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La mince ligne entre creep et cute

Par
Kéven Breton
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Mon dernier texte Faire l’épicerie tout seul m’a donné droit à une série d’exclamations du style “Ohh c’est cute au boutte”. Une de mes tentatives à l’eau de rose aura donc, pour une fois, eu l’effet escompté. Une petite victoire que je savoure pleinement. Parce que j’aborde habituellement bien mal le sexe opposé. Et parce qu’entre être considéré creep ou cute, la ligne est mince.

Pis c’est sur ce mince fil de fer que je titube maladroitement et depuis trop longtemps tel un funambule. Je suis un humain ben quétaine. Mais avant d’entrer à l’université, j’étais aussi pas mal timide. J’intériorisais donc tout ce pan de ma personnalité. Et ma vie était pas mal plate. Je me rabattais donc sur comédies romantiques et sitcoms jusqu’à me dire : dans le fond c’est pas la vie qui est plate, c’est toé. T’as juste à agir un peu plus comme Michael Cera pis toutes les filles vont te trouver drôle.
LOL non.
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Ma première pirouette romanesque s’est conclue en une pitoyable et humiliante chute. Qui m’a valu l’étiquette de «gars creep» pendant tout le long de mon bac. C’était à la cinquième semaine de ma première session. On est encore à ce stade bien préliminaire où on tente de cerner la personnalité de nos nouveaux collègues. Pour l’autre, on est encore juste le gars qui a fucking trop bu à l’initiation pis qui a vomi sur le dancefloor. Ou la grande rousse de l’Abitibi qui a torché tout le monde à flip the cup. C’est cette période où tout le monde s’étudie avant de former les p’tites cliques. Moi, je jouissais encore de l’anonymat, en vertu de ma non-présence à ces soirées d’initiation. Personne savait vraiment trop qui j’étais. Mon gros trait de personnalité distinctif c’était que j’étais en fauteuil roulant.
J’avais remarqué une fille que je trouvais ben sympathique. Appelons-la Julianne. Aux premiers échanges, elle m’apparaissait être assez réceptive à mon humour que plusieurs qualifient de «pas rapport». Dans un cours, elle était toujours assise quelques rangées derrière moi dans une classe en configuration auditorium. Elle avait donc une vue optimale sur mon laptop. Juste avant un cours, j’ai pensé que ce serait une bonne idée de stalker son Facebook et de me bâtir une mosaïque de ses photos de profil en guise de fond d’écran. Je trouvais le gag totalement hilarant et j’étais certain qu’elle en penserait de même : pantoute. Elle l’a pas trouvé drôle. Et juste comme ça, j’étais devenu le «gars creep» de ma cohorte. Je m’excuse Julianne (sincèrement).
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Cette cuisante défaite n’a toutefois pas suffi à faner la fleur bleue en moi. J’ai récidivé plus tard avec l’épisode qui se veut être le plus Adam Sandleresque de ma vie. Ma job d’été – la plus chill ever – consistait à placer des encarts publicitaires dans les agendas avant de les distribuer aux étudiants. J’exécutais machinalement cette tâche aliénante quand le jeune pas-tout-à-fait-adulte que je suis a eu une autre merveilleuse idée. «Je pourrais écrire mon numéro de téléphone dans une couple d’agendas au hasard lol»
NON, encore mieux : «Je pourrais écrire mon numéro de téléphone dans une couple d’agendas au hasard DANS LA CASE 14 FÉVRIER lol»
Numéro de téléphone d’un gars célibataire au cas où. XXX-XXXX. Kéven.

Avouez qu’on a là le synopsis d’un film avec Michael Cera qui n’attend qu’à être produit.

Comme quoi parfois provoquer le hasard, ça vaut le coup. C’est pour ça que je vous dit : soyez donc sensibles à ces petits clins d’oeil louches. À ces petits gestes malhabiles du quotidien. Souvent, ils sont ben inoffensifs et ont pour unique but de faire votre journée.
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Pis si ça marche pas, ben vous retournerez sur Tinder à jaser avec des inconnus géolocalisés par votre téléphone intelligent. Si vous trouvez ça moins creepy.

Illustration : la très cute Caroline Rossignol