieilli et la mystique du genre avait disparu. Le symbole vengeur de l’Amérique conservatrice avait été vaincu.
Après Scream, il y eut I Know What You Did Last Summer, Final Destination, Jeepers Creepers et des films comme Haute Tension du réalisateur français Alexandre Aja qui se sont graduellement éloignés de l’esthétique classique tout en conservant leur brutalité. Depuis environ 2010, on a droit à beaucoup de remakes, mais pas de nouvelles créatures ou de nouveaux tueurs au look mémorable comme le ghostface de Scream.
C’est normal, il ne faut pas trop se sentir mélancolique. Les slashers était des créatures préinternet. C’était beaucoup plus facile de croire au surnaturel et de faire peur au monde à l’époque. Le mansplainer scientifique n’existait pas encore pour chier sur notre imaginaire sur les divers forums de discussion. C’était un mouvement cinématographique né d’importants changements sociaux qui fut enterré par d’autres changements sociaux.
Si ça vous tente de revivre vos vieilles peurs en fin de semaine, la plupart des films que j’ai mentionnés dans cet article sont disponibles sur Amazon Prime Video. Vous aurez peut-être à en louer quelques-uns pour compléter une série ou deux, mais ça vous coûtera moins cher que d’aller au cinéma. De toute manière, ce n’est pas vraiment possible ces jours-ci, n’est-ce pas?
Bon visionnement!
Booh!