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La petite histoire des Peel Sessions

Un phénomène unique dont on s'ennuie.

Par
Benoît Lelièvre
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COVID-19 oblige, le milieu de la musique est un brin paralysé à l’échelle planétaire. Tout comme le milieu des arts en général, d’ailleurs. Si vos créations impliquent des rassemblements (musique, théâtre, danse, cinéma), vous êtes probablement chez vous à vous tourner les pouces et à lire des articles comme celui-ci depuis mars dernier.

Beaucoup d’artistes se sont tournés vers des prestations sans public, présentées virtuellement sur leurs plateformes de réseaux sociaux… mais c’est pas du tout la même chose que de se produire devant du vrai monde.

Les Peel Sessions ont été pendant plus de 37 ans une machine à faire rayonner la musique.

Un des seuls modèles de spectacles à distances ayant connu assez de succès pour atteindre le seuil de la profitabilité et perpétuer son existence dans le temps est celui des Peel Sessions, de la BBC. Entre 1967 et 2004, plus de 2 000 artistes se sont produits au légendaire studio Maida Vale, à Londres pour un concert de 4 chansons diffusé sur les ondes de BBC Radio 1, leur équivalent d’ICI Musique. C’est plus d’un concert par semaine pendant 37 ans, ça.

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De Pink Floyd à Agathocles, en passant par Pavement et Shawn Phillips, tout le monde y est passé. Près de 350 albums ont découlé de ce projet. Les Peel Sessions ont été, pendant presque quatre décennies, une machine à faire rayonner la musique de tous horizons. Pourquoi ça n’existe plus? Pourquoi on a pas ça ici? On vous propose d’explorer l’histoire de ce fascinant projet.

Un heureux hasard

Les Peel Sessions ont vu le jour dans la foulée du lancement de BBC Radio 1, à l’automne 1967. À l’époque, la compagnie Phonographic Performance Limited et le syndicat des musiciens britanniques (qui compte encore plus de 30 000 membres aujourd’hui) détenaient les droits sur le catalogue complet du cartel EMI. En échange de l’utilisation de leur musique, ils ont exigé que Radio 1 engage des musiciens pour jouer des covers en direct, chaque semaine. C’était une façon de faire travailler leurs membres.

Un house band, c’est comme le groupe qui jouait des classiques du rock dans L’Heure JMP chaque fois que Jean-Marc hurlait «PART-MOÉ ÇA, MON REJ».

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La BBC s’est alors pliée à leur exigence en formant plusieurs house bands. Un house band, c’est généralement une formation associée à une émission en particulier, comme le groupe qui jouait des classiques du rock dans L’Heure JMP chaque fois que Jean-Marc hurlait «PART-MOÉ ÇA, MON REJ». Disons qu’il faut être tight pour faire ce métier aux heures de grande écoute.

C’est là que John Peel est arrivé dans le portrait. Âgé de 28 ans, c’était quelqu’un qui trippait solidement sur la musique et il a saisi l’occasion pour convaincre ses patrons de faire venir des musiciens de l’extérieur afin de leur donner une plateforme nationale. Apparemment, il était très convaincant, parce que BBC Radio 1 a ouvert ses portes le 30 septembre 1967 et le 15 octobre, un certain Jimi Hendrix venait y enregistrer un mini-concert. L’initiative ne s’appelait d’ailleurs pas encore Peel Sessions à l’époque et Hendrix fut présenté en ondes par un autre animateur lors de la première diffusion.

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Le cerveau de la patente y a joué pour beaucoup

Si les Peel Sessions sont devenues un incontournable de la culture britannique, John Peel lui-même y est pour beaucoup. Il était curieux et enthousiaste sur un moyen temps.

La curation était faite par un passionné qui voulait partager au monde son enthousiasme pour les nouvelles tendances musicales et non par quelqu’un qui voulait protéger une image de marque.

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Déjà enfant, Peel était intrigué par la musique expérimentale. Dans ses communications aux parents, le directeur de son école l’aurait d’ailleurs décrit comme «extraordinairement excentrique» et «incroyablement perceptif». Il fut le premier à évoquer la possibilité que le jeune John puisse faire carrière grâce à son amour pour les «disques inécoutables» et les «essais longs et facétieux»!

Il avait vu juste: c’est exactement ce qui s’est passé.

John Peel trippait sur la musique, toutes les musiques, et pendant ses 37 années passées à la barre des Peel Sessions, il s’est affairé à nous mener de découverte en découverte. C’est ce qui faisait la force du concept. La curation était faite par un passionné qui voulait partager au monde son enthousiasme pour les nouvelles tendances musicales et non par quelqu’un qui voulait protéger une image de marque. Lorsqu’on décidait d’écouter les Peel Sessions, la seule chose dont on était certain, c’est qu’on allait être surpris.

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Les convictions de Peel l’ont d’ailleurs mis dans le pétrin à quelques reprises. Il a notamment été appelé par les hautes instances de la station qui voulaient lui interdire de jouer de la musique punk. Le producteur de l’émission, John Walters, avait alors rétorqué au patron que c’était principalement ce qu’ils diffusaient depuis quelque temps. C’était ça aussi, les Peel Sessions : être en avance sur tout le monde.

Un autre exemple? Nirvana est passé aux Peel Sessions à trois reprises…. entre 1989 et 1991…. deux fois AVANT la sortie de l’album Nevermind, qui les a rendus célèbres!

Pourquoi donc on a pas ça ici?

Ce serait nice, n’est-ce pas?!

Tout d’abord, il y a un enjeu de budget. La BBC est un diffuseur public, comme CBC/Radio-Canada. On pourrait se dire que notre diffuseur pourrait faire la même chose, mais ce serait oublier que la BBC dispose d’un budget total d’environ 2,3 milliards de dollars, alors que notre diffuseur public Radio-Canada/CBC a beaucoup (beaucoup) moins pour ses opérations. Ce n’est pas un petit projet à financer, mettons.

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La game a également beaucoup changé depuis la mort de John Peel en 2004. L’internet et les réseaux sociaux ont porté un coup dur aux expériences communes toutes simples comme celle d’écouter la radio. C’est une activité de plus en plus confinée à de courts moments passés dans la voiture et les diffuseurs privés ne sont pas nécessairement portés à l’expérimentation pendant les heures payantes. Bref, là aussi ça semble difficilement réalisable.

Les opportunités de divertissement tombent littéralement du ciel depuis quelques années, on s’arrache l’attention des gens.

«Il manque l’espèce d’entre-deux, du contenu musical autre qu’une radio qui joue des tounes.» – Marc-André Mongrain

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Le modèle des Peel Sessions n’est peut-être pas un modèle qu’on peut réactiver aujourd’hui dans la forme qui l’a rendu populaire, mais on peut bien rêver! Et je pense que c’est quand même un idéal vers lequel tendre. Que ce soit à la radio ou… disons en live sur Facebook, ce serait une avenue excitante pour nos artistes et pour nos oreilles. Une avenue qui manque cruellement.

Le patron de Sors-Tu.ca Marc-André Mongrain, avec qui j’avais une conversation à ce sujet récemment, résume la situation en prenant comme exemple notre diffuseur public : « Il existe ICI Musique, qui est une radio musicale qui diffuse de la musique et offre peu de prestations live, et il y a ICI Première qui parle de toutes sortes de trucs dont la musique, mais qui ne va jamais all-in dans une émission toute musicale pour ne pas piler sur les pieds d’ICI Musique. Alors il manque l’espèce d’entre-deux, du contenu musical autre qu’une radio qui joue juste des tounes. »

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Les Peel Sessions, c’était probablement un phénomène unique. C’est arrivé au bon moment et au bon endroit dans l’histoire de la musique contemporaine et surtout, c’était porté par la bonne personne. C’est peut-être irréaliste d’essayer de reproduire ce modèle, mais ce serait formidable de s’en inspirer pour partager l’amour de la musique.