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La loi pour les nuls: la défense d’intoxication

Par
Rémi Bourget
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Comme tu le sais peut-être déjà, j’arrive pas encore à gagner ma vie en écrivant des chroniques de l’Esss ou des critiques de poutine dans ton URBANIA. Non, dans la vie, j’ai une vraie job d’avocat. Pis si y’a une affaire que je remarque en déroulant Facebook pis Twitter, c’est qu’il y a pas mal de monde qui comprend un peu tout croche, quand y’est question de droit.

Probablement que les juristes ont une petite part de responsabilité là-dedans. On discute souvent entre nous autres, mais on s’adresse pas souvent au reste du monde, pis quand on le fait, on leur parle souvent comme s’ils étaient tous avocats, sans même qu’on s’en rende compte. Ça fait que, quand ma rédactrice en chef m’a demandé si ça m’intéressait de préparer des textes pour essayer de démêler des concepts de droit, dans un langage familier et accessible, j’ai pas hésité une seconde.

Aujourd’hui, je vais te parler de la défense d’intoxication (eille, pars pas! Tu vas voir, ça va être nice!).

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Mais avant de commencer, je t’avertis tout de suite, y’a absolument aucun avis juridique qui est donné dans les chroniques La loi pour les nuls. Ah oui, pis si t’es assez dans marde que la seule option qui te reste soit de plaider la défense d’intoxication, prends-toé un avocat; ça presse! Pis appelle-moé pas, parce que je fais pas de droit criminel.

Je fais pas de droit criminel, mais en lisant la suite, tu vas comprendre pourquoi j’ai jamais oublié la défense d’intoxication, depuis que j’ai appris c’était quoi dans le cours de Mme Labrèche, y’a déjà dix ans de ça. La décision de principe qu’on lisait à la Faculté de droit, c’était l’arrêt Daviault. Si t’es assez courageux (ou maso), tu peux aller la lire icitte.

Daviault, c’était un gars qui disait pas souvent non à une p’tite bière, ou dix. Mais à part ça, il paraît que c’était un ben bon gars. Même que sa femme pis lui aidaient souvent une vieille madame paralysée à faire ses commissions, vu qu’elle était en chaise roulante pis qu’elle aurait eu ben d’la misère à faire ça toute seule. Ce jour-là, la vieille madame avait appelée Daviault pour qu’il vienne lui porter une bouteille de brandy. Lui, il avait passé la journée au bar où il avait bu 7-8 bières. Quand la vieille madame lui a demandé s’il voulait un p’tit verre de Brandy, tu peux ben t’imaginer que Daviault allait pas lui dire non.

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Mais les gars comme Daviault, quand ils prennent un verre, c’est comme si leurs digues lâchaient pour déclencher un torrent. Ça fait qu’après s’être fait offrir un verre, il a fini par caler toute la bouteille de brandy, pendant que la vieille bonne femme se doutait de rien pis qu’elle était allée se coucher. Jusqu’à tant qu’elle ait envie de pisser, en plein milieu de la nuit… C’est là que Daviault, après avoir bu ses 7-8 bières et le 40 onces de brandy, a saisi la bonne femme par la chaise roulante, l’a ramené dans sa chambre, l’a projeté sur le lit pis l’a agressée sexuellement, comme un estie de sauvage.

Lui, il disait qu’il se rappelait plus de rien, après son premier verre de brandy, pis qu’il ne comprenait vraiment pas pourquoi il s’était réveillé, tout nu, dans le lit d’une paraplégique de 65 ans, à quatre heures du matin. Pendant le procès, il avait engagé un expert qui avait indiqué que son taux d’alcoolémie dans le sang était de 400 à 600 milligrammes par 100 millititres de sang (genre, 0,4 à 0,6, quand la limite légale pour conduire est à 0,08). Quelqu’un de normal serait mort ou tombé dans le coma, mais son organisme à lui était crissement habitué de métaboliser l’alcool. Sauf que son expert a dit que ça avait provoqué chez lui un black-out, qu’il avait perdu tout contact avec la réalité et la Cour a retenu qu’il était tombé dans un “état d’intoxication extrême voisin de l’automatisme”.

Daviault a été acquitté par le premier juge, avant d’être condamné en appel.

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Dans une décision partagée, la Cour suprême a cassé la condamnation et ordonné la tenue d’un nouveau procès. Si on entre dans les détails, cette décision est vraiment compliquée, mais ce qu’il faut retenir, si tu fais partie du commun des mortels pis que t’as pas d’examen de droit pénal à préparer dans deux semaines, c’est que ça prend pas juste un acte coupable/illégal pour être trouvé coupable d’un crime, ça prend aussi une intention coupable. Pis que, même si c’est crissement pas brillant de s’intoxiquer autant, l’intention de commettre un crime violent comme une agression sexuelle ne pouvait pas être déduite de l’intention de s’intoxiquer.

Le problème dans un cas comme Daviault, c’est que son “état d’intoxication extrême voisin de l’automatisme” l’empêchait de réellement fomenter une intention coupable volontaire. Et les juges majoritaires de la Cour suprême avaient horreur du fait qu’il ait été déclaré coupable, sans avoir eu la volonté de commettre le crime. Pour eux, c’était un déni de justice. Ça respectait pas la Charte des droits.

En droit, ces juges avaient certainement rendu une bonne décision. Mais, dans la vraie vie, ça passait juste pas.

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Parce qu’en partant de là, t’auras compris que n’importe quel ti-coune qui aurait l’intention de commettre un crime pourrait essayer d’excuser ses gestes en s’intoxiquant avant, pendant, ou aussitôt après, jusqu’à atteindre un état “d’intoxication extrême voisin de l’automatisme” (en risquant par contre de tomber dans le coma ou de mourir intoxiqué).

Maintenant, on va mettre une chose au clair : les juges ont pas toujours raison. Des fois, ils se trompent. C’est pour ça qu’il y a une Cour d’appel. Et en haut d’elle, il y a la Cour suprême. Rendu là, c’est ben rare qu’elle se trompe. Mais ça arrive quand même. Pis y’a des fois où elle se trompe peut-être pas, mais où l’application des principes de droit pur vient heurter la conscience. Comme dans le cas de Daviault. Quand ça arrive, il reste juste une solution : que les élus modifient la loi.

Ça fait que quelque temps après l’arrêt Daviault, les élus ont fait leurs devoirs et ont adopté l’article 33.1 du Code criminel :

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33.1 (1) Ne constitue pas un moyen de défense à une infraction visée au paragraphe (3) le fait que l’accusé, en raison de son intoxication volontaire, n’avait pas l’intention générale ou la volonté requise pour la perpétration de l’infraction, dans les cas où il s’écarte de façon marquée de la norme de diligence énoncée au paragraphe (2).

Responsabilité criminelle en raison de l’intoxication

(2) Pour l’application du présent article, une personne s’écarte de façon marquée de la norme de diligence raisonnable généralement acceptée dans la société canadienne et, de ce fait, est criminellement responsable si, alors qu’elle est dans un état d’intoxication volontaire qui la rend incapable de se maîtriser consciemment ou d’avoir conscience de sa conduite, elle porte atteinte ou menace de porter atteinte volontairement ou involontairement à l’intégrité physique d’autrui.

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Infractions visées

(3) Le présent article s’applique aux infractions créées par la présente loi ou toute autre loi fédérale dont l’un des éléments constitutifs est l’atteinte ou la menace d’atteinte à l’intégrité physique d’une personne, ou toute forme de voies de fait.

Bref, c’est ben beau la défense d’intoxication, mais tu peux oublier ça si t’as porté atteinte à l’intégrité physique de quelqu’un.

Là, je te vois venir tout de suite avec tes gros sabots pour poser ta question à cent piasses : “MAIS COMMENT ÇA SE FAIT QUE PENDANT CE TEMPS-LÀ GUY TURCOTTE EST EN LIBERTÉ?”. Toé là, ça fait une couple d’années que tu penses qu’on a juste besoin de se caler un galon de liquide lave-glace pour être certain d’être acquitté han? Ben ça marche pas de même. Parce que ce genre de crime dégueulasse-là, t’es pas supposé t’en sauver par l’intoxication volontaire.

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Quand la Cour d’appel a décidé d’ordonner un nouveau procès, elle a bien dit que c’était parce que le premier juge n’avait pas bien expliqué les nuances entre les troubles mentaux et l’intoxication volontaire, alors que les experts entendus avaient tous souligné qu’il ne fallait pas juste tenir compte de son trouble d’adaptation, mais aussi de son intoxication, pour bien comprendre l’état mental de Turcotte (voir paragraphes 107 à 115 du jugement).

Bref, si c’est le fait d’avoir bu volontairement le liquide lave-glace qui l’a mis dans un état où il ne savait plus distinguer le bien du mal, Turcotte devrait être fourré. Comme vous autres, j’espère qu’il le sera, vu l’horreur des gestes commis. Maintenant que le jury délibère, on va le savoir bientôt…

***

Une autre chronique La loi pour les nuls bientôt!

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