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La ludification des espaces publics

Les pianos publics et les glissades d'eau en pleine ville, c'est le fun, mais est-ce que ça sert à quelque chose?

Par
Maude Carmel
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Dans une société pratico-pratique où tout le monde se presse et où chacun tente de trouver le moyen d’être plus efficace que son voisin, on oublie parfois que respirer, sympathiser, prendre son temps et s’amuser, c’est aussi important.

Pour nous le rappeler, de plus en plus de villes installent des projets ludiques à même les rues. La ville de Bristol, au Royaume-Uni, est une des championnes dans ce domaine. Dès 2012, elle a lancé le projet « Playable City », qui réunit des idéateurs chaque année pour rendre la ville de plus en plus amusante. Depuis, il est possible de partir à la chasse aux zombies dans son centre-ville, ou même de descendre une glissade d’eau de 95 mètres de long sur une de ses principales artères commerciales.

Montréal aussi se débrouille, côté installations amusantes. On peut penser aux pianos publics qui égayent les trottoirs de plusieurs quartiers ou encore aux 21 balançoires derrières la Place des Arts.

Mais à part faire sourire les passants, est-ce que ça sert à quelque chose, tout ça ?

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Conjuguer transport et vie ludique

Pour Juan Torres, professeur à la faculté de l’aménagement à l’Université de Montréal, c’est clair que oui. « Le jeu est important, surtout dès l’enfance. Les enfants appréhendent leur monde à travers les jeux, et c’est surtout une excellente manière de connaître le monde, notre quartier, nos voisins. Dans une ville, les espaces ludiques sont de nécessaires lieux de rencontre. »

Les espaces publics ont d’ailleurs toujours été fondamentaux pour structurer une société. « Mais depuis le siècle dernier, ces espaces sont davantage vus comme des lieux de circulation. On ne les voit pas automatiquement comme une partie intégrante de la vie ludique », explique-t-il. Pourtant, les installations ludiques encouragent les échanges entre citoyens et développent leur sentiment d’appartenance à leur ville. Elles peuvent aussi donner un sens à un quartier, d’après l’équipe du Pictographe, qui est notamment derrière les Gamélites – les nains en pierre des Jardins Gamelins qui ont vécu des aventures tout au long de l’été et que les gens pouvaient suivre sur leur page Facebook. Pour Le Pictographe, ces petites interventions relèvent du « design vivant, de poésie de l’humain ».

«Depuis le siècle dernier, ces espaces sont davantage vus comme des lieux de circulation. On ne les voit pas automatiquement comme une partie intégrante de la vie ludique.»

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C’est vrai que ce n’est pas aux voitures qu’on doit la magie du paysage urbain. Au contraire, notre dépendance à l’automobile nuit à la vitalité des rues. On a beau se plaindre que certaines places de stationnement ont été amputées au profit de placottoirs et de « jeux urbains », on doit avouer que certaines installations, en plus de refléter la culture locale, peuvent améliorer la sécurité piétonnière, en plus de régler certains problèmes municipaux.

Par exemple, à Oslo en Norvège, l’application ludique « Traffic Agent » a été créée pour permettre un passage piétonnier plus sécuritaire pour les enfants, en plus d’encourager la marche. Le concept est génial: les utilisateurs de l’application deviennent en quelque sorte les «agents secrets » de la ville. Autant les adultes que les enfants peuvent envoyer des « rapports confidentiels » sur le chemin de l’école ou du travail, en indiquant les passages piétonniers plus difficiles ou les lourdes zones de trafic. Les dangers sont ensuite localisés grâce aux GPS, et donc plus rapidement réglés.

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À Mexico, en février 2016, plus de 3500 citoyens ont participé à un jeu pendant deux semaines afin d’améliorer le système d’autobus, qui à l’époque n’avait pas vraiment de routes prédéfinies. Avec l’application « Mapaton », les joueurs gagnaient de l’argent et des points en donnant de l’information sur leur localisation et sur les routes qu’ils empruntaient le plus. Mission accomplie: les besoins en transport collectif sont instantanément devenus plus clairs pour la ville. « Le jeu, c’est sérieux », assure Juan Torres.

Montréal, la ville aux quatre humeurs

Évidemment au Québec, un des principaux défis, c’est le changement de saisons. « Malheureusement, les espaces de jeux sont souvent fermés pendant l’hiver. C’est souvent pour des raisons d’assurances et de sécurité, mais quand on y pense, certaines aires de jeux pourraient être encore plus intéressantes l’hiver grâce à la neige, qui est ludique en soi », explique le professeur. Montréal en Lumières fait un effort depuis quelques années, avec les installations de la série Luminothérapie – comme Impulsion et ses 30 bascules géantes ou l’œuvre rétrofuturiste Loop. Ces projets sont précieux, mais c’est dommage que la neige et toutes les variations de notre climat ne soient pas davantage EXPLOITÉES. « La ville fait des efforts, mais le retard est immense si on souhaite s’engager davantage dans le domaine de la vie publique à l’année longue. »

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Chaque espace veut jouer

Pour l’instant, les espaces que l’on entend comme « ludiques » sont peu nombreux et limités à des endroits précis, comme la Place des Festivals ou certaines ruelles. Mais on gagnerait à les normaliser plutôt que les considérer comme des exceptions. Et pas besoin d’un réel jeu pour inciter les gens à jouer dehors: le jeu peut être suscité de 100 manières différentes. Chaque espace public, qu’il soit consacré au verdissement, aux rencontres sociales, ou même aux déplacements, a un potentiel de jeu, d’exercice ou tout simplement d’apaisement. On peut penser par exemple à l’escalier-piano de Stockholm , qui vise à encourager les gens à emprunter les marches plutôt que l’escalier roulant. Une initiative inspirante qui ne comporte que des bénéfices. Même si les propositions ludiques vous font d’abord sourire, elles ont toutes une mission bien précise: améliorer le train de vie individuel et collectif.

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