Logo

La Guerre des tuques, raconté par ses artisans

Visite givrée des coulisses d’un film culte.

Par
Catherine Perreault-Lessard et André Péloquin
Publicité

Vingt-huit ans après sa sortie en salle, le classique de Roger Cantin réalisé par André Melançon fascine toujours. Première œuvre de la série Contes pour tous, la comédie dramatique fut à l’affiche pendant six mois au Québec avant d’être distribuée dans plus de 125 pays, se taillant une place de choix dans la culture québécoise. «T’as un trou dans ta mitaine», «T’as de la neige sur ton épaule», «Cléééooo!!!» et autres lignes fameuses résistent encore et toujours à l’épreuve du temps.

Roger Cantin a puisé dans ses propres souvenirs pour écrire le scénario. «Moi, quand j’étais jeune, j’étais myope. Je faisais très peu de sports… mais je construisais des forts ! Des forts qui avaient la superficie du bungalow de mes grands-parents, avec des patinoires à l’intérieur!» Ses souvenirs de batailles de balles de neige, la goutte au nez, ne ressurgissent que des années plus tard. «En revenant à la campagne d’un atelier que j’avais donné à des enfants, je suis passé devant un fort, et les jeux de mon enfance me sont remontés en mémoire.»

Publicité

Cantin, alors méconnu, se met donc à plancher sur un scénario de long métrage nommé Le château de neige, qu’il espère réaliser. Découragé par une connaissance travaillant à la SODEC qui lui indique que son projet ne pourrait être financé, l’auteur va tout de même de l’avant et se tourne donc momentanément vers le petit écran. Imaginez, La Guerre des tuques aurait pu être une série télé ! En revenant sur l’épisode du financement, qui s’est avéré particulièrement ardu, le réalisateur André Melançon ne mâche pas ses mots. «Si La Guerre des tuques s’était planté, Rock Demers se serait retrouvé au carré Saint-Louis. Il a tout mis là-dedans !»

De l’encre sur le papier, de l’encre dans les boules de neige

Au fil des pages, les souvenirs de Cantin s’entremêlent à la fiction. «Le personnage de Cléo a été inspiré du chien de mon petit voisin sur la rue Aristide, à Saint-Hyacinthe», se rappelle-t-il. « Son chien était mort et il avait raconté son histoire à ma mère. Je m’étais dit que ça ferait un personnage intéressant », ajoute-t-il avant de poursuivre avec le bully le plus sympathique de l’histoire du cinéma québécois. « Chabot, c’était Noël Picard, un gars avec qui j’allais à l’école. C’était un gros costaud qui faisait des choses sympathiques comme courir après les filles en tenant une mouffette !»

Publicité

Bien évidemment, le jeune Cantin lui-même s’intègre aussi à la bande. « On me surnommait le Chinois quand j’étais jeune, parce que je ressemblais à un Asiatique. Et dans le film, celui qui fait les forts comme je les faisais, c’est le jeune Chinois !» Même sa conjointe et partenaire de l’époque, Danyèle Patenaude, s’y retrouve. « Tous les personnages sont une partie de nous, lance-t-elle. Moi, c’est plus Ti-Guy La Lune…»

«On se disait que [la mort de cléo] chagrinerait tous les enfants du Québec. Mais aujourd’hui, quand on regarde l’impact que ça a eu, c’était clair que c’est le chien qui devait mourir!»

Scénario en main, Cantin rencontre Rock Demers, qui démarrait alors une nouvelle boîte, Les Productions La Fête. «J’ai lu le scénario et j’ai trouvé ça fantastique. J’aimais l’atmosphère, les jeux, le rapport filles-garçons», note Demers. «Mais j’ai demandé à Roger Cantin: ça ne serait pas plus intéressant de le développer en long métrage ?»

Publicité

Après avoir brièvement considéré Claude Jutra, la chaise de réalisateur est finalement confiée à André Melançon, qui avait épaté Rock Demers avec Comme les six doigts de la main, un autre classique mettant en vedette des enfants aventuriers. Avec Cantin et Patenaude, Melançon retravaille le scénario au cours des prochains six mois. Au fil des discussions, le trio jongle avec plusieurs idées dramatiques. À un moment donné, on hésite entre la mort de Cléo et un accident qui enverrait Ti-Guy La Lune à l’hôpital avec une jambe cassée. Melançon revient sur l’épisode : «On se disait que ça chagrinerait tous les enfants du Québec. Mais aujourd’hui, quand on regarde l’impact que ça a eu, c’était clair que c’est le chien qui devait mourir!»

Le recrutement

Une fois la question du financement réglée (de peine et de misère), Cantin et Patenaude repartent au front: ils ne disposent que de quelques semaines pour former leurs «armées» d’enfants. Melançon commente : «À l’époque, il n’y avait pas d’agence de casting pour les enfants. En 1984, Danyèle Patenaude et moi avons visité 30 écoles et plus de 2000 enfants. On rentrait dans les classes, Danyèle se présentait aux enfants, leur demandait comment ça allait, etc. Moi, je scrutais les enfants un par un tout en gardant en tête tous les rôles à remplir. J’en «spottais» quatre, cinq et, en accord avec la maîtresse, on les rencontrait dans le corridor puis, le soir même, on demandait aux parents s’ils voulaient que leurs enfants passent un screen test.»

«À l’époque, il n’y avait pas d’agence de casting pour les enfants. En 1984, Danyèle Patenaude et moi avons visité 30 écoles et plus de 2000 enfants.»

Publicité

Même les auditions pour François «les lunettes», le jeune Vietnamien, ont été périlleuses, selon le réalisateur: «Pour le rôle de François, on a demandé à Danyèle de s’adresser aux communautés vietnamiennes. À l’époque, il y en avait deux : les procommunistes et les anticommunistes. Disons qu’on s’organisait pour ne pas avoir des familles des deux camps dans la même salle !»

Le temps pressant et la technique de recrutement n’étant pas infaillible, le clan a bien failli passer à côté de plusieurs comédiens clés du film. Ainsi, Melançon rapporte que c’est Danyèle Patenaude elle-même qui a indiqué au réalisateur un garçon qui pourrait jouer Ti-Guy La Lune. «C’est sûr que dans des circonstances comme ça, t’en échappes…», Parlez-en à Cédric Jourde et Maripierre D’Amour, les interprètes des fameux Luc et Sophie… qui n’ont pas été retenus aux auditions !

Publicité

«J’étais dévastée !», se rappelle D’Amour, alors élève de cinquième année à l’école Le Plateau. Le fait d’avoir eu vent du projet avant même la visite de Patenaude et Melançon à l’école rendait le refus plus difficile encore à accepter. «La mère de mon meilleur ami avait eu le contrat de dactylo pour taper le scénario, et elle trouvait que ce personnage-là me ressemblait. J’étais donc sûre qu’ils me choisiraient!» Heureusement pour elle, la maman dactylo allait intervenir en sa faveur. «Elle a appelé Danyèle Patenaude et lui a dit qu’ils étaient passés à côté de quelque chose ! On m’a donc permis de faire une autre audition dans une autre école.»

Idem pour Jourde. «J’allais à l’école Lajoie, à Outremont, où ils ont interrogé quelques enfants… mais pas moi.» Heureusement pour lui, et plusieurs jeunes cinéphiles par la suite, les hasards de la vie allaient remettre Cédric sur le chemin de Danyèle Patenaude. «Elle connaissait une dame qui connaissait ma mère et qui lui a dit «Tiens, je connais cette femme, une Française, qui a un fils et…» Elle est donc venue à la maison et nous a auditionnés, mon ami et moi, et on a été pris», explique Cédric en faisant référence à son ami d’enfance, Julien Élie, l’interprète de Pierre, le propriétaire de Cléo, et son «ennemi» pendant la guerre.

Publicité

Après près de 400 screen tests, l’équipe avait enfin les 18 enfants qui allaient se livrer bataille.

Tournage dans les tranchées

Les jeunes comédiens ont eu droit à tout un baptême alors que la première scène à être tournée s’avérait l’un des passages les plus émotifs du film: la mise au tombeau de Cléo dans une grange.

«C’était vraiment weird, commente D’Amour. On n’avait jamais fait de cinéma. On devait jouer qu’on s’aimait, qu’on était des amis, mais personne ne se connaissait!» Malgré le moment solennel, les enfants se sont conduits… en enfants ! «On riait constamment!», se rappelle Cédric. «On était fous, fous ! On a fait au moins 14 prises !» Fait intéressant: l’interprète la plus expérimentée sur le plateau pour cette scène était… celle de Cléo. «C’était une chienne qui venait de New York, qui avait 12 ans d’expérience en tournage», mentionne André Melançon. «Dans le scénario original, le chien devait s’appeler César, mais la chienne qui jouait le rôle venait d’accoucher et avait huit énormes totons ! J’ai dit: “On ne peut pas l’appeler César, trouvez-moi un nom de chienne ! ”, et un enfant a répondu: “Si c’est pas César, pourquoi pas Cléopâtre ?”»

Comme le tournage a débuté fin janvier, le retour du printemps se faisait de plus en plus sentir. «On était dans la sloche ! s’exclame Melançon. On allait finir ce film-là dans la boue !»

Publicité

Comme le tournage a débuté fin janvier, le retour du printemps se faisait de plus en plus sentir. «On était dans la sloche ! s’exclame Melançon. On allait finir ce film-là dans la boue !» Déjà que le financement du film n’avait rien eu d’une sinécure, la décision a été prise d’ajouter 50 000 $ au budget afin de déplacer les enfants et les techniciens dans la région de Charlevoix pour la suite du tournage. «On a tourné près de la moitié de La Guerre des tuques sur un tout petit rang de Saint-Urbain. À 500 pieds de nous, y avait la maison du Temps d’une paix !», se rappelle le réalisateur en rigolant.

Publicité

À l’image du film, des bandes se formaient alors que les enfants tournaient le jour, cohabitaient le soir et faisaient leurs devoirs sous la supervision d’adultes. «C’était dans une petite auberge juste pour nous. C’était un peu la folie furieuse», commente D’Amour. «On dormait deux par chambre, et des gangs se sont formées… qui n’étaient pas les mêmes que dans le film.» L’interprète de Luc le confirme : «Y avait de la rivalité… et des souffre-douleurs.» Mais comme le chantait Nathalie Simard lors du générique, l’amour a pris son temps : «Pendant le film, je suis sortie avec Julien (Pierre). C’était mon petit chum!» avoue Maripierre. «Et après le tournage, je suis sortie avec Mathieu Savard (Ti-Guy La Lune). On habitait le même quartier.» Tiens, tiens. Et parlant d’amourettes…

Les secrets du trou dans la mitaine…

Scène-culte du cinéma québécois, le fameux baiser entre Sophie et Luc n’était même pas dans le scénario original. «Trois soirs avant, j’ai dit à Roch que je voulais qu’ils s’embrassent. Lui n’était pas sûr», se souvient Melançon. «Je lui ai dit: “On va le faire ! ” et Maripierre a accepté à une seule condition: “Faut pas qu’un autre enfant l’apprenne, parce que j’vais me faire écœurer!” » Après sa première expérience de tournage, Cédric allait ainsi faire un autre premier pas. «Je n’avais jamais embrassé une fille avant» note-t-il avant de faire remarquer que malgré ce que disait la réplique, il portait des gants.

Publicité

Souvenirs d’hiver

Malgré le froid sibérien, des problèmes de son qui ont obligé l’équipe à réenregistrer en studio la plupart des dialogues et des scènes assez risquées (la destruction des blocs de glace recouvrant le fort – fabriqué, en fait, en contreplaqué – alors que des enfants s’y chamaillent), les artisans du film gardent du tournage un souvenir aussi «marquant» qu’une balle de neige remplie d’encre.

«Pour nous, La Guerre des tuques, ce n’est pas le film», commente Cédric Jourde. «C’est être en gang et travailler sur un plateau de tournage. C’était comme un camp de vacances où on retournait à la routine après le tournage. «Je suis allé à la première avec Julien, et j’ai été assommé par le produit final. On comprenait que c’était un film, mais ce n’est pas ce qu’on a vécu. C’était incroyable !», ajoute celui qui, les jours suivant la première, recevait des appels d’admiratrices qui lui demandaient, notamment, si le chien était bel et bien mort pendant le tournage. «Il paraît même que mon numéro de téléphone se vendait 2 $ sur la Rive-Sud!»

Publicité

En bon conquérant, l’interprète de Luc a aussi gardé d’autres souvenirs du tournage : son clairon, sa casquette de général et le drapeau de l’armée adverse.

+++

Cet article est tiré du 33e numéro du magazine URBANIA – spécial Hiver québécois – paru en 2012.