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« Non man, fuck le trou en bol de toilette. Il me faut les classiques du mini-putt : une balle rose, des totems pis une butte au 18e », exige un ami aussi puriste que princier, visiblement encore figé dans les meilleurs moments de son adolescence. On peak tous à des âges différents.
Tant pis, j’irai seul.
Si le Rigolfeur, véritable joker dans l’univers du minigolf, a bouleversé les conventions et dominé la scène québécoise au début des années 2000, me voilà maintenant curieux de vérifier si son charme d’antan a résisté à l’épreuve du temps. La chaîne, qui comptait une vingtaine de parcours à son apogée, n’en reste aujourd’hui qu’à cinq adresses encore en activité.
Pour les non-initiés, rappelons que la popularité du Rigolfeur reposait en grande partie sur ses terrains farfelus, truffés d’obstacles aussi improbables qu’amusants, qui poussaient les joueurs à se surpasser tout en cultivant cette atmosphère bon enfant, entre rires et compétitions décalées.
Je me souviens qu’à l’âge de 10 ou 11 ans, j’avais été saisi d’une excitation débordante en apprenant qu’un Rigolfeur ouvrait tout près de chez moi. Avant même d’y mettre les pieds, je peinais à contenir mon enthousiasme. Et pourtant, il ne m’en reste aujourd’hui qu’un souvenir flou : celui de ma mère m’interdisant d’y retourner après que j’y ai attrapé une violente crise d’herbe à puce. Une expérience étrange, finalement, qui n’a pas su, sans grande surprise, se hisser à la hauteur démesurée de mes attentes.
Mais voilà, 20 ans plus tard, l’heure des réconciliations est enfin arrivée.
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« Biiiiirdiiiie! »
Le paradis existe et il se trouve sur le bord de la 20, à Sainte-Julie.
Ma ronde débute avec rien de moins qu’un trou d’un coup. Le couple devant moi m’encense avec deux high five. Je papillonne jusqu’à ma balle, entouré de petites familles profitant des vacances de la construction.
Le terrain affiche complet et l’ambiance est presque f éérique. Le champignon tourbillonne son gicleur qui nous arrose d’une fine douche rafraîchissante en pleine canicule de juillet. Je me retrouve bercé par les souvenirs de ma jeunesse sur la côte est américaine, là où s’enracinent mes plus beaux moments de mini-putt.
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Les trous s’enchaînent avec des résultats qui m’impressionnent moi-même. Mon putter en forme de banane fait des ravages sur le course mauve et jaune. La vitesse de croisière ralentit toutefois à mi-chemin à cause d’une fête d’enfants. Pas de soucis Rémi-Henri Junior, j’ai tout mon temps pour enfiler les oiselets.
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Je retrouve, sourire en coin, les classiques qui ont fait la notoriété du Rigolfeur : le panier de basket et la tarentule en plastique au fond de la cup et bien sûr, le fameux trou en bol de toilette.
À mes côtés, une famille venue du Maine se régale de cette spécialité locale, permettant à trois générations d’exprimer tout leur talent. Après tout, le mini-putt est leur sport national.
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Attenant à une crémerie, le terrain accueille aussi des jeux gonflables et des cages de frappe où des pee-wee, les sourires teintés de bleu par la slush, s’amusent à cogner des flèches. Et je me dis, bec sucré va, que c’est peut-être ça, le « Québécois dream » : une moyenne twist trempée dans le chocolat après du minigolf d’après-midi.
Qu’est-ce qu ’on peut vraiment demander de plus?
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Je m’exécute. Nestor apparaît.
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Encore porté par l’euphorie de ce ressourcement ludique, je décide qu’il me reste du bon minigolf en réserve. Je reprends la route, bien décidé à tenter ma chance sur un autre parcours de la même enseigne et à surpasser mon premier score.
Le voyage, cependant, prend une tournure inattendue. Coincé dans un trafic étouffant sur les autoroutes 25, 40 et 15, ma patience, habituellement inébranlable, vacille. Moi qui me croyais d’un naturel calme et bienveillant, je me surprends à martyriser mon klaxon avec tant d’ardeur que je m’en blesse le poignet, et, plus étrange encore, à perdre connaissance par deux fois sous le coup de colères aussi brèves qu’inattendues. Et cela avant même d’arriver à Saint-Jérôme, noble capitale du raffinement et grand berceau du Rigolfeur. La terre promise.
Mais voilà, dans mon excitation, j’ai commis une erreur fatale : j’ai entré « Saint-Jérôme » dans le GPS plutôt que le nom précis du parcours. Me voilà donc à errer dans son centre-ville, où le hasard me fait découvrir des trésors locaux : le Palais de justice, les vestiges fumants d’un garage récemment incendié, et un bar clandestin niché sous un pont.
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Comme le dit le vieil adage : « À Saint-Jérôme, fais comme Jérôme. » Je ne perds donc pas de temps et m’empresse d’acheter du gros hasch noir et un 4-pack de Monster. « Nestor n’est pas monté dans le nord pour ses beaux yeux », lancé-je à haute voix en propulsant ma première canette vide dans la rivière.
Après trois rouges brûlées et de belles pointes de vitesse en zone résidentielle, je finis par m’arrêter en biais, couvrant généreusement deux lignes de stationnement, coincé entre la 15 et une Belle Pro.
« Le Rigolfeur, moi, ça me fait pas peur », proclamé-je avec assurance à l’intention de la commis, une ado d’à peine 16 ans dont le sourire poli dissimule mal une pointe de méfiance. Mais voilà qu’elle ose poser la question fatidique : « Es-tu accompagné? » Froissé, je crache au sol mon mépris avant de régler ma game avec une poignée de change, espérant qu’elle ne remarque pas les trois grosses canettes de Monster qui déforment mes poches.
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Le terrain où tout a commencé en 1995 est beaucoup plus calme que celui de la Rive-Sud. L’occasion rêvée, me dis-je, pour battre un record personnel. La table est mise, la balle aussi.
À peine ai-je pris position qu’une fillette éclate dans une crise aussi soudaine que stridente, son hurlement perçant clairement destiné à me saboter. Ses cris s’enroulent autour de mes tempes, tout tourne. La fièvre du mini-putt, pensé-je en laissant échapper un long rot sonore.
La partie commence mal : un solide 9 coups pour le premier trou. La spirale continue. J’atteins le quatrième trou à bout de souffle, où ma main se retrouve inexplicablement coincée dans une trappe à rats. Au suivant, alors que je m’agenouille pour ramasser un humiliant triple boguey, un poulet en caoutchouc surgit de nulle part pour m’asperger d’eau tiède en plein visage.
Coïncidences? J’en doute. Je lance un regard accusateur vers l’unique employée, convaincu qu’elle orchestre dans l’ombre cette débâcle. L’injustice est partout, surtout au Rigolfeur.
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Au sixième trou, j’ajoute une canette vide comme obstacle improvisé, un clin d’œil respectueux à l’esprit « farces et attrapes » qui a fait la renommée de l’entreprise. Un artisan du chaos.
Mais voilà que le maudit champignon bleu récidive. Cette fois, je n’ai aucune échappatoire face au déluge qu’il me réserve. En un instant, je suis trempé de la tête aux pieds. Autour de moi, les regards s’alourdissent, chargés d’un jugement silencieux, tandis que je m’efforce, désespéré, de retrouver ostie mon putter.
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Un excellent rap lascif s’élève d’une chaîne stéréo artisanale : « Can you stay up all night, baby boy? » Oh que oui, répond fièrement votre narrateur, la voix vibrante de dignité, bien qu’appuyée sur une démarche de plus en plus chambranlante. Sûr de moi, je me dirige vers une mère que j’espère célibataire et lui lance : « Le nouveau Carmoni, c’est moi. Nestor, né pour putter. »
La réaction ne se fait pas attendre. Les parents se postent instinctivement entre leurs enfants et moi, un mur de méfiance et de jugement. Pendant ce bref moment de séduction, une gamine en profite pour tricher, tentant un coup de pied subtil pour pousser sa balle. Je ne me retiens pas : « Heille, Marie-Karl, y’a pas de mulligan icitte! » Avec sa petite calotte Hurley, elle se prend pour qui, elle? Quant à son père, pourquoi pose-t-il sa main sur mon chest? Je la regarde jouer, riant à gorge déployée devant sa nullité enfantine.
Plus loin, les pleurs d’un autre enfant percent l’atmosphère. Leur son me ramène brutalement à un souvenir enfoui : un mini-putt à Virginia Beach. Moi, seul dans la nuit, arpentant les allées en quête de mes parents, interpellant des inconnus dans une langue qu’ils ne comprenaient pas. C’était il y a si longtemps, une éternité et à peine hier.
Mon cœur se serre, pris dans un étau. Une voix sourde monte en moi, répétant sans relâche : « Venge l’abîme qui te ronge depuis toujours. »
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Plus je progresse dans le Rigolfeur original, plus il me révèle un caractère pernicieux, presque cruel, bien loin de la douceur de celui de Sainte-Julie. Ici, les pièges sont plus perfides, les bosses plus imposantes, et les vacanciers du Maine, où sont-ils passés? À chaque fois que ma balle sort du jeux, ma frustration éclate en un torrent de sacres inventés.
Autour de moi, les regards inquiets se multiplient. Les murmures grondent, se faisant écho dans l’air moite. Peut-être que remettre mon chandail apaiserait l’ambiance. Mais tabarnak que le dernier Monster cogne fort.
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« J’te vois! », hurlé-je à pleins poumons en direction de la jeune commis, hypocrite, coincée à l’autre bout du terrain, le téléphone rivé à l’oreille. Je m’empresse de compter mon score, mais entre un 78 ou un 56, je n’en suis plus certain, le soleil m’aveugle et embrouille mes calculs. Tout autour de moi vacille, bascule dans une vrille incontrôlable. Pris d’un élan irraisonné, j’exécute un full swing de golf, projetant ma balle proche de l’autoroute, avant de vider mes entrailles, à gros jets, sur le vert tapis du 12e trou.
Des sirènes s’élèvent au loin, se rapprochent. Mon cœur s’accélère : c’est l’heure. Je me sauve dans un sale show de boucane, tout en criant à pleins poumons : « Je suis Nestor, la colère de Dieu! Qui est avec moi? »
Les autres joueurs restent figés, impassibles. Je devine pourtant dans leurs regards un soupçon d’envie.
Puis, tout devient flou.
Un flash : une chaloupe qui brûle au milieu d’une eau noire. Une couleuvre glisse le long de ma main. Je tiens la taille d’un inconnu sur une moto . Enfin, tout s’efface. Le rideau tombe, et avec lui, mes souvenirs.
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Je me réveille le lendemain, ou le surlendemain, qui sait, étendu sur un lit d’herbe à puce, la peau déjà enflammée. Un seul soulier pend mollement à mon pied droit, l’autre a manifestement déserté. Autour de moi, le bois est dense et silencieux, comme suspendu, m’enveloppant dans un mystère inquiétant. Impossible de situer où je me trouve. Dans la poche de mon pantalon froissé et couvert de sang séché, je ne trouve qu’un seul indice : une carte de pointage. Les chiffres griffonnés dessus sont illisibles, mais elle porte encore l’odeur de la gloire.
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Je m’avance lentement sur le bord d’une route sans nom, l’asphalte brûlant sous mes pieds nus, et, dès qu’une voiture se profile au loin, je tends le pouce. Le bruit du moteur s’estompe en ma direction.
Parfait, il me reste trois Rigolfeur à jouer.
***
Vous comprendrez que le deuxième acte où Nestor prend le dessus est purement fictif et de nature humoristique. Rassurez-vous, aucun enfant n’a été menacé tout comme nul corps de police n’a été contacté, mais j’ai bel et bien débuté avec un birdie à Sainte-Julie. Longue vie au Rigolfeur, un patrimoine estival à chérir sans modération.