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La petite histoire de la cagoule

Aussi visible qu’anonymisante, la balaclava est sur toutes les têtes cet hiver.

Par
Pauline Allione
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La mode est un éternel recommencement, on ne cessera de le répéter – et de le constater. Après le sportswear des années 90 puis l’esthétique Bratz de la décennie suivante, c’est au tour des cagoules de faire leur grand retour. Remises au goût du jour par les grandes chaînes de prêt-à-porter, elles masquent nos têtes d’élasthane noire façon braquo, de mailles aux couleurs pop, ou de motifs au crochet dans une version plus nostalgique. Peut-être même que vous avez déjà investi dans la vôtre, que vous hésitez encore à assumer dehors de peur qu’on ne vous confonde avec Zézette dans Le Père Noël est une ordure.

La cagoule pré-existe évidemment au film du Splendid : c’est pendant la guerre de Crimée, dans la ville de Balaklava, que tout aurait commencé. Le 25 octobre 1854, les soldats britanniques arborent un bonnet tricoté d’un nouveau genre, destiné à les protéger de températures un peu trop fraîches. En référence à ses terres d’origine, la cagoule est toujours appelée « balaclava » (ou « balaklava ») dans plusieurs langues d’Europe du nord ou de l’Est.

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En France dans les années 30, la Cagoule n’a rien à voir avec un couvre-chef, mais désigne le surnom d’une organisation terroriste. L’Organisation secrète d’action révolutionnaire nationale, de son vrai nom, regroupait des activistes clandestins aux penchants peu sympathiques : réputés d’extrême-droite et antisémites, ils perpétraient assassinats, sabotages et attentats, pendant lesquels ils portaient régulièrement des cagoules. Le groupe est démantelé en 1938, et la cagoule peut enfin redevenir cet objet légèrement envahissant (ou intimidant selon l’usage) que nous connaissons tous.

PEUF, COMBI ET GRAND FROID

C’est aux années 80 que remonte l’âge d’or des cagoules : l’objet se démocratise et sur les pistes de ski, enfants comme adultes ne laissent que leurs yeux ou le contour de leur visage dépasser du tissu. Le reste est bien au chaud, sous un tricot davantage conçu pour des raisons utilitaires qu’esthétiques. « Je me souviens avoir porté des cagoules enfant avec mes parents. C’était plutôt un objet pratique pour garder les enfants au chaud, et qu’ils ne pouvaient pas facilement perdre », raconte Bridget Low, artiste américaine installée à Marseille et spécialisée dans la fabrication de cagoules colorées et contemporaines.

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Impossible de ne pas mentionner les Fatal Bazooka, qui jouent les rappeurs frileux et pleins de miasmes du fin fond de la Savoie dans Fous ta cagoule, sorti en 2006. Loin du pays de la raclette mais avec un peu d’humour toujours, un cousin de la cagoule voit le jour en 2004, sur les côtes de la province de Shandong, en Chine. Ressemblant en tout point à son ancêtre, le facekini, la plupart du temps coloré, est censé permettre à celui ou celle qui le porte de passer ses vacances au soleil en esquivant le bronzage qui le ferait un peu trop ressembler à un pauvre qui se casse le dos dans les champs.

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BANDITISME, CAMÉRAS ET MANIFS

On l’aura tous et toutes remarqué, la cagoule ne sert pas uniquement à protéger du froid : l’une de ses caractéristiques principales, c’est quand même de passer incognito. Dans l’imaginaire collectif, elle est ainsi rattachée aux voleurs, braqueurs et casseurs qui baignent dans l’illégalité et souhaitent échapper aux caméras de surveillance comme aux autorités. En 2012, une scène de Spring Breakers fait la part belle au couvre-chef : sur une plage, James Franco joue Britney Spears au piano entouré de Vanessa Hudgens, Ashley Benson et Rachel Korine lourdement armées et vêtues de maillots de bain, joggings et cagoules roses à licorne, glamourisant autant la figure du criminel en cavale que son attirail.

L’anonymat conféré par la cagoule peut aussi relever de l’acte idéologique, politique et militant, comme ce fut le cas des Pussy Riot. En 2012 toujours (grosse année pour la cagoule), des membres du groupe punk féministe investissent une cathédrale moscovite pour une performance électrisante, le nez et la bouche cachés sous des mailles multicolores. Leur « Prière punk : Marie mère de Dieu, chasse Poutine » vaudra à trois membres présumées du groupe deux ans de prison avec sursis.

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FAME, QUÊTE D’ANONYMAT ET COUTURE

Deux ans plus tard, c’est au tour de Beyoncé et Jay Z de jouer les Bonnie and Clyde sur l’affiche de leur tournée On the Run (« en fuite ») où le tissu ne laisse apparaître que les yeux, puis sur scène, où la popstar performe dans une cagoule en résille. Quelques mois plus tôt, elle jouait déjà aux fausses incognitos dans les rues de Los Angeles, cachée sous une cagoule siglée Louis Vuitton en lettres dorées.

Mais il y aussi Kanye West, que l’on a particulièrement – et paradoxalement – vu cagoulé cette année : au défilé Balenciaga, au stade d’Atlanta pour son album Donda, dans les rues de Los Angeles… Le visage intégralement masqué par le tissu, le rappeur rompu à la médiatisation attire l’attention autant qu’il clame son droit à l’anonymat, à contre-courant de l’ère des réseaux et de l’auto-mise en scène, analysent Alice Pfeiffer et Manon Renault dans les lignes de Manifesto XXI.

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La couture s’est donc également emparée du phénomène : en 2021, plusieurs marques ont placé des cagoules sur les catwalks de leur collection automne-hiver, dont MiuMiu, Jacquemus, Givenchy et Marc Jacobs. « L’ascension de la cagoule dans la fast fashion et le luxe cet hiver pourrait être liée à l’intérêt pour l’artisanat et le crochet depuis le premier confinement. Coincés à la maison, les gens ont trouvé de nouveaux passe-temps, et beaucoup se sont mis au crochet », estime Bridget Low, qui crochète des cagoules depuis 2017. « J’adore les différents visages que j’ai pu créer en ajustant quelques éléments, c’est un objet ludique qui a des connotations vraiment intéressantes ».

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Côté connotations, la cagoule peut en effet porter divers messages, en plus de mettre nos têtes à l’abri. Dans la mode contemporaine, impossible de ne pas voir un lien entre le retour du couvre-chef et deux années de pandémie mondiale. Après avoir pris l’habitude de cacher les deux tiers de nos visages sous des masques filtrants, la cagoule a l’avantage de conjuguer style et respect des consignes sanitaires. Un retour sous le signe de la COVID donc, mais qui n’est pas sans rappeler les gamins des 80’s, les bandits en cavale et les popstars nostalgiques d’un anonymat perdu.

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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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