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Je suis un peu mal à l’aise de commenter le verdict Ghomeshi, sans avoir assisté au procès et sans être spécialisé dans ce domaine de droit.
Mais avec toutes les âneries que je lis là-dessus depuis hier, je me permets néanmoins d’apporter certaines précisions.
Premièrement, certaines personnes semblent penser que le procès au criminel est tenu à l’initiative des victimes et pour leur bénéfice, afin qu’elles obtiennent réparation. Ce n’est pas le cas. Un procès au criminel est entrepris par l’État, dans le but de punir les coupables et de protéger la société.
Puisque l’État bénéficie de moyens considérables et que la sanction en jeu est tout aussi considérable (soit la confiscation de la liberté), on exige que l’État fasse la preuve de la culpabilité hors de tout doute raisonnable.
En passant, un acquittement ne veut pas nécessairement dire que les victimes mentaient. Ça veut juste dire que l’accusé a réussi à soulever un doute raisonnable. Même s’il réussit à prouver qu’il y a une chance minime qu’il n’ait pas commis le crime, il sera acquitté.
Parce que si l’État veut emprisonner un citoyen, il devra avoir accompli un travail irréprochable, de l’arrestation de l’accusé, jusqu’à la toute fin de son procès. C’est l’une des garanties fournies par l’État de droit.
Maintenant, si des victimes veulent obtenir réparation contre un agresseur, elles devront s’adresser aux tribunaux civils. L’impact du jugement criminel sera limité, puisque le fardeau de preuve n’est pas le même. Au criminel, on l’a vu, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable les éléments constitutifs de l’infraction. Au civil, le fardeau de preuve est moins exigeant; la victime devra prouver selon la balance des probabilités (soit plus de 50% de probabilité) qu’une faute génératrice de dommages a été commise à son endroit.
Bref, le fait que la Couronne n’ait pas été en mesure de prouver les agressions sexuelles hors de tout doute raisonnable ne veut pas dire que les victimes ne réussiraient pas à prouver qu’une faute a été commise à leur endroit, selon la balance des probabilités. Un peu comme dans le temps, quand O.J. Simpson avait été acquitté au criminel, mais condamné au civil…
Ça ne veut pas dire qu’il n’existe pas d’immenses problèmes avec la gestion des plaintes d’agression sexuelle et le traitement des victimes d’agression sexuelle dans le processus judiciaire. Ces problèmes existent; ils étaient connus avant le verdict Ghomeshi. Ils demeureront aussi suite à ce verdict.
Il faudra un jour s’y attarder s érieusement, si nous voulons que notre système de justice et notre État de droit conservent leur pertinence aux yeux des victimes d’actes criminels.
N’ayant pas assisté au procès, je me fie donc à ce qui fut rapporté par les médias. Or, selon ce que j’ai lu, les victimes avaient l’air sincèrement surprises lorsque certains courriels envoyés à l’accusé étaient produits en preuve ou lorsqu’elles étaient contre-interrogées sur les conversations qu’elles ont eues entre elles après la survenance des faits et pendant le processus judiciaire. C’était évident que les victimes allaient être confrontées à ça! Je ne peux pas croire qu’elles n’aient pas été mieux préparées à faire face à cette entreprise, surtout que tout le monde connaissait la réputation de guerrière féroce de l’avocate retenue par Ghomeshi et les ressources immenses de son cabinet.
De plus, la lecture du jugement laisse croire qu’aucune expertise sociologique ou psychologique fut soumise pour expliquer le comportement des victimes après l’agression… En l’absence de telle explication et d’une préparation adéquate des victimes, il me semble que cette cause était vouée à l’échec. Avant de remettre en cause le principe de présomption d’innocence, on pourrait peut-être exiger des représentants de l’État un travail irréprochable, quand vient le temps de mettre en prison l’un de nos concitoyens, aussi détestable soit-il.
Mais avant de déverser notre fiel sur les victimes, on devrait toujours se rappeler que l’accusé n’a besoin que de prouver un doute raisonnable pour être acquitté (il n’a d’ailleurs pas témoigné pour sa défense). Également, l’acquittement ne veut pas dire que ces femmes ont menti sur la question de l’agression, bien qu’il semble clair en lisant le jugement qu’elles ont menti sur certains faits connexes. Ce sont ces mensonges qui ont permis à l’avocate de Ghomeshi de soulever un doute raisonnable, sans même avoir eu à faire témoigner son client.
Ce qui est certain, c’est que ce verdict n’est pas la fin de l’histoire. C’est plutôt le commencement. S’il est prêt à témoigner, je gagerais un petit deux que Ghomeshi prendra, en plus de son recours contre CBC, un recours civil contre les plaignantes également qui sera suivi, j’imagine, d’une contre-poursuite de leur part. S’ils témoignent l’un contre l’autre, on pourra juger de la crédibilité de chacun et la vérité aura plus de chances de sortir.
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Pour lire une autre chronique judiciaire de Rémi Bourget : “La loi pour les nuls : la défense d’intoxication”