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La petite histoire de l’album live de Johnny Cash à la prison de Folsom
Le 13 janvier 1968, le légendaire chanteur country américain Johnny Cash, sa femme June Carter, l’interprète de Blue Suede Shoes Carl Perkins et le trio rockabilly Tennessee Tree montaient sur les planches de la prison de Folsom, près de la ville de Sacramento en Californie. L’idée d’y enregistrer un album live devait avoir l’air révolutionnaire dans l’esprit de Johnny Cash alors que sa chanson Folsom Blues régnait sur les ondes en 1955, mais un peu moins brillante devant un auditoire de criminels endurcis à 9 h 40 le matin.
Au cas où vous n’étiez pas au courant, Folsom était à l’époque un pénitencier à sécurité maximale (elle ne l’est plus aujourd’hui) et un des deux lieux d’exécutions en Californie avec San Quentin. Pas la même vibe qu’au MTelus, mettons!
Johnny Cash At Folsom Prison est une drôle d’initiative. Aujourd’hui universellement célébrée, elle n’a jamais vraiment été reproduite par quelqu’un d’autre. C’est un album magique, mais les artistes préfèrent quand même toutes les salles de spectacle au monde à une prison. Pourquoi? Comment? C’était quoi le but d’enregistrer un album dans une prison à sécurité maximale? On vous explique tout ça.
Outlaw Country
Pour la plupart d’entre nous, Johnny Cash est le vieux grand-père qui chante la douleur et la vulnérabilité de la vieillesse mieux que quiconque dans Hurt. Vingt ans après la parution de la chanson, beaucoup de gens ne savent toujours pas qu’il s’agit d’une reprise de Nine Inch Nails parce que son interprétation est tellement précise et sensible qu’elle la rend largement supérieure à l’originale. Cependant, Hurt n’est pas très indicative des préoccupations poétiques qui ont rendu l’homme en noir riche et célèbre.
Johnny Cash est l’un des précurseurs du mouvement outlaw country, un hybride du country traditionnel, de la musique honky tonk et du rockabilly, avec des paroles qui romancent et maudissent à la fois la masculinité américaine traditionnelle : alcool, armes à feu, responsabilités familiales, etc. Pour faire une histoire brève, Cash et ses contemporains avaient une vision très romantique des hors-la-loi et ils ont développé un style musical pour la faire vivre.
L’homme en noir ressentait un lien particulièrement fort avec les prisonniers. Il écrit la chanson Folsom Prison Blues en 1951 après avoir vu un documentaire sur l’institution alors qu’il était dans l’armée. « Je me suis assis avec un crayon et du papier et j’ai essayé de trouver la pire raison pour laquelle quelqu’un pourrait tuer », racontait-il pour expliquer l’origine de la légendaire ligne : I shot a man in Reno just to watch him die.
Ça a pris onze ans avant d’enregistrer un album parce que personne chez Columbia tripait vraiment sur l’idée.
Il a enregistré la chanson quatre ans plus tard au légendaire Sun Studio et ce fut immédiatement la folie furieuse. La chanson atteindra la quatrième position du prestigieux palmarès Billboard. Les prisonniers s’y reconnaissent et lui écrivent, et l’idée d’aller jouer pour eux naît comme ça. À noter que le spectacle de Johnny Cash à la prison de Folsom n’est pas du tout son premier. Cash a réalisé son souhait en 1957 en se produisant à la prison de Huntsville au Texas. Un autre bel endroit où ils exécutent beaucoup de monde.
Ça a pris onze ans avant d’enregistrer un album parce que personne chez Columbia tripait vraiment sur l’idée. La société sortait à peine de la Deuxième Guerre mondiale à l’époque et la morale était claire et rigide : la prison était pour les pas fins et personne n’allait vouloir acheter un album où des pas fins recevaient un show de Johnny Cash gratuitement alors que le commun des mortels devait payer pour le voir.
Ce n’est pas avant que le légendaire producteur Bob Johnston (qui travaillait aussi avec Leonard Cohen à l’époque #funfact) s’en mêle et mette de la pression que les choses ont commencé à faire leur petit bonhomme de chemin. Ce qui rend le spectacle de Folsom différent, c’est qu’il a été enregistré, distribué et acheté par plus trois millions de personnes. C’était plus juste un trip personnel. Johnny Cash voulait que les gens comprennent que sa musique traverse les murs les plus épais érigés par notre société et, ma foi, il a réussi.
L’héritage de Johnny Cash At Folsom Prison
Il n’y a pas eu un concert, mais bien DEUX concerts, le 13 janvier 1968. Un à 9 h 40 et un autre à 12 h 40. Le deuxième étant au-cas-où-quelque-chose-parte-en-couille-le-matin. Seulement deux chansons du deuxième concert se retrouvent sur l’album (Give My Love to Rose et I Got Stripes) parce que c’est très dur et très stressant de jouer pendant six heures devant des criminels endurcis et la qualité de la deuxième représentation est soi-disant de moindre qualité.
Bien qu’aujourd’hui largement célébré, Johnny Cash At Folsom Prison n’a pas été un succès monstre du jour au lendemain. L’étiquette de disque de l’homme en noir était très frileuse à l’idée de promouvoir un album enregistré dans un prison. Les stations de radio ont aussi arrêté de jouer Folsom Prison Blues trois semaines plus tard à la suite de l’assassinat de Robert Kennedy.
Les critiques ont cependant transporté l’album et l’intérêt a ravivé la carrière de Cash, qui tirait de l’aile à l’époque. Les gens ont tellement aimé le concept que Cash enregistrera trois autres albums en prison : At San Quentin, På Österåker (en Suède, juste pour rendre ça plus compliqué) et A Concert Behind Prison Walls à la prison de Tennessee State. Grâce à son spectacle à Folsom, NBC donnera également à Johnny Cash sa propre émission de variétés en 1969, qu’il animera pendant deux ans.
En enregistrant un album en prison, Johnny Cash souhaitait élargir le cadre moral de son auditoire. Il revendiquait que bien que certains malfrats soient destinés à se retrouver en prison, d’autres s’y retrouvent par malchance, à cause de leur milieu ou tout simplement parce qu’ils sont humains et que c’est la nature humaine de faire des choses qu’on regrette. Il voulait être leur lien avec le monde.
Grâce à des projets comme son album à la prison de Folsom, Cash est devenu un symbole de la lutte des classes.
A-t-il réussi? Oui et non. Johnny Cash At Folsom Prison n’a pas exactement démarré un mouvement de relativisme moral du jour au lendemain, mais il aura contribué à une prise de conscience face aux dommages que peuvent causer les institutions et les systèmes sociaux rigides créés par les plus fortunés, pour les plus fortunés. Même si votre cousin gen Z tiktokeur Jean-Étienne tripe uniquement sur les chansons de Johnny Cash enregistrées au XXIe siècle, il a le droit de triper dessus quand même.
Grâce à des projets comme son album à la prison de Folsom, Cash est devenu un symbole de la lutte des classes. On devient un symbole comme ça en vivant à la hauteur de ses convictions et en offrant le meilleur de soi-même aux autres. Il a mérité d’être aussi important aux yeux de votre grand-père qu’à ceux de Jean-Étienne.