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La leçon essentielle de la série « Chernobyl »

Parce qu’on a toujours tendance à oublier notre propre histoire.

Par
Mali Navia
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Depuis quelques semaines, les médias parlent énormément de la mini-série Chernobyl de HBO. Cette dernière est rapidement devenue la série la mieux cotée sur IMDB, surpassant Breaking Bad et The Wire. Chaque épisode raconte la catastrophe nucléaire de 1986 avec une sobriété des plus efficace. Elle marque fortement notre imaginaire parce que ce qu’on y voit est vrai et pas surfait.

Rien de moins que l’excellence

Les acteurs Stellan Skarsgård (Scherbina), Jared Harris (Legasov) et la toujours excellente Emily Watson (Khomyuk) livrent des performances solides dignes de nominations aux Emmys. Ils ne sont pas Russes et ne font pas semblant de l’être et on y croit quand même. Au tout début du processus, le réalisateur a fait le choix de ne pas tourner la série en russe, ni de forcer les acteurs à prendre un accent.

À noter que le personnage de la physiciste Ulana Khomyuk (Watson) est complètement fictif. Le créateur de la série Craig Mazin expliquait au magazine Variety que celui-ci a été créé parce qu’il n’existait peu ou pas de femme en position de pouvoir en URSS.

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À noter que le personnage de la physiciste Ulana Khomyuk (Watson) est complètement fictif. Le créateur de la série Craig Mazin expliquait au magazine Variety que celui-ci a été créé parce qu’il n’existait peu ou pas de femme en position de pouvoir en URSS. Le vrai rôle d’Ulana Khomyuk est symbolique, elle sert à montrer la réalité de certaines femmes très éduquées, présentes en grand nombre «dans le corps médical de l’union soviétique».

Les critiques sont unanimes, la série est excellente. Elle nous fait ressentir une gamme d’émotions complexes et difficiles à nommer avec précision. Si certaines de ces émotions s’apparentent à l’horreur, à la peur, d’autres sont plus de l’ordre de l’empathie, voire du soulagement « parce qu’on s’en est (relativement) bien sortis au final ». Personnellement, je crois qu’elle fait couler autant d’encre parce qu’elle frappe juste à deux endroits : le passé et le futur.

Le passé

Dès la première scène, on est complètement sur les nerfs, mais en même temps, on connaît la fin : on sait que le continent européen ne sera pas détruit puisqu’il y est encore. En ce sens, le tour de force narratif est encore plus impressionnant. Parfois, on se surprend à oublier que c’est déjà arrivé et que tout se termine sans fin du monde. Puis, l’instant suivant, on se rappelle que c’est justement « déjà arrivé » et ça nous bouleverse d’une autre manière. C’est horrifiant. Rien de moins. Et l’écriture de la série nous montre avec brio à quel point on l’a échappé belle.

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Si ce n’était pas des interventions de Legasov et de Scherbina, il est évident que le dénouement aurait été autre. Ces humains ont défié un régime qui ne se défiait pas à l’époque. Gorbachev le dit dans une des premières scènes «notre pouvoir réside dans la perception de celui-ci» (traduction de la version originale). On comprend rapidement que les soviétiques ont un système très hiérarchisé et que les conséquences sont potentiellement fatales pour quiconque oserait contredire l’ordre établi.

Le futur

Ce qui m’a frappée en regardant Chernobyl, c’est le réflexe des officiers soviétiques de vouloir faire taire ou de diminuer l’incident. « C’est le toit qui a pris feu », disent-ils. « Tout est sous contrôle », répètent-ils encore plus fort. Lorsque Legasov débarque avec ses connaissances scientifiques indéniables et son gros bon sens, la première action posée est de lui dire qu’il a tort avant même de l’avoir écouté. Bien sûr, nous n’y étions pas et leur attitude s’explique par de nombreux faits historiques en lien avec la réalité communiste de l’URSS. N’empêche, le scénario met beaucoup l’accent sur cette séquence de raisonnements.

Il y a dans le déni motivé par la peur, dans le refus de croire à la catastrophe même quand celle-ci t’explose littéralement au visage, un point commun entre Tchernobyl et la crise climatique actuelle.

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Je me permets ici de faire le parallèle le plus évident et facile au monde. Il y a dans le déni motivé par la peur, dans le refus de croire à la catastrophe même quand celle-ci t’explose littéralement au visage, un point commun entre Tchernobyl et la crise climatique actuelle. C’est ce qui glace le sang quand on regarde les événements du passé : alors que de nombreuses vies auraient pu être sauvées, nous avons préféré l’inaction.

Je ne peux m’empêcher de croire que nous sommes les officiers soviétiques dans le nouveau scénario qui s’écrit en ce moment même. Dans 30, 40, 50, 100 ans, dans un monde complètement différent de celui qu’on connaît aujourd’hui, peut-être qu’on se tournera vers le passé en nous pointant du doigt. Nous qui continuons de vivre nos vies bien ancrées dans un système qui les détruit alors que tous les scientifiques de la planète sonnent l’alarme.

C’est alors que les humains du futur – peu importe la forme qu’ils auront – vont regarder l’histoire avec la même horreur au ventre et se dire « ils le savaient et ils ont fait comme si de rien n’était ».

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