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La petite histoire de Weezer vs la critique
L’album du groupe rock américain Weezer Pinkerton a célébré son 25e anniversaire l’automne dernier, en plein brouillard pandémique. Le genre d’anniversaire qu’on célèbre avec un élan de nostalgie passagère et une ou deux écoutes de la chanson El Scorcho sur YouTube.
C’est un album influent et même important, mais pas exactement de la magnitude de Nevermind, Jagged Little Pill ou des autres titans de la musique rock des années 90. C’est l’album préféré de tou.te.s les fans de Weezer (ou presque), mais même les plus emos d’entre eux et elles ont soit accroché sur My Chemical Romance ou sur un groupe à l’esthétique un peu plus sobre comme American Football par la suite. Pinkerton, c’est l’adolescence musicale au sens propre et au figuré. Une transition maladroite vers une période plus assumée et profonde.
Pour le leader du groupe Rivers Cuomo, c’est une tout autre histoire. Pinkerton a été le début d’une longue et douloureuse histoire avec la critique et parfois même avec ses propres fans. Une histoire qui a fait de Weezer l’un des groupes rock les plus intéressants des trente dernières années.
Rivers Cuomo et la critique, c’est l’histoire d’un rendez-vous manqué entre un talentueux créateur et l’intelligentsia artistique qui n’ont jamais voulu la même chose au même moment.
Pinkerton et l’histoire révisionniste
Deux ans après la parution de l’album bleu (encore aujourd’hui de loin son meilleur vendeur), le groupe Weezer lançait Pinkerton : un album plus sombre et personnel avec une production plus crue et percutante. On était plutôt loin des mélodies simples et accessibles ayant fait sa renommée et tout le monde (la critique comme le public) a réagi en conséquence.
Le critique du magazine Rolling Stone Rob O’Connor qualifiait l’écriture de Rivers Cuomo de juvénile et ses instrumentations de quétaines. Le périodique Melody Maker invitait son lectorat à carrément ignorer les paroles. Le L.A Times décrivait les chansons de Pinkerton comme mal construites et malaisantes, quoique sincères. Même les critiques plus nuancées ou positives avaient leur dose de fiel à déverser sur le pauvre Cuomo. Démoli par la réception de l’album, il écrivait dans ses journaux : « Je suis un mauvais compositeur. Buddy Holly était un coup de chance. »
Pinkerton était simplement avant son temps. Pendant les trois années où Rivers Cuomo et Weezer ont battu de l’aile, c’est devenu cool de confesser ses sentiments les plus sincères dans une chanson.
Ce fut tellement difficile pour le groupe que les gars ont arrêté de faire de la musique pendant trois ans. Une période pendant laquelle Rivers Cuomo aurait traversé un épisode de dépression tellement intense qu’il aurait peint les murs de sa maison en noir. Il s’est aussi inscrit à Harvard, où il complétera un baccalauréat en études littéraires sur une période de 11 ans. C’est passé très près d’être la fin de Weezer. Sauf que…
Pinkerton était simplement avant son temps. Pendant les trois années où Rivers Cuomo et Weezer ont battu de l’aile, c’est devenu cool de confesser ses sentiments les plus sincères dans une chanson. Même si lesdits sentiments ne sont ni beaux ni « propres ».
L’album est devenu un succès culte et son histoire s’est réécrite au cours du XXIe siècle. C’est devenu cool d’aimer Pinkerton et encore plus cool de dire qu’on a toujours compris Pinkerton et qu’on l’aimait avant que ce soit cool. Certains médias ont même profité de rééditions de l’album pour effacer le souvenir de leur réaction originale.
Rivers Cuomo et ses acolytes ont finalement émergé de leur pause en 2001 avec l’album vert. C’est à ce moment de l’histoire où on est censé dire : « Weezer est devenu un des groupes rock contemporains les plus aimés. Rivers Cuomo vécut heureux et eut beaucoup d’enfants. »
Sauf que c’est pas EXACTEMENT ça qui s’est passé.
Ironie et déception : un héritage compliqué
Voyez-vous, le Rivers Cuomo post-Pinkerton n’était plus exactement la même personne. Du moins, pas le même personnage public.
Sur l’album vert, Weezer se présentait sous un jour différent. Plus conventionnel. Plus construit. Une vision du rock contemporain à mi-chemin entre l’excès et l’ironie. Par exemple, Cuomo racontait en entrevue qu ’il avait écrit le premier extrait de l’album Hash Pipe après avoir consommé du Ritalin et de la téquila. Une anecdote carnavalesque qui à la fois jurait avec son image de bon garçon à lunettes et lui permettait de se dédouaner de la responsabilité émotionnelle derrière les paroles.
Le grand succès de l’album Island in the Sun est de loin l’une des chansons les plus simples et douces du catalogue de Weezer et comporte un message très clair que le chanteur répète plusieurs fois jusqu’à la conclusion : « We’ll never feel bad anymore » (« On ne se sentira plus jamais mal »). Rivers Cuomo avait fini d’offrir ses complexes et ses tourments. Il allait désormais se réfugier dans la simplicité, la facilité et les refrains aguicheurs.
Ceci dit, l’album vert, c’est de la bombe. Weezer est revenu à la musique parce que ses membres étaient inspirés. Le groupe a enregistré deux autres albums, Maladroit et Make Believe, qui n’étaient pas piqués des vers. C’était cependant le début d’une longue spirale d’incompréhension entre Rivers Cuomo, son public et la critique qui allait aboutir dans une relation malsaine où peu importe ce que Weezer allait offrir, tout le monde allait en sortir légèrement déçu.
On s’entend, je n’essaie pas ici de tracer un parallèle entre les destins de Weezer, Creed et Nickelback. Le groupe n’a jamais été détesté. Il n’a juste jamais été capable de gérer les attentes d’un auditoire qui n’a jamais compris ou accepté son changement de direction. Ça a commencé à être évident à partir de l’album rouge, qualifié par le critique Jeffrey Canino de « triste portrait d’un groupe totalement détruit par la célébrité et les attentes qui en découlent ». Pitchfork condamnait l’album suivant Raditude en déclarant qu’il n’avait rien à offrir à quiconque âgé.e de plus de 13 ans.
Les gens voulaient le Weezer sincère et vulnérable de Pinkerton, mais Rivers Cuomo n’était plus prêt à explorer ces sentiments dans sa musique. L’album Everything Will Be Alright in the End avait plus à offrir à ce chapitre, mais ce fut l’exception parmi une longue décennie de conflits passifs-agressifs entre Cuomo, son auditoire et la critique.
Aujourd’hui, c’est devenu la norme d’être déçu.e par les albums de Weezer. Le critique Steven Hyden le résume magnifiquement bien : « Si on aime Weezer, c’est important de les détester et la plupart du temps, c’est mutuel. »
La rockstar qui ne répond plus aux attentes du public, c’est une histoire vieille comme le monde. Le public qui ne répond plus aux attentes de la rockstar, c’est une histoire unique à Weezer.
Force est d’admettre que Hyden a raison. Depuis trois ans, Weezer lance des albums à un rythme industriel, dans un registre allant des reprises à la pop inspirée par Vivaldi. Rivers Cuomo fait de la musique dans le but de faire de la musique. Il tient désormais votre déception pour acquise. Il semble à la fois marié à sa profession et résigné à vous déplaire.
Qu’est-ce qui s’est passé au juste? L’ironie est souvent une tactique qui sert à cacher la sensibilité. Rivers Cuomo s’est forgé un personnage de rockstar sophistiquée et énigmatique en revenant à la musique et il demeure fidèle au personnage parce que celui-ci lui permet de fonctionner.
La rockstar qui ne répond plus aux attentes du public, c’est une histoire vieille comme le monde. Le public qui ne répond plus aux attentes de la rockstar, c’est une histoire unique à Weezer et malgré les nombreux ratés du groupe, c’est ce qui le rend aussi unique et intéressant.
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