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La pandémie serait-elle en train de nous aider à apprivoiser notre nordicité?
« Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver », chantait Gilles Vigneault. Si j’avais écrit les paroles de cette chanson, j’aurais probablement ajouté: « c’est l’hiver… qui en finit pu de finir, c’est la slush, c’est les bus qui ne passent pas quand il fait -40, c’est des lèvres gercées et les nuits glacées. »
Vous l’aurez compris, l’hiver n’est pas ma saison préférée.
Coup de théâtre: cette année, avec la pandémie et le confinement, le seul lieu où il est possible de faire des activités hors de la maison, c’est en plein air. Patin, ski de fond, raquette, bonhomme de neige, longue marche dans la tempête : tout le monde s’y met, les parcs sont pleins, les pistes débordent de gens qui débordent de joie. La pandémie serait-elle en train de nous aider à apprivoiser notre nordicité?
Un nouveau terrain de jeu
« En ce moment, à cause des consignes sanitaires, il n’y a pas d’activités organisées. On ne peut pas suivre de cours ni aller au cinéma, au théâtre ou au restaurant. Qu’est-ce qui nous reste? L’extérieur! » affirme Sophie Paquin, urbaniste et professeure au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM.
«Il y a bien juste les Québécois, surtout les citadins, pour haïr l’hiver.»
Selon l’urbaniste, on observe beaucoup de familles et de personnes regroupées en « bulle » qui marchent et font des activités dans les parcs pour le plaisir, mais aussi, on va se le dire, parce qu’il n’y a rien d’autre à faire. « On est tannés de rester à l’intérieur, donc cette année, la ville devient notre terrain de jeu. On explore les patinoires, les parcs, les pistes de ski de fond, parfois même pour la toute première fois. C’est la seule possibilité pour se divertir et pour se dégourdir », affirme-t-elle.
Je suis un bon exemple de ce que décrit Sophie Paquin: en décembre, je me suis acheté une paire de patins. Pour une fille qui n’en avait pas fait depuis 7 ou 8 ans, je vais désormais patiner 2 à 3 fois par semaine depuis le début de l’hiver. Et vous savez quoi? J’aime vraiment ça, et je me demande pourquoi je n’ai pas fait ça les années précédentes.
« Il y a bien juste les Québécois, surtout les citadins, pour haïr l’hiver, lance Sophie Paquin en riant. C’est comme si on oubliait que l’hiver allait revenir chaque année et durer presque 6 mois. C’est une excellente chose que les gens redécouvrent les activités hivernales, ça aide à apprécier la saison froide et c’est excellent pour la santé! »
Mon chemin, ce n’est pas un chemin, c’est la neige
«La rue et les parcs sont les nouveaux espaces de socialisation et on constate que les citoyen.ne.s les investissent de façon créative.»
Pour François Racine, architecte, urbaniste et professeur au département d’études urbaines et touristiques de l’UQAM, le confinement a effectivement un impact pour la redécouverte des plaisirs hivernaux, mais aussi, du potentiel de nos quartiers. « En ce moment, la rue et les parcs sont les nouveaux espaces de socialisation et on constate que les citoyen.ne.s les investissent de façon créative, affirme François. Les gens font de la raquette sur les chemins de fer, créent des pistes de ski de fond de fortune dans les parcs, bâtissent de véritables musées de bonhomme de neige. On recommence à jouer dehors comme quand on était enfant. »
Selon l’architecte, puisqu’on demande aux gens de ne pas se déplacer dans d’autres régions, les activités que l’on faisait habituellement en nature sont rapatriées en ville. « En plus, avec le couvre-feu, on doit condenser nos activités extérieures avant 20h. Et comme on n’a pas forcément le temps d’aller loin si on veut être rentrés à la maison à l’heure, on a tendance à rester dans notre quartier, donc à explorer son plein potentiel. Ça nous incite à faire des découvertes autour de chez nous, et c’est très positif », ajoute-t-il.
Ski de fond, boulot, dodo
«Le temps que l’on sauve en transport peut être réinvesti dans des activités.»
Le bon côté du télétravail, qui fait maintenant partie de notre quotidien, c’est que le temps que l’on sauve en transport peut être réinvesti dans des activités et des loisirs. Certaines personnes sauvent même jusqu’à deux heures par jour en temps passé dans le métro, le bus, le train de banlieue ou dans le trafic.
Il y a quelques jours, je suis allée me promener au parc Lafontaine vers 18h et la patinoire était pleine de monde, phénomène que je n’aurais jamais constaté l’an dernier, en pleine semaine, à l’heure où les gens sont habituellement dans les transports. « Si le télétravail, complet ou partiel, s’implante au-delà de la pandémie, si on délaisse le 9 à 5 traditionnel et que la migration entre la banlieue et la ville diminue au profit du travail à la maison, c’est très probable que les gens qui ont nouvellement pris l’habitude d’aller faire un peu de ski ou de jogging d’hiver entre le boulot et le souper conservent cette habitude », croit François Racine.
En effet, ce que l’on vit en ce moment, en plus d’être une pandémie à proprement parler, est aussi une révision complète de nos habitudes de vie, nos horaires et nos conceptions du temps et de l’espace.
Vers une ville 4 saisons?
«Continuons à créer des lieux de socialisation, des sentiers glacés, des endroits ludiques adaptés à nos hivers, on a besoin de ça.»
La semaine dernière, l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal a annoncé son projet d’implantation de terrasses hivernales, dont les citoyens pourront profiter dès l’hiver prochain. « C’est quelque chose que l’on voit beaucoup en Europe, note Sophie Paquin. Un concept comme les terrasses chauffées est critiqué au niveau environnemental, mais si on trouve le moyen de créer des endroits de rencontre et de socialisation éco responsables adaptés à l’hiver, c’est une excellente nouvelle, affirme l’urbaniste, qui considère que les installations extérieures plus adaptées à la saison froide devraient déjà être mises en place au Québec. « Ça va nous permettre de nous réapproprier ce qui fait partie de notre ADN. On va peut-être arrêter de détester l’hiver et attendre que ça finisse. Continuons à créer des abris, des lieux de socialisation, des sentiers glacés, des endroits ludiques adaptés à nos hivers, on a besoin de ça! » affirme Sophie Paquin.
Pour l’urbaniste, les mesures sanitaires et les contraintes qui en découlent agissent comme un accélérateur. « En ce moment, la ville est prise avec ces nouveaux enjeux-là, qui viennent de s’imposer à l’agenda public. Si ça sert de levier pour pérenniser des initiatives et des infrastructures 4 saisons, ça aura un peu valu la peine, ajoute Sophie Paquin.
C’est pour toi que je veux posséder mes hivers
«Je souhaite que les nouvelles habitudes urbaines hivernales perdurent, tant que tout le monde peut en profiter.»
Pour Sophie Paquin et François Racine, la pandémie a un impact certain sur les pratiques hivernales urbaines et sur la manière dont on se réapproprie individuellement et collectivement notre nordicité. Les impacts sur notre santé, notre créativité et nos loisirs sont nombreux et très positifs, encore faudra-t-il que les arrondissements suivent le pas. « Il va falloir faire attention à ce que l’offre suive la demande, affirme Sophie Paquin. Il faut qu’il y ait de l’équipement et des endroits disponibles pour combler les envies et les nouvelles pratiques de la population. Il ne faudrait pas que, ultimement, tout cela crée des inégalités sociales entre les arrondissements et désavantage les populations défavorisées. Il faudrait qu’on construise des sentiers glacés plus vastes, qu’on puisse emprunter de l’équipement gratuitement, trouver des solutions pour attirer les ados, impliquer les organismes communautaires pour ne pas délaisser les personnes défavorisées, etc. Donc oui, je souhaite que les nouvelles habitudes urbaines hivernales perdurent, tant que tout le monde peut en profiter. »
Sur ce, je m’en vais patiner, bye.