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Il pleuvait sur Bruxelles quand nous avons pris possession de ma 2CV 1972. Ça ne pouvait pas être autrement. En Belgique, quand il ne pleut pas, c’est qu’il a plu, ou c’est qu’il va pleuvoir.
La petite vieille a passé le contrôle technique avec brio. Elle a désormais la permission de rouler sur les routes d’Europe jusqu’en 2015. Je l’ai testée un peu dans la campagne flamande et beaucoup sur les pavés bruxellois. Elle a tenu le coup.
Je l’ai examinée sous toutes ses coutures pour mieux l’apprivoiser avant de l’emmener faire le grand tour d’Europe. Les jointures sont rouillées, les caoutchoucs asséchés par les années, il y a de la poussière graisseuse amassée sous les tapis, les sièges sont renfoncés par le poids des voyages, les articulations craquent, les freins grincent, les bielles bêlent, l’usure du temps a fait son travail, le filtre à air crache des motons de mousse grasse, les câbles de bougies sont secs comme la peau d’une vieille mémé… la petite voiture va-t-elle tenir le coup jusqu’au bout de la route? J’ai des doutes renforcés par les questions des amis, les inquiétudes de la famille, les rires des experts, les appréhensions de la blonde…
La carrosserie est si légère que le moindre camion qui nous dépasse nous fait sursauter sur place. D’ailleurs, ce n’est pas une carrosserie, c’est une pellicule de tôle ondulée à peine plus épaisse qu’un feuille de papier d’aluminium. Je me sens comme un sandwich qui roule entre deux rangées de camions en furie.
Je ne peux pas m’empêcher de penser à la première scène du film Le Corniaud avec Louis de Funès et Bourvil.
La Rolls de l’irascible de Funès frôle la 2CV de l’innocent Bourvil. La carrosserie s’effondre comme un château de cartes. « Maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien, forcément » précise Bourvil. Forcément. (Tout le monde devrait voir au moins une fois dans sa vie un film de de Funès).
J’ai du tape en masse pour recoller les morceaux (au cas où), j’ai un bidon d’essence (au cas où), j’ai un extincteur (on ne sait jamais), j’ai aussi le triangle de détresse (au cas où) et un ami attentionné m’a même prêté sa trousse à outils pour que je resserre les durites et les boulons en chemin (au cas où).
Malgré mes craintes et son âge vénérable (elle a plus de 40 ans), malgré sa fragilité et sa témérité, la 2CV roule toujours. Pourra-t-on en dire autant dans 30 ou 40 ans, des voitures produites aujourd’hui?
Les premiers kilomètres sont euphoriques et incertains. Amsterdam n’est qu’à 206 kilomètres de Bruxelles. Plus que 8300 avant d’arriver à notre destination finale. Mais déjà face au flot du trafic, au poids du métal, aux litres de carburant qui s’envolent en fumée, je sens que mes mains qui serrent fermement le volant tiennent aussi le destin fragile de nos vies sur la route de notre drôle d’existence.
Mon fil Twitter tournera au ralenti pendant mon tour d’Europe avec mon fils et puis avec mon père, mais vous pouvez quand même monter à bord : @pascalhenrard