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La guerre des clans

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«Vous entendez dehors?» Des cris perçaient le silence de la maison au milieu de la nuit hier soir. Quelqu’un est probablement tombé en transe. Pour les fanfares rara d’Haïti, la semaine de Pâques signifie prendre la rue jusqu’aux petites heures du matin chaque jour. Des milliers de petites fêtes ambulantes au nom des lois vodous sont ainsi organisées dans tout le pays. Et à un moment de la nuit, certains participants se « dédoublent ».

Chaque zone a son band rara. Une quinzaine de musiciens déambulent sur la place publique et se font rattraper par des dizaines, voir des centaines, de danseurs qui chantent et boivent avec eux. Sur des rythmes rapides de tambours et instruments à vent, ils s’éclairent souvent la nuit de seulement trois ou quatre lampes électriques Coleman tenues au bout d’une branche.

La ville de Léogane, capitale du rara, sera ainsi impraticable en voiture pendant presque toute la semaine, bloquant la seule route qui mène à Port-au-Prince par le Sud. Le reste de l’année, les groupes rara sont appelés à déambuler autant pour le carnaval que pour des revendications politiques dans les manifestations.

Le groupe Fresh-up de Jacmel en plein carnaval
Le groupe Fresh-up de Jacmel en plein carnaval
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La semaine de Pâques, qui coïncide avec celle du rara, est donc symbolique à la fois chez les chrétiens et les vodouisants. Mais pour la majorité des chrétiens, le vodou n’est pas acceptable, voir toléré. Des évangélistes affrontent sporadiquement les vodouisants. Chez les Catholiques, c’est surtout par les sermons qu’on frappe sur cette religion « diabolique ».

À l’époque de la fête des morts, à l’Halloween, plusieurs pasteurs s’éloignent un peu plus de la parole de Jésus en tentant littéralement d’empêcher certaines cérémonies vodous. La route le long du grand cimetière de Port-au-Prince est ainsi envahie chaque 1er novembre par des chars allégoriques évangéliques munis de gigantesques haut-parleurs. Ils tentent littéralement de forcer leurs prières dans les oreilles des participants aux rituels traditionnels dans le plus grand cimetière du pays.

Une procession rara et une procession protestante à Port-au-Prince l’année dernière.
Une procession rara et une procession protestante à Port-au-Prince l’année dernière.
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Il y a trois ans, un pasteur de Cité-Soleil a exigé que ses fidèles attaquent une cérémonie vodou organisée en l’honneur des disparus du 12 janvier 2010 sur une place publique de Cité Soleil. L’incident très violent a créé tout un émoi.

Le vodou, qui comprend aussi sa part d’illuminés, propage en général un message communautaire acceptant les marginaux, parfoit ouvert aux homosexuels, par exemple, dans une société généralement plutôt homophobe.

La parole de la Bible implorée par nombre de pasteurs haïtiens est inspirée directement des milliers de pasteurs des États-Unis qui déferlent ici chaque année avec des fidèles.

La semaine dernière, c’était l’évangéliste repenti Andrew Palau, fils d’un célèbre pasteur américain, qui est venu prêcher la Bonne Nouvelle dans l’agora du Champs de mars, la plus grande place publique de Port-au-Prince. L’évènement baptisé « Fun in the son » réunissait 600 églises protestantes du pays et des dizaines de protestants américains venus faire du tourisme religieux « humanitaire ».

L’épopée évangélique d’Andrew Palau la semaine dernière (photo: Konpaevents.com)
L’épopée évangélique d’Andrew Palau la semaine dernière (photo: Konpaevents.com)
Touristes religieux au Champs de mars la semaine dernière (photo: Konpaevents.com)
Touristes religieux au Champs de mars la semaine dernière (photo: Konpaevents.com)
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Comme à chaque fois qu’un pasteur américain débarque, ses mots en anglais sont traduits simultanément en créole par un animateur haïtien sur scène. Il reprend jusqu’aux intonations typiques des pasteurs du Bible Belt, une phrase à la fois (photo: Konpaevents.com).

Tous les jours, des célébrations évangélistes sont organisées cette semaine dans les grands arénas de la capitale.

Croire vodou

Même parmi les plus fervents chrétiens, les croyances dans le pouvoir du vodou sont toujours fortes. Non seulement le vodou est-il synonyme de tradition en Haïti (musique, habits, danse, etc), la puissance mystique de ses rituels est reconnue par la majorité des gens, quoique souvent associée à ses aspects négatifs comme dans les film hollywoodiens avec ses poupées et zombies. La culture vodou et ses incantations sont pourtant très positives en règle générale. Sauf que, comme ce n’est pas une religion centralisée, les regroupements d’ « églises » vodous ont des valeurs uniquement symboliques. Les pratiques diffèrent sensiblement d’une région à l’autre ou d’un leader religieux à l’autre.

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« Je ne crois pas au vodou, c’est trop dangereux », m’avait dit il y a quelques années une chrétienne assise à côté de moi dans un bus. On peut bien prêcher la Bible, la croyance dans la puissance du vodou est toujours là.

Comme le veut une blague populaire, si 60 % des Haïtiens sont protestants et 40 % sont catholiques, 100 % d’entre eux sont vodouisants.

Twitter: etiennecp

Photo principale: Shasham, groupe rara du quartier La Saline de Port-au-Prince lors du Carnaval 2012.

Bonus: Danse rara

L’une des forces du vodou est sa capacité d’adaptation et sa perméabilité. Ceci permet aussi beaucoup d’autodérision.

Le « gaye pay » (prononcé « gayé paille »), littéralement « paille mélangée », est une expression populaire similaire à « broche à foin » en québécois. C’est aussi le nom d’une nouvelle danse humoristique popularisée vers 2007-2008 et encore très connue aujourd’hui. Issue du rara, elle est maintenant dansée sur toutes sortent de musiques rythmées. Cette danse est axée sur un jeu de pieds à contre-temps: temps fort, pied en l’air.

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