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La main

Par
Catherine Ethier
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Un jour ou l’autre, au moment où tu t’y attendras le moins, elle te trouvera.

Seigneur.
J’ai le chapeau tout droit sorti d’un biscuit de chez Bill Wong (feu Bill Wong, ce buffet chinois du boulevard Taschereau qui avait fermé ses portes pour cause de rats dans la soupe. Et bien entendu, on y allait chaque semaine).

Mais je te promets que tôt ou tard, donc, cette main dont je m’apprête à te parler te donnera des frissons jusque dans le nerf optique.

Je ne saisis pas pourquoi j’ai encore du mal à gérer contact si anodin.
Après plus de 20 ans à me partager le wagon, le love seat et la petite sangle en loop à laquelle je réussis rarement à m’accrocher (sans avoir l’impression d’être suspendue au-dessus d’un précipice ou que ma belle blouse va fendre du tsoure de bras) dans le bus et le métro, je devrais pourtant être en mesure de survivre à un contact humain.

J’aime les humains. Leur contact, moins.
Leur contact physique IMPOSÉ, on s’entend.

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Jamais je ne bouderai une franche accolade de type Quatre filles et un jean avec les gens qui me sont chers. Vous savez, ceux avec qui j’ai élevé les pourceaux (et tous ces souriceaux qui bondirent dans des cercles de feu).

Mais quand, dans une audacieuse ride Berri-de-Montigny/Jarry, un individu s’agrippe avec ferveur au même poteau que moi et que nos petits poings crispés entrent en contact (non pas dans le cadre d’un combat mano a mano, mais par un beau morceau de hasard qui fait se rencontrer nos coussinets de paumes un peu humides), je suis parcourue du même petit moment d’éternité que quand ma jupe virevolte avec la poésie d’un poménarien en flammes pour révéler mes collants au fond de culotte lousse dans l’entrée de la station Laurier, une entrée où la succion éolienne est certifiée DYSON (ladite succion entraînera d’ailleurs sans doute un jour ma disparition. « Disparue par succion », qu’on pourra lire dans le journal, à côté d’une vente de sofas).

Cette main qui vient à ma rencontre sur le poteau de métro.
CUIR CONTRE CUIR.

Quand la chose se produit, sauf dans d’inexplicables cas où le propriétaire de la main fait du pouce sur ma chaleur corporelle avec délice, les mains inconnues qui se touchent se séparent généralement dans la nanoseconde.

Eeeeew. Eeeew eew.
La chorégraphie de petites mains secouées dans tous les sens comme si le feu était pris et la sauge qui se brûlerait sous une trame sonore de cris aigus si le prix à payer n’était pas d’avoir l’air d’une calvaire de folle, JE VOUS DIS PAS.

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En ces moments précis, règle générale (une expression qui mérite un tisheurte), je suis investie d’une épatante propension à me la jouer Actors Studio. Et je vous dis que j’ai la palette fertile; tantôt détendue, tantôt indifférente et souvent faussement absorbée par cette affichette m’invitant à m’inscrire sans tarder au Collège de Secrétariat Moderne (sans quoi je raterai ma vie et décéderai dans le trimestre), je m’émeus moi-même. Théâtre de la Marjolaine, you found your nouvelle tête d’affiche. Oh que je suis relax; rien n’y paraît. Mais à l’intérieur, c’est Pompéi. Un Pompéi discret d’où, si l’on tend l’oreille, on peut entendre le violent crescendo ultrasonique suivant:

Touche-moi pas touche-moi pas touche-moi pas NE ME TOUCHE SURTOUT PAS.

Ta main chaude ou un coup de glaive dans le sacrum, même affaire.

Et si tu choisis, si tu choisis de coller ta petite patte pleine de beurre sur autrui sans la relocaliser une fois le contact établi, puis-je me permettre de te suggérer de retourner à l’école des Saints-Anges, ANIMAL? Thérèse et Pierrette t’y attendent au cours d’étiquette et de pliage de napkines.

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Oh, je sais.
Voilà bien mince combat, bien mince prémisse, un matin où j’aurais pu vous entretenir du référendum écossais (et son taffy).

Mais j’ai, paupière spasmatique, choisi de vous parler de mains qui se touchent. Et de fils, aussi.

C’est que je suis chaque fois fascinée par ma réaction démesurément dégoûtée par le cuir d’autrui. Démesurément irrationnelle. Comment une petit main boudinée qui me frôle la phalangette peut-elle me transporter illico dans la scène où Aurore bécotte un rond de poèle à high?

Tu touches ma main,

Les jambes me lâchent.
Ma fleur se fane.
Je souille ma culotte.
J’accouche de Blanche dans le grésil.
Et je meurs, accroupie.
Puis, dans une étonnante rage de vivre, je renais et revis le contact de ton cuir contre mon cuir pour finalement mourir.

À jamais (parce qu’il y aura pas de renaissance. Je suis toujours ben pas un phœnix. Ou Michel-Ange).

Ce sera tout pour aujourd’hui.

La bise.

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PS TENDRESSE :: merci pour cette lecture. Qui que tu sois, tu m’as fait du bien.