Situé sur la rue Ontario dans le quartier Hochelaga, le Dépanneur Populaire ressemble à première vue à un dépanneur ordinaire comme on les croise au quotidien : l’enseigne générique commanditée par une marque de bière, un néon qui affiche « ouvert » et un autre qui indique la présence d’un guichet automatique. À l’intérieur, on y retrouve une sélection de produits typiques des dépanneurs de coin de rue : une grande diversité de bières, ramens, bonbons, chips et cigarettes.
Le Dépanneur Populaire accueille ses clients depuis une quarantaine d’années dans une ambiance sonore de bruits de réfrigérateurs. Mais ce froid ne saurait qualifier l’ambiance qui y règne. Toutes les cinq minutes, on peut entendre tinter la cloche annonçant l’arrivée d’un nouveau client.
À la caisse, le bruit du vérificateur de billets Loto-Québec retentit. Malheureusement, la personne n’a rien gagné. Meilleure chance la prochaine fois!
Une scène somme toute assez banale que vous avez probablement vue 1000 fois sans trop vous poser plus de questions, mais, étonnamment, l’histoire du Dépanneur Populaire débute avec une scène similaire.

Une chance dans une malchance
Avant son ouverture en 1983, un autre dépanneur desservait le quartier. Un groupe de clients s’y rendait régulièrement afin de s’acheter des billets de loterie.
C’est cependant quand l’un d’eux a gagné le gros lot que les choses ont pris une drôle de tournure. Après avoir vérifié le billet, le caissier du dépanneur a menti au client pour le garder pour lui. C’est seulement après avoir vu les numéros gagnants dans le journal que le client a compris qu’il s’était fait avoir. À la suite d’une poursuite judiciaire, celui-ci a enfin pu récupérer ses gains.
Il n’en fallait pas plus pour que le dépanneur voit sa clientèle le déserter : les habitants du quartier n’ayant plus confiance en ses employés, le commerce a éventuellement fait faillite.
Mais comme tout quartier a besoin de son dépanneur de coin de rue, l’heureux gagnant du gros lot a décidé d’utiliser son prix pour aider un couple d’amis sino-cambodgiens immigrants à ouvrir le Dépanneur Populaire : ce fût la première famille à y grandir.
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Le chaleureux dépanneur du quartier
À l’époque de ces péripéties, Richard Guo et Shuping Jiang vivaient encore en Chine où ils travaillaient comme ingénieur et professeure à l’université.
« Quand vous êtes dans un nouveau pays, vous êtes confronté à une nouvelle culture et devez repartir à zéro », explique Richard.
Quand ils immigrent au Canada en 1997, ils emménagent dans l’appartement situé en haut du Dépanneur Populaire. Richard est devenu traducteur et Shuping étudiait la comptabilité à McGill tout en s’occupant de leurs enfants.
Or, Mme Jiang se cherchait un emploi qui lui permettrait de combiner la vie familiale à ses études et, éventuellement, M. Guo décide d’en faire de même. En 2001, les anciens propriétaires du Dépanneur Populaire prennent leur retraite et vendent leur commerce à leurs voisins du haut. Le dépanneur s’apprêtait alors à accueillir une deuxième famille, les Guo, qui allait grandir dans son enceinte. Pour cette raison, les relations entre les clients et les propriétaires du dépanneur se sont développées d’une manière chaleureuse. « Ils demandent [à mes parents] ce qu’on fait, ce qu’on étudie, quel âge mes sœurs et moi avons », raconte Angelina, la fille de Richard et Shuping.
L’arrivée au Québec
Autrefois, le quartier d’Hochelaga était beaucoup plus dangereux. « Nous avions des ennuis tous les jours : de la fraude, des vols à l’étalage, du vandalisme et des revendeurs de drogue. Tu dois apprendre à travailler avec ces personnes », explique M. Guo.
Pour Angelina, la benjamine d’un trio de sœurs, une situation l’a particulièrement marquée : alors âgée d’à peine dix ans, elle a été témoin d’une cliente qui a crié à sa mère de retourner dans son pays. Sa mère n’ayant pas compris ce qu’on venait de lui dire, Angelina ne savait pas trop comment réagir. « C’est un peu ce sentiment où tu as envie de protéger tes parents alors que ce n’est pas vraiment ton rôle. […] J’ai compris quelque chose que ma mère n’a pas compris. C’est à ce moment-là que j’ai senti une sorte de condescendance ou d’humiliation », raconte-t-elle.
À l’époque, la sœur aînée d’Angelina aidait beaucoup leurs parents avec les tâches nécessitant une bonne maîtrise du français. « Quand mon père a commencé à travailler avec des compagnies de micro-brasserie, il ne parlait pas français. C’est ma sœur qui devait passer les coups de fil aux compagnies », raconte Angelina. Ces situations étaient très difficiles pour ses parents.
« J’ai peur que nos filles aient perdu leur enfance, mais nous avons profité de notre temps libre pour aller au parc aquatique ou au Zoo de Granby », confie Shuping Jiang.
Malgré tout, M. Guo et Mme Jiang sont très fiers des souvenirs créés dans l’enceinte de leur commerce. « Le mot “dépanneur” évoque maintenant des souvenirs d’enfance pour notre famille. Je pense que c’est ce qui est le plus précieux », déclare fièrement M. Guo.
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Au revoir Hochelaga
Quand Angelina a dix ans, la famille emménage à Longueuil. Les années où ses sœurs et elles pouvaient descendre au rez-de-chaussée pour aller au dépanneur prenaient fin, mais elles y retournaient toutes les fins de semaine pour aider leurs parents et en profiter pour jouer et manger des bonbons.
« On avait une sorte de tradition. On allait toujours chercher du Subway. En revenant, on allait dans le sous-sol, on s’asseyait sur des caisses de bière, puis on mangeait nos sandwichs. C’était vraiment une sorte de paradis et ça reste un très beau souvenir », raconte Angelina, nostalgique.
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L’histoire de ses parents
Voilà une des histoires qu’Angelina Guo, la benjamine de la famille, a voulu raconter dans Le dépanneur chinois d’Hochelaga, un recueil d’entrevues qui remonte le fil de l’histoire de ses parents, intimement liée au Dépanneur Populaire. Grâce à cet ouvrage, elle met en lumière l’histoire de l’immigration de ses parents tout en cherchant à aller au-delà des stéréotypes associés aux immigrants asiatiques.
Au fil des pages du livre, elle dénonce les préjugés voulant que les immigrants asiatiques soient des personnes dociles, travaillantes et silencieuses, alors qu’elles ont toutes des personnalités bien distinctes. « Mes parents, ça reste des gens qui aiment rire, qui ont des passe-temps, qui se plaignent, qui font des blagues. Ils ne sont pas parfaits et ils ne sont pas silencieux. »
Une campagne de financement GoFundMe a par ailleurs été créée afin de couvrir les frais de production du recueil. La version finale du projet Le dépanneur chinois d’Hochelaga devrait être disponible d’ici cet été.