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« Eka metshetet pemeteteu », là où le crabe abonde – Partie V
« Eka metshetet pemeteteu », là où le crabe abonde est un récit publié en cinq parties. Pour tout lire, rendez-vous ici.
« Bourbeau! T’es-tu prêt à jouer sur l’premier trio? », hurle Norbert, me tirant du sommeil. Mon capitaine, ce croyant qui ne pêche jamais la fin de semaine de Pâques. C’est ma dernière sortie avec lui.
Caopacho profite du congé pascal pour retrouver sa copine dans la capitale nationale, où elle étudie. Pierre-Luc le remplace. Un ancien du S.J. Horizon, lui aussi de Mani-Utenam, dorénavant employé à faire du 14/14 dans les mines de Fermont.
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On ajoute au pont une table de travail faite sur mesure pour aider notre posture. La journée consistera à lever la centaine de cages que l’on a placées pendant la semaine. Secrètement, l’espoir d’une grande pêche nous envahit.
Au large, la mer s’anime, prémisse de la tempête annoncée pour demain. Mais nous n’avons que faire des remous, les premières cages débordent enfin des araignées tant convoitées. Ça pétille sur le pont. On doit agir le plus rapidement possible pour remettre les pièges là où ça mord. On se croirait sur un paddock de F1.
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Des rafales de crabes s’effondrent encore et encore sur la table de tri. Vite, de la nouvelle bouette. Nourrir les rats. Éviter leurs fientes. Lancer les petits crabes. Remplir les pans. Maintenir le rythme, une bouée à chaque 1/5 de mille.
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Vendredi saint, la plus fructueuse journée de mon eldorado s’achève une fois la cale pleine. Quatorze heures « de gros crâbe », comme dirait Junior. Cent cinquante-trois pans d’or orangé pour près de 9 000 livres à la pesée. Norbert serre dans ses bras Edward, qui vient de traverser avec fougue un long quart essoufflant.
Je place mes gants pour une dernière fois sous la chaufferette. J’ai lancé le grappin, jeté des cages, capturé des pemeteteu géants. Je peux rentrer à Montréal la tête haute. Nobert me dit que je ferais un bon pêcheur.
Avant de se coucher, le capitaine me révèle, ému : « Y’a pas une journée qui passe sans remercier les habitants de Uashat de ne pas m’avoir élu. Juste être sur l’eau avec mes garçons, comme aujourd’hui, je peux dire que je suis gâté pourri par la vie. »
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Journée d’écriture à l’abri des bourrasques du diable qui font vibrer l’ossature du motel prêt à s’envoler. Le traversier Matane-Godbout est annulé. En après-midi, ça cogne à la porte. On reçoit la visite impromptue d’un Baie-Trinitois souhaitant négocier des pans pour les célébrations. Le crabe est ici une tradition. Son nouveau prix l’est moins. Désolé.
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De retour à Uashat, cette fois pour le grand festin dominical de Pâques avec toute la famille. On craque des pattes à s’en défaire les mains au son de la radio chrétienne. Voisin.e.s, cousin.e.s, tantes et ami.e.s viennent tous et toutes commenter nos prises que l’on prépare à la vapeur salée, assaisonnée de cannabis et de cette langue chantée qui se conclut toujours en rires.
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Dans mon assiette : bannique, compote de graines rouges, saumon fumé « à l’indienne » de la Moisie, filets d’orignal, fettucine au crabe des neiges et à la mactre de Stimpson. Autant un privilège qu’un délice.
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Je reprends la 138, cette fois en direction inverse, mes cheveux blanchis par l’air salin et mes valises portant le fumet du hareng. Un parfum qui, j’espère, ne les quittera jamais.
Un voyage à la rencontre de la mer, mais surtout d’un succès désarmant. J’ai été convié à bien plus qu’une pêcherie, mais à l’amour d’une famille qui œuvre à mettre fin aux déchirements du passé. Un permis pour briser le cycle de la misère et ainsi bâtir un demain qui leur appartient.
Le fleuve, le vent, le crabe, voilà les alliés de ces vies que personne ne connaît au sud. La douce révolte d’un équipage à la culture trahie par l’Histoire, d’un grand-père déterminé à léguer tout son savoir à ses fils. Un ordre des choses si souvent bafoué.
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Je vais m’ennuyer de nourrir les fous de Bassan, des pincements de la Côte-Nord, terre d’accents et de rouille, mais qui, avant tout, fut inondée par la gentillesse de ceux que je peux aujourd’hui appeler mes amis.
Tshinashkumitin.