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La musique en mode Terre brûlée

Par
Éric Samson
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Les Romains du deuxième siècle avant J-C voulaient vraiment prendre contrôle de la ville africaine de Carthage. Mais après deux tentatives sans succès, un moment donné, c’est devenu personnel. C’est là qu’on a commencé à entendre les sénateurs dire qu’il fallait arrêter de juste “prendre le contrôle”: il fallait les faire payer. Carthage devait être effacée de la face du monde. “Carthago delenda est”.

La semaine passée, le site Partitions101 a été fermé par son propriétaire, suite à une menace de poursuite de la part d’Editorial Avenue, le plus grand éditeur musical au Québec. Vous ne savez pas ce qu’est un éditeur musical? C’est une compagnie qui achète les droits de reproduction des paroles et de la musique d’une chanson, pour ensuite ramasser un montant sur chaque reprise ou utilisation commerciale. Et Partitions101, c’était le site de Luc Veillette, qui recensait à peu près 10 000 partitions musicales d’oeuvres québécoises. Si tu voulais apprendre à jouer Montréal -40, Hawaïenne ou Le phoque en Alaska, tu allais sur Partitions101 et tu trouvais tout ce dont tu avais besoin. La plupart du temps, les accords (et, surtout, les paroles) étaient transcrites par des amateurs; ça donnait des résultats approximatifs, mais généralement corrects — un peu comme Wikipedia: pas assez fiable pour se baser là-dessus totalement, mais règle générale, tu t’en sors assez bien.

Partitions101 delenda est
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Bootleg delendum est.
Dans les deux cas, officiellement et légalement, les ayant-droits ont raison (passons outre le fait que le montant demandé par Prince est totalement irréaliste, la loi américaine prévoyant un maximum de 150 000$ par infraction). Il s’agissait de violation de la propriété intellectuelle dont ils ont la garde exclusive, et ils ont défendu leur position. Soit.
Mais qui y gagne quoi? Dans le cas de Partitions101, le site est fermé et Editorial Avenue va compter ça comme une victoire. Par contre, le public vient de perdre une ressource inestimable, et la musique québécoise vient de perdre une vitrine importante. Les paroles et les accords des oeuvres d’artistes québécois ne sont plus présents sur le web. Disparus. Et un homme qui, depuis dix ans, travaillait bénévolement à faire découvrir des chansons à un plus large public vient de se faire dire de rentrer chez lui.
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Je ne connais pas quelle stratégie consiste à poursuivre ses plus grands fans ou des gens qui travaillent pour toi gratuitement, mais ça ne me semble pas être une idée particulièrement gagnante.
J’ai choisi ces deux exemples parmi plusieurs autres, simplement pour illustrer un des plus graves problèmes avec les institutions musicales et, plus largement, culturelles, à l’heure actuelle. On veut garder le contrôle, à tout prix. Et c’est là qu’on en vient à prendre des décisions qui sont aussi contreproductives que celles-ci.
Pour survivre, l’industrie musicale devra comprendre qu’il est impossible de remettre le dentifrice dans le tube et qu’il vaudrait bien mieux apprendre à travailler avec les fans plutôt que contre eux.
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(Photo: les ruines de Carthage)
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