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Les groupies à l’âge du numérique
Pour les groupies, Internet a tout changé. Avant, entretenir une passion pour une vedette, ça voulait dire découper des photos dans les revues, regarder Musique Plus assidûment en attente d’un nouveau clip et joindre un fan-club pour recevoir un poster autographié. Aujourd’hui, les admirateurs peuvent partager en ligne leur passion, aussi nichée soit-elle, 24 heures sur 24.
Mais au-delà de leur facilité à se regrouper en communauté, c’est toute la manière dont on les perçoit qui a changé ces dernières années. Les fans sont passés de méprisés à célébrés. Anatomie d’une transformation.
La revanche des fans
On a longtemps caricaturé les groupies comme étant des excessifs pas complètement sains d’esprit. De la Beatlemania à l’hystérie des admirateurs des New Kids on the Block, être fan était perçu comme étant juvénile, féminin, et donc pas très valorisé. Mais cette époque est révolue. Aujourd’hui, les grands studios hollywoodiens s’adressent directement à eux, des universitaires se penchent sur leur réalité, Xavier Dolan exprime sans gêne son amour pour Justin Bieber et une fan de Twilight est devenue plusieurs fois millionnaire quand sa petite série de fan fiction qui réimaginait les aventures des vampires Bella et Edward en version cochonne est devenue la saga Fifty Shades of Grey. Ça, c’est un peu comme si le gars dont vous riez au secondaire achetait votre maison grâce à sa collection de pogs.
Le blason des admirateurs de tout genre s’est redoré dans les dernières années, c’est clair.
«il y a une plus grande ouverture de la part des médias. Déjà, il y a une couverture substantielle, ce qui n’a pas toujours été le cas, et elle est de moins en moins stéréotypée.»
« J’ai fait des recherches sur les conventions de fans, comme le ComiCon ou le G-Animé de Gatineau, et il y a une plus grande ouverture de la part des médias. Déjà, il y a une couverture substantielle, ce qui n’a pas toujours été le cas, et elle est de moins en moins stéréotypée », raconte Christine Hébert, administratrice du blogue Nous sommes les fans, qui se veut une référence en fan studies pour les chercheurs francophones. Elle-même « duggie » c’est-à-dire une fan de l’émission Dans une galaxie près de chez vous, elle a consacré sa maîtrise à décortiquer le comportement de ses coreligionnaires.
Pauvres fans
L’admiration excessive est un sentiment presque aussi ancien que son mépris. Et notre jugement péjoratif des fans prendrait racine dans le « classisme », cette forme de discrimination basée sur les possessions matérielles et l’appartenance – avérée ou imaginée – à une classe sociale inférieure. « Les gens qui se passionnent pour l’opéra ou le ballet ne font pas l’objet de la même stigmatisation que ceux qui tripent sur les monster trucks. Pourtant, leur enthousiasme n’est pas très différent », illustre Zoe Fraade-Blanar, co-auteure de Superfandom, How Our Obsessions Are Changing What We Buy and Who We Are. « Presque chaque fois qu’on juge les fans, on juge en réalité le milieu social qu’on leur attribue beaucoup plus que leur passion. »
Or, plusieurs facteurs ont renversé la vapeur au cours des dernières années, à commencer par le pouvoir économique grandissant des fans. « Jeune, la Génération X a été bombardée de publicité à une époque où le marketing destiné aux enfants n’était pas réglementé », explique Zoe Fraade-Blanar. « Aujourd’hui, ces fans de la première heure ont entre 40 et 55 ans, ils ont d’importants moyens financiers, et ne sont pas insensibles à la nostalgie », explique-t-elle. Il en va de même des geeks, qu’on a longtemps caricaturés comme des monomaniaques dotés de peu de compétences sociales. Ces parias gagnent aujourd’hui grassement leur vie à Silicon Valley, ce qui leur permet d’acheter toutes les figurines de Star Wars du monde en plus d’élever ce genre de passe-temps dans la hiérarchie sociale.
L’autoroute de l’information à la rescousse des fans
«Avant Internet, les bronies se seraient probablement sentis très seuls, mais le fait de pouvoir se reconnaître entre eux a normalisé leur passion et leur a permis de la vivre moins dans la honte.»
Silicon Valley a aussi aussi joué un rôle dans l’émancipation des fans avec une technologie chère à son cœur : Internet. « Avant les médias sociaux, pour rejoindre ses idoles, il fallait passer par les fan-clubs, rappelle Christine Hébert. Aujourd’hui, les vedettes sont plus accessibles que jamais. »
Ça, c’est l’évidence, mais cette proximité a aussi permis à des fans de se réunir autour de phénomènes plus obscurs. C’est le cas, notamment, des « bronies ». Comment aurait-on pu imaginer, sans le pouvoir infini d’Internet, que des hommes adultes pouvaient partager une passion commune pour les pouliches, au point de constituer une masse critique justifiant la tenue de conventions, un documentaire (Bronies: The Extremely Unexpected Adult Fans of My Little Pony) et même une entrée dans le Urban Dictionnary?
« Avant Internet, les bronies se seraient probablement sentis très seuls, mais le fait de pouvoir se reconnaître entre eux a normalisé leur passion et leur a permis de la vivre moins dans la honte », pense Zoe Fraade-Blanar.
Avantage aux fans
Contrairement à la croyance populaire, c’est d’ailleurs leur caractère éminemment social qui définit les fans. « Le stéréotype du fan tout seul dans son sous-sol est le mythe le plus erroné, car par définition, les fans sont en interaction. Ils interagissent avec l’objet de leur convoitise, mais aussi avec les autres fans », explique Zoe Fraade-Blanar. Ils développent ainsi plusieurs aptitudes utiles. « Être fan m’a permis de tisser des liens avec de nouvelles personnes, d’exprimer ma créativité à travers les fan fictions, et de développer des compétences plus techniques, comme gérer un site Internet ou une page de communauté », confirme Christine Hébert.
«L’humain a toujours cherché à répondre aux grandes questions de la vie, mais on ne peut plus se fier aux repères comme l’Église ou l’État, alors on se réfugie dans la culture pop.»
Plusieurs études démontrent en effet que s’adonner à l’admiration a des effets bénéfiques sur le développement d’aptitudes psychologiques, le sentiment d’appartenance, et donc la santé mentale. Mais Zoe Fraade-Blanar y voit aussi un avantage spirituel. « L’humain a toujours cherché à répondre aux grandes questions de la vie, mais on ne peut plus se fier aux repères comme l’Église ou l’État, alors on se réfugie dans la culture pop, dit-elle. Si tu te demandes comment agir, tu peux te tourner vers la bible, mais tu peux aussi te fier à Harry Potter, et c’est aussi valable. »
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