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La Petite-Bourgogne de Nate Husser

On a fait un tour du quartier avec le rapper qui sort aujourd'hui un nouveau single.

Par
François Breton-Champigny
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Quand j’ai demandé au rapper Nate Husser s’il était partant pour me montrer sa version de la Petite-Bourgogne, son quartier natal, j’avais en tête une balade pittoresque ponctuée de petits bijoux underground, comme un bouiboui populaire du coin ou un salon de barbier iconique. J’ai compris assez vite que j’aurais droit à une tout autre expérience.

On s’est donné rendez-vous au coeur de la Petite-Bourgogne, ou Lil Burgundy pour les initiés, en plein après-midi.

En sortant du métro Georges-Vanier, je regrette instantanément d’avoir mis des jeans et un t-shirt noir: on cuit sur place tellement le soleil frappe fort.

Je me sens comme un touriste qui prend trop son temps pour observer la vie autour de lui. J’admire les immeubles colorés qui jonchent les petites rues tranquilles près du métro. Des ados chillent autour d’une auto en faisant bouncer un ballon de basket. Un homme d’âge mûr lit son journal à l’ombre de son parasol Coors Light pendant que sa femme me scrute, sûrement en train de se dire: «Quel choix vestimentaire de marde, le jeune!».

Je le sais madame, je le sais.

Une murale de Daisy Peterson Sweeney, soeur d’Oscar Peterson et professeure de musique de nombreux musiciens célèbres dont Oliver Jones.
Une murale de Daisy Peterson Sweeney, soeur d’Oscar Peterson et professeure de musique de nombreux musiciens célèbres dont Oliver Jones.
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En arrivant au point de rencontre, sur la rue Saint-Martin, je vois Nate et son manager Nissan descendre la rue, une Corona bien entamée dans la main du rapper, habillé tout de blanc immaculé.

«Wagwan dawg!», me lance-t-il alors que je lui fais un genre d’elbow bump awkward, le front aussi luisant que les lèvres pleines de gloss d’une candidate d’Occupation Double.

Il m’explique qu’il vient de faire une entrevue pour un show télé portant un peu sur les mêmes thèmes que je souhaite aborder avec lui. Great. On repassera pour l’effet de nouveauté, j’imagine.

Avant qu’on parte à l’aventure, Nate fait un premier pit stop dans l’appartement où il m’a donné rendez-vous, celui de sa mère, pour se prendre une autre Corona et une bouteille d’eau.

Puis, autre détour vers son auto pour attraper du weed. Le pare-brise du bolide arbore une immense craque rappelant un impact de balle. «Des dealers m’ont fait la passe l’autre jour», déclare l’artiste sans broncher d’un chouia. Puis il pouffe de rire et m’avoue que c’est plutôt un accident dû à une balle de baseball qui a atterrit au mauvais endroit.

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Je ris jaune un peu. On commence finalement notre tour personnalisé du quartier.

Nate Husser, me montrant fièrement ses grillz
Nate Husser, me montrant fièrement ses grillz

Le coeur de Lil Burgundy

On marche environ 2 minutes et demie à un rythme que ma grand-mère de 92 ans pourrait suivre sans problème pour aboutir au parc Oscar Peterson, nommé en l’honneur du célèbre jazzman issu de la Petite-Bourgogne.

Pendant le trajet, on parle de tout et de rien, mélangeant les conversations sur son parcours musical à quelques anecdotes sur ses tatouages de Martin Luther King, Malcolm X et Nipsey Hussle qu’il collectionne autour du cou. «Ce sont tous des pionniers qui m’ont inspiré et ont changé le monde» résume-t-il. La prochaine oeuvre d’art gravée sur sa nuque sera à l’effigie de Bob Marley, me révèle l’ancien membre du groupe The Posterz.

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On arrive à la hauteur des terrains de basket du parc. «C’est le coeur du hood ici, man», me lâche-t-il entre deux gorgées de bière. Un dude pratique ses free throws dans un coin. Un père et son fils, masqués, font des one on one à l’autre bout.

Nate au parc Oscar Peterson
Nate au parc Oscar Peterson

«Les gens qui ne connaissent pas le quartier pensent qu’il se limite aux rues sur le bord du canal, mais les vrais savent que le coeur du hood, c’est ici.»

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Les yeux de Nate s’allument. Il me raconte qu’une très grande partie de son enfance et son adolescence s’est déroulée sur le court. Et il a vu de tout. Des games de basket interminables avec ses amis jusqu’à des querelles se terminant en gunfight. «Les gens qui ne connaissent pas le quartier pensent qu’il se limite aux rues sur le bord du canal, mais les vrais savent que le coeur du hood, c’est ici».

Au coin du parc et de la rue Canning, un terrain vague clôturé détonne dans le décor composé majoritairement de petits blocs appartements étalant toutes les teintes de beige/brun imaginables.

«C’était le Negro Community Centre avant que des investisseurs privés décident de le détruire, m’explique Nate, visiblement frustré de la situation. Des gens influents comme Trevor Williams et Wayne Yearwood (deux anciens joueurs de la NBA) ont bâti des programmes de basket pour les jeunes du quartier avec cette organisation».

«Quand on pense à Montréal, on n’a pas l’image d’une ville violente où le crime est bien présent. Mais c’est encore la réalité ici. C’est rough pour vrai.»

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Pour lui, c’est évident: les Montréalais qui passent leur temps sur le Plateau ou dans Villeray n’ont aucune idée de ce qui se passe dans le «hood». «Quand on pense à Montréal, on n’a pas l’image d’une ville violente où le crime est bien présent. Mais c’est encore la réalité ici. C’est rough pour vrai», confie-t-il. Il prend en exemple une fusillade qui a eu lieu près de chez sa mère il y a à peine quelques semaines. «On voit encore les trous des balles dans les murs».

Cependant, le quotidien dans la Petite-Bourgogne n’est évidemment pas que ça, m’assure-t-il. «Le sentiment de communauté est incomparable. Tout le monde se connaît et s’entraide. On se rassemble souvent. C’est comme une grande famille».

Il me parle des partys hebdomadaires qui se tiennent sur le court les vendredis après-midi quand une de ses amies passe au loin. «Bonjooooouuur!», l’interpelle Nate avant d’aller la rejoindre à la course un peu plus loin.

De retour au bout de quelques minutes, on poursuit notre conversation près du panier sur l’influence de ce parc pour lui. «Peux-tu dunker?». «Oui. Mais mes genoux et mes épaules sont foutues», me révèle-t-il. S’il n’avait pas eu la musique dans sa vie, et plusieurs blessures récalcitrantes, le natif de Lil Burgundy aurait peut-être pu faire carrière dans le sport. Trois universités américaines lui offraient une scholarship, l’invitant à jouer pour elles. «J’ai décidé d’arrêter, c’était trop pour moi. Et je suis tombé dans le rap à la même époque».

Le joint est allumé. On se remet en marche.

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Pâtés jamaïcains et Backwoods chez Bob’s

Un peu plus loin dans les rues du quartier, on s’arrête finalement devant un vieux dépanneur à la devanture délabrée. Je me dis que Nate veut probablement juste se prendre une autre Corona pour la route, mais il m’explique que ce petit commerce rabougri était un lieu mythique de rassemblement quand il était plus jeune. «On faisait des aller-retour entre le parc et ici pour se prendre des pâtés, de la booze et des Backwoods», résume-t-il.

Une poubelle éventrée répand son contenu juste à côté de l’entrée. Nate et moi attendons à l’ombre que Nissan, parti en mission trouver des Backwoods – une marque de cigare utilisée pour rouler des blunts – , ressorte du dépanneur. Le rapper y serait allé lui-même, mais n’avait pas son masque.

Un silence s’installe. Il faut dire que sous une façade tatouée jusque sous les paupières, grillz en or brut sur les dents et joint toujours allumé dans la main, Nate peut se révéler être un homme de peu de mots. Ou peut-être que c’est juste moi qui le rends mal à l’aise parce que je sue trop des dessous de bras. Allez savoir…

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Après un peu de smalltalk, Nissan sort du dépanneur bredouille. Les gars vont devoir fumer leur joint avec du papier de moins bonne qualité.

En route vers la destination numéro 3.

N.B: J’ai failli à ma tâche et j’ai complètement oublié de prendre un cliché du dép avant de repartir. Imaginez-vous une devanture blanc caillé avec la peinture qui se détache, un nom de commerce pas trop trop clair et vous avez une image assez complète du Bob’s.

Le premier «crib»

En chemin vers le premier «crib» où il a grandi, on parle de l’influence de son quartier sur sa musique. «Ma musique EST Lil Burgundy. Tout ce dont je parle dans mes chansons ça reflète ce que j’ai appris ici. Ça m’a rendu tough et street smart. Je dois tout à ce quartier».

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On enchaîne sur ses derniers projets, dont son prochain EP qui devrait sortir à la fin de l’année. Son single JELLY est d’ailleurs sorti aujourd’hui même.

«J’ai pris du temps dans la dernière année pour travailler mon ass off», explique-t-il. Pendant son séjour à Los Angeles, le rapper a dégoté un contrat avec un label américain. Il a récemment lancé une marque de vêtement, nommée Tout le Monde, et une entreprise de weed pourrait éventuellement voir le jour.

On traverse un boulevard puis on arrive devant son ancien appartement. Il m’indique où se trouvaient sa chambre et le salon au troisième étage d’un building qui se fond dans le décor. Il me pointe du doigt l’arrêt de bus situé en face de l’appart qu’il prenait pour aller en ville.

Nate, avant d’entrer dans le rap game montréalais
Nate, avant d’entrer dans le rap game montréalais
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Je lui demande s’il a des frères et soeurs. «It’s complicated», me répond-il. Je sens que je me suis aventuré sur un terrain glissant et j’essaie de changer de sujet. On prend quelques photos devant une murale sur le côté du logement et on décolle déjà vers de nouveaux horizons: le centre communautaire.

Petite pose devant une murale tout près de son appartement de jeunesse
Petite pose devant une murale tout près de son appartement de jeunesse

Là où tout a commencé

On revient sur Saint-Martin, pas loin de notre point de départ. On monte la rue vers le centre communautaire Youth in Motion, là où l’artiste a appris à rapper, à jouer du drum et a passé beaucoup de temps avec ses amis.

https://www.instagram.com/p/CDAXosOnhWs/

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Un gars passe à côté de nous en auto. Nate lui lance un «What’s up homie!», le conducteur s’arrête à côté de nous, fraternise avec le duo. Lui aussi rapper, il tient à faire entendre son dernier morceau, une pièce qui fait trembler le bolide au complet tellement les basses sont intenses.

«That’s dope!», approuve Nate avant d’avancer vers le centre communautaire.

Dans le salon du centre, orné de plusieurs tags et graffitis qu’on dirait faits au Sharpie, des ados jouent aux jeux vidéos. Ils saluent tous mes deux guides, font un mouvement de tête en ma direction. On poursuit notre chemin vers les studios au sous-sol. Des escaliers escarpés nous mènent à une pièce au plafond juste assez haut pour épargner mon cuir chevelu.

L’espace se résume à un petit studio d’enregistrement sombre sur la droite et une autre pièce sur la gauche pour enregistrer les beats. Trois jeunes filles occupent la pièce. «Vous enregistrez du rap? Vous avez des barz? C’est quoi vos noms de rappeuses?» les mitraille Nate. Les ados ricanent, visiblement gênées par la présence du «Don» du coin.

Le rapper en train de taquiner trois jeunes futures rappeuses dans le studio
Le rapper en train de taquiner trois jeunes futures rappeuses dans le studio
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«J’ai découvert le rap à 16 ans juste ici. Je venais enregistrer mes premières tracks après l’école. J’ai passé des centaines d’heures là-dedans», me raconte-t-il en multipliant les regards vers son cell. «Je vais devoir y aller, j’ai des petits money moves à faire».

On sort du centre communautaire. La chaleur est toujours aussi accablante même si l’après-midi tire à sa fin.

On se laisse avec un autre elbow bump, un peu moins awkward cette fois-ci. Le rapper grimpe dans son 4×4 BMW blanc. Je tourne le coin de la rue pour retourner vers le métro, mon t-shirt noir traumatisé par les bretelles de mon sac à dos qui ont laissé des traces imbibées de sueur.

Quelqu’un klaxonne dans mon dos. Nate passe à ma hauteur, fait un signe de peace par la fenêtre. Alors que j’entre dans le métro, le gros beat du parrain de Lil Burgundy se fait encore entendre au loin.