L’amour est mort.
C’est du moins ce que ressentent des millions de personnes qui fréquentent les applications de rencontre et enchaînent les dates malaisantes, les relations de courte durée et le sexe maladroit sans jamais voir la lumière au bout du tunnel. Est-ce que Tinder, Hinge, Bumble et tous les autres sont en train d’assassiner la romance à grands coups de matchs mal assortis?
« Chaque fois que ça ne fonctionne pas, tu te protèges un petit peu plus et plus tu te protèges, moins t’es toi-même », explique le jeune créateur de contenu Émile Roy, qui a accepté de nous accorder une entrevue le jour même de la sortie de sa toute première docufiction.
« C’est un cercle vicieux qui fait en sorte que c’est de plus en plus difficile de trouver quelqu’un qui te convient vraiment », ajoute-t-il.
Dans L’amour moderne, Roy s’intéresse à l’explosion du marché de l’amour à l’ère des applications de rencontre et à leurs effets sur sa génération. Tinder, Hinge, Bumble… les applis se suivent et se ressemblent, laissant derrière elles d’innombrables cœurs brisés et jeunes personnes confuses face à leurs désirs. En 55 minutes, le film dresse un panorama d’une génération tourmentée par une solitude existentielle exacerbée par la technologie.
Roy étant lui-même membre de cette génération hyperconnectée, il pose les bonnes questions et en arrive à des diagnostics inconfortables. La vie sentimentale des jeunes est-elle retenue en otage par un labyrinthe numérique aux couloirs infinis? Selon le principal intéressé, c’est un peu ça. Mais la situation n’est pas sans espoir, non plus.
L’amour, c’est moins payant que le dating
Né d’une insatisfaction bien personnelle avec les applications de rencontre, L’amour moderne ose poser la question : et si c’était pas seulement nous, le problème? Au cours de son film, Roy recueille une trentaine de témoignages qui vont à l’encontre du constat cynique voulant que les jeunes ne croient plus en l’amour.
« J’ai rencontré plein de gens qui affirment être delulu. Qui sont idéalistes et qui se font de grands scénarios très, très vite dans leur tête. On est, au contraire, de grands romantiques et on l’est plus que jamais. On a grandi avec cette idée, au cinéma et à la télé, que c’était possible de trouver le grand amour. Ça fait de nous des cibles parfaites pour les Tinder et Hinge de ce monde. On s’inscrit parce qu’on y croit », explique Émile Roy.
Un des constats que fait ce dernier, dans L’amour moderne, c’est que les entremetteurs numériques ont tout intérêt à garder les usagers le plus longtemps possible sur leur plateforme.
Contrairement à Tinder et Bumble qui hiérarchisent leurs utilisateurs en fonction de leur physique, Hinge utilise l’algorithme de Gale-Shapley conçu en 1962 pour former des couples stables et se vend comme étant l’application créée pour être effacée, mais qui se monétise à l’aide d’abonnements.
« C’est fâchant parce que Hinge sait probablement qui est la personne correspondant à tes besoins, mais elle ne va pas te la montrer parce que ça ne serait pas une pratique payante de le faire », précise le jeune documentariste.
De ce constat émergent de nouvelles questions : nos attentes envers l’amour sont-elles les bonnes? Est-ce que cette culture populaire qui nous vend « l’amour avec un grand A » depuis plus d’un demi-siècle ne nous vend-elle pas plutôt du désir? Après tout, combien de films romantiques mettent l’accent sur la vie de couple? La plupart du temps, le générique défile dès le premier baiser échangé. Émile Roy abonde dans le même sens.
« Oui, c’est vrai que la culture populaire entretient l’idée que l’amour, c’est quelque chose qui nous arrive. Que c’est un miracle qui arrive dans nos vies. Mais, en parlant avec des sexologues, pour le film, j’ai compris que non. Que l’amour, c’est quelque chose qu’on fait. Il faut y travailler. C’est important d’être romantique. Personnellement, je trouve ça super beau. Mais, comme je l’illustre dans le film, sur le spectre entre cynique et delulu, il faut trouver un juste milieu. »
Dr Émile à la rescousse
Même si Émile Roy se montre critique à l’endroit du marché des applications de rencontre, son documentaire ne se veut pas fataliste. Bien au contraire.
Démontrant un optimisme propre à la jeunesse, Roy propose également des solutions à ce problème de nature endémique. Si la génération Z tend déjà vers l’autodiagnostic, L’Amour moderne entame la suite logique du processus d’autoguérison : l’autothérapie!
Même si les applications de rencontre ont ouvert une porte qui n’est pas près de se refermer, l’homme-orchestre derrière L’amour moderne prône quand même la déconnexion volontaire sur une base individuelle. « Quand tu considères les applications comme l’unique manière de rencontrer quelqu’un dans un dessein amoureux, tu vas être moins ouvert à ça quand t’es dans un bar ou dans un événement. Supprimer les applications de ton téléphone, ça va te rendre plus présent dans les moments comme ça. Pour faire des rencontres, il faut être présent. »
Et Roy en sait quelque chose. Célibataire depuis plusieurs années au moment de la conception de son documentaire, il a finalement rencontré sa nouvelle conjointe dans le monde réel.
« La première fois, on s’est vus dans un événement, il y a deux ans, environ. Je lui avais proposé d’aller prendre un verre et elle m’avait complètement denied », raconte-t-il avec le fou rire.
« Elle m’a réécrit il y a quelques mois parce qu’elle avait vu quelque chose que j’avais fait passer. On a recommencé à se parler. C’était tellement beau, facile, naturel. Cette relation-là s’est développée en parallèle avec le film. L’univers fait drôlement les choses, tant au niveau personnel que créatif. »
Si vous êtes curieux et souhaitez visionner L’amour moderne, sachez que le film est disponible gratuitement dès maintenant sur la page YouTube d’Émile Roy. Structurellement, le film est loin d’être parfait. Je pourrais vous pointer les moments où j’ai perdu l’intérêt (il y en a quelques-uns), mais à quoi bon? Presque tout seul, un jeune créateur de 26 ans a fait un film audacieux et intelligent qui ose proposer des réponses à un des maux de notre siècle, et en plus, c’est gratuit. Il vous le donne. Vous pouvez même regarder votre téléphone quand vous trouvez ça plate.
Alors, pas d’excuses. Si le sujet vous intéresse :