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La fois où on est allé faire du cheval avec les B.B.
« On a été le premier band d’une nouvelle vague de bands. »
En 2011, dans le cadre de son Spécial Bébés, le magazine URBANIA avait rencontré les B.B. dans un manège d’écurie (oui oui, on le sait: interviewer les B.B. dans un numéro sur les bébés… on se trouvait ben fins). À la suite de l’annonce du décès de Patrick Bourgeois, on a voulu revisiter cette entrevue fort sympathique avec le trio mythique.
« Me semble que c’est le chanteur qui devrait monter dessus », dit François. Dans le manège intérieur de l’écurie, Patrick Bourgeois, vêtu de pantalons blancs serrés en capitaine, ne s’obstine pas et grimpe sur le cheval blanc pas de selle qui s’appelle Mindy. Après deux secondes, Mindy commence à s’agiter et part à toute vitesse en direction du mur. « Heeeeille! » Avant de se casser une vie, le chanteur saute au sol. Sans salir ses pantalons. – Faut que tu tiennes son licou serré. Comme ça, elle va savoir c’est qui le boss, conseille François.
– Fuck off, j’vais me ramasser comme Superman! Hey, y a-tu quelqu’un qui a filmé ça pour qu’on le mette sur YouTube?
François a déjà possédé un cheval : il prend le relais et monte sur Mindy, parfaitement à l’aise… Mais Mindy, elle, continue de s’agiter.
Patrick au photographe : T’as pas des poules à la place?
En route vers l’écurie Hippo Brome, comme avant n’importe quelle entrevue avec un band (même peut-être un peu plus qu’à l’habitude), je me demandais si ma rencontre avec les B.B. allait être plaisante. Si les gars allaient être généreux ou bien s’ils allaient me faire de l’attitude. Considérant à quel point les B.B. ont marqué l’inconscient collectif québécois, je me disais que leur succès de jadis avait pu leur monter à la tête.
Je suis arrivé sur le set en même temps que la commande de café. Les B.B., leur styliste (la fille de Patrick), leur coiffeuse (la copine de Patrick) et le reste de l’équipe étaient déjà sur place. Ça placotait, ça rigolait. Disons que ça augurait bien.
À première vue, j’ai trouvé que avaient pas mal la même tête que dans le temps, sinon que François Jean et Patrick Bourgeois s’étaient fait couper les cheveux et qu’Alain Lapointe semblait avoir un peu plus vieilli que les autres.
Vêtus de blanc comme sur la photo de presse qui accompagne leur nouveau single Je suis à toi, les gars étaient prêts pour leur shooting avec un cheval. Un cheval, oui, comme dans leur chanson Parfums du passé et dans Seul au combat, mais sans chevalier imaginaire. Un concept — sûrement brainstormé pendant des heures par l’équipe d’URBANIA— qui permettrait de faire le pont entre ce qu’ils sont aujourd’hui et leur glorieux passé.
Au moment de commencer l’entrevue, les gars se sont assis sur le divan du lobby (Patrick a un peu de misère à cause de ses pantalons trop serrés). Ils m’ont proposé la chaise berçante, en vrais gentlemen. Après une explication de base de la corrélation entre le nom du groupe et le thème du numéro Bébé (qu’ils avaient catchée d’avance, il va sans dire), j’ai commencé par le commencement.
Moi : Pour nos lecteurs et lectrices de 16 ans et moins, le nom les B.B, ça vient d’où?
Patrick : Au début, on s’appelait les Beaux Blonds. Ça a duré jusqu’à ce qu’on ait une repousse.
François : C’est Marc Drouin (l’auteur de Pied de poule, Vis ta vinaigrette) qui nous avait appelés de même parce que Pat pis moi on était bleachés. Mettons qu’Alain a pas eu le choix de suivre lui aussi…
Alain : J’étais platine, mon gars. J’avais l’air d’un poussin qui sortait d’un œuf!
François : Nous autres, on savait que ce nom-là, c’était une joke. On voulait rien savoir. Mais quand on a voulu passer aux choses sérieuses, la compagnie de disques insistait sur le fait qu’on s’était fait connaître comme les Beaux Blonds. On a dû faire un compromis. C’est là qu’on en est arrivés aux B.B. Quand on nous demandait ce que ça voulait dire, on répondait jamais la même chose…
Tous : On disait « break à bras… », « Boule de billard… », « Bonne baise! », « Bouteille de bière… », « Bœuf bourguignon… »
Alain : On avait beau chercher d’autres noms, on revenait toujours aux B.B. De toute façon, on était sûrs que ça allait marcher!
François: C’était clair! On a été le premier band d’une nouvelle vague de bands. Il y a eu Harmonium, Beau Dommage, Garolou, Octobre, name it… Après toute cette vague de bands, le désert pendant 10 ans.
« Les textes en français, c’est super tough à écrire. » Patrick
En 89, ils sont débarqués avec leurs superbes tronches et un look qu’ils se rappellent avec un sourire en coin : les paillettes, les chemises colorées et les tignasses, pour la sortie de leur premier album homonyme de pop avec un fond new wave — de la «sweet pop», comme François Jean l’appelle. Un album au goût du jour, mais en français.
Moi : Sur votre premier album, les arrangements sont écœurants, mais très synthétiques. Quand il est sorti, les journalistes devaient vous attendre avec une brique pis un fanal, avec vos belles gueules?
François : On n’avait pas de budget pour faire l’album. On a fait affaire avec un vieux chum, qui m’a conseillé de faire le drum sur un clavier. J’l’ai fait.
Patrick : Le monde pensait que c’était pas nous qui jouions. Heille, on n’est pas Milli Vanilli! On est des vrais crisses de musiciens, man!
François : On était trop beaux pour être bons ! Mais ils l’ont eu dans les dents, les journalistes. « Des A pour les B.B. », que ça disait dans les journaux.
« Trop beaux pour être bons ». Sur le coup, je me dis que ça aurait pu être un pas pire nom pour le groupe.
Sur leur divan, au milieu du lobby, les gars se rappellent la suite glorieuse qu’ils ont connue. Les tournées en Europe, les présences sur les talk-shows avec de grosses vedettes comme Rod Stewart et, deux ans plus tard, la sortie de leur deuxième album, Snob. Avec un vrai piano et un vrai drum.
François : On a été les premiers à enregistrer sur 48 pistes digitales au Canada. Sting venait de faire son album là-dessus, pis Patrick, un maniaque de technologie, voulait faire la même chose. On était à la fine pointe. D’ailleurs, la technologie, ça a été une des forces des B.B., Patrick a toujours suivi ça de près. Quand une nouvelle machine sortait à New York…
Patrick : Je l’avais avant eux autres ! Mais tsé, aujourd’hui, quand je réécoute l’album Snob, même si c’est digital, vocalement, je trouve que c’est ordinaire en cr… Y a Donne-moi ma chance qui est pas pire, mais pour le reste, c’est comme si je chantais avec un vise-grip sur la gosse!
Marquer une génération, en influencer une autre
Dans le lobby de l’écurie, on sirote un café, rien de fancy. Les gars ont de la jasette, se coupent, se relancent, sacrent. Ils me racontent leur histoire, comme si c’était la première fois.
Moi: Après toutes ces années, avec vos vieux hits qui tournent encore en masse à la radio, où est-ce que vous pensez que les B.B. se situent dans l’histoire de la musique au Québec?
Alain: Nos fans ont continué d’écouter notre musique, même après qu’on se soit séparés. Maintenant, leurs enfants connaissent les pièces et toutes les paroles. J’en reviens pas! Y a même des vieux qui viennent nous voir pour nous dire :
« Je le disais pas que je vous aimais parce que j’avais peur qu’on me traite de tapette. »
François : Pis des fois, c’est des gros musclés avec des tatouages qui font leur coming out!
Alain : On a vraiment marqué une génération, pis on a influencé aussi beaucoup de musiciens, de jeunes groupes…
Patrick : Comme Chromeo. Y a aussi des gars comme Steve Veilleux de Kaïn, pis Fred St-Gelais (le chum de Marie-Mai [ndlr : ex-chum de Marie-Mai], qui a réalisé leur nouvel album). On leur a donné le goût de faire de la musique en français ! (J’ai claqué la porte, sur le dernier album de Chromeo, est directement inspirée des B.B.) Parce que, à l’époque, quasiment tous les bands chantaient en anglais. Il y en avait pas beaucoup qui chantaient en français. La bonne pop en français, c’est la musique la plus difficile à faire. Les textes en français, c’est super tough à écrire.
Alain : Il faut que ça coule comme l’anglais. C’est pour ça que tous nos textes ont été composés de façon à ce qu’il y ait pas trop de consonnes fortes, comme des R, des B, des T…
Les gars m’expliquent que la belle bête s’est réanimée aux FrancoFolies de Montréal, en 2008. Ils pensaient s’arrêter après la tournée qui soulignait le 20e anniversaire du groupe, mais les offres de concerts ont continué d’affluer, comme les entrevues à la radio pendant lesquelles on n’arrêtait pas de leur dire : « Ça serait l’fun, des nouvelles tounes des B.B. ».
Patrick raconte qu’il n’était pas certain de vouloir repartir la machine, craignait que ce soit pas si l’fun que ça. D’autant plus que leur dernier album, Bonheur facile, sorti en 2004, n’avait pas été une expérience médiatique appropriée pour un premier retour de titans de la pop. Le chanteur a été un peu long à convaincre, donc, mais en 2009, il a commencé à travailler sur de nouvelles chansons. Je suis à toi, le premier simple de l’album, est paru au printemps. Depuis, il colle au top 30 à la radio et connaît un immense succès lorsque les gars la jouent en spectacle.
Moi: Depuis votre retour sur les planches, avez-vous eu affaire à de drôles de fans?
Patrick : Peux-tu croire qu’on a créé deux émeutes dans les deux dernières années! Pourtant, avec des chansons comme Parfums du passé pis Donne-moi ma chance, on n’est pas le genre de band qui incite à la violence, tsé…
Alain : Y a du monde qui essaie de se faufiler backstage! On n’a pas le choix d’avoir de la sécurité partout où on va!
François : Y en a qui ont un petit côté psycho, mais sont pas méchants…
Moi : Est-ce que vous avez déjà rencontré des femmes qui clamaient avoir été enceintes de vous?
François : Oui, une fois, à Shawinigan, y en avait une qui avait une pancarte qui disait : « François, j’ai un enfant de toi, Tournée Rock le lait 92 ». Je suis allé la voir après le show et je lui ai dit : « Je te connais pas, pis on a jamais fait la tournée Rock le lait. »
Patrick: On reçoit encore des brassières, mais elles sont neuves. Y a encore l’étiquette d’accrochée après!
Alain : À l’époque, y avait aussi une fille qui me suivait. Elle m’achetait des chemises à 100 piasses, stie! Elle m’a même acheté un char ! Elle l’a smashé pour 10 000$ de dommages, pis elle l’a fait remonter parce que c’était mon char.
Moi, j’appelle ça de l’amour.
« Quand nos enfants étaient jeunes, on avait une vie de famille ben normale. C’est quand ils sont entrés à l’école qu’ils ont réalisé qu’on était des vedettes : quand les professeurs ont commencé à leur demander nos autographes. »
Alain
Des punks
À jaser dans le piton comme ça, les cafés refroidissent, mais l’ambiance est conviviale. C’est d’adon. François l’a mentionné plus tôt, les B.B. ont été les premiers d’une nouvelle vague francophone au Québec. J’y vais d’une question bête.
Moi : Quelles ont été vos inspirations à l’époque ?
Patrick : Des groupes anglophones. Des Brits, surtout. Comme Sting, The Police, Adam & The Ants, les Beatles, les Stones, Genesis, Duran Duran, Human League, les Sex Pistols, the Clash…
Moi (surpris de l’issue de ma question bête) : Les Sex Pistols, vraiment ? Y avait une essence punk dans les B.B. ?
François: Ben oui, on a joué du punk! On jouait G.B.H., Exploited, U.K. Subs, on trippait là-dessus! On avait des cheveux rasés avec des toupets pointus, toute !
Patrick: On était full underground! Mon premier band punk s’appelait Social Warning. Méchant nom. Je pense que j’avais pris le nom sur un paquet de cigarettes.
François: Avec mon band, Scan, qui était plus new wave/ ska, j’ai gagné la première édition que CKOI avait organisée de L’Empire des futures stars.
Alain: Moi, j’ai fait mes études en piano. J’étais plus pop, classique. J’ai joué dans S.O.S., Sagittaire, Losange…
Patrick : Toutes des osties de noms à coucher dehors !
La directrice de production nous interrompt pour la séance photo au moment où je réalise que j’en reviens juste pas du CV des B.B. On s’en va vers l’écurie, où la coiffeuse (la copine de Patrick) me dit que j’ai une belle coupe. C’est fin.
Mindy fait sa malcommode et c’est finalement François plutôt que Patrick qui s’assoit dessus ; Patrick et Alain se tiennent debout à ses côtés, un peu nerveux d’un possible coup de sabot perdu.
Moi : Est-ce que vous en faisiez beaucoup, du cheval ? Parce que vous en parlez dans plusieurs chansons : le cheval blanc de Parfums du passé, le chevalier imaginaire de Seul au combat…
Patrick : C’était plus un symbole, tsé. On faisait de l’équitation… mais pas avec des chevaux… Des fois avec même pas de selle !
Les coquins. François revient vers nous pour jaser des groupes qu’il a vus dans le temps.
François : Avant, je travaillais dans les salles de spectacles et j’allais chercher les artistes à l’aéroport de Dorval. Heille, j’ai vu Duran Duran dans le temps où c’était juste 3 claviers !
Patrick : C’était quoi le nom du gars, tsé, c’était un skin, il jouait des synths, c’était bon en tabarnak ? Tsé, Vorn, là ?
François : Ah, Bill Vorn ! Rational Youth !
Patrick : C’est ça ! Ça c’était bon en ta’ ! Et c’est là que, en plus d’être flabbergasté par la vivacité de vieilles idoles (j’ai cessé, ce jour-là, de vivre dans le déni), j’ai découvert, grâce à eux, un soda de bon disque new wave montréalais : Cold War Night Life de Rational Youth (1982), à écouter, sous recommandation des B.B.
2/3 papas rockstars
Après la séance de photos, j’ai mangé de la pizza avec les B.B. comme n’importe qui mangerait de la pizza avec les B.B., sauf que je leur ai pas lancé de soutien-gorge. François et Patrick continuaient de se rappeler les bands qu’ils avaient vus avant de fonder leur propre groupe. J’ai proposé d’aller faire une marche pour terminer l’entrevue, question de digérer.
On se promène sur une petite route de campagne, c’est cahoteux. On s’arrête devant une petite côte; Alain veut pas la monter, on revire de bord.
Moi : Pis, Patrick et Alain, comment c’est d’être des papas rockstars ?
Alain : Quand nos enfants étaient jeunes, on avait une vie de famille ben normale. C’est quand ils sont entrés à l’école qu’ils ont réalisé qu’on était des vedettes: quand les professeurs ont commencé à leur demander nos autographes. Mon fils a 28 ans maintenant. Pendant longtemps, il n’a pas parlé des B.B. parce qu’il ne pouvait pas être « le fils de », pis je le comprends. Ma fille, c’est différent. Elle a pas mal hâte d’entendre le nouvel album.
Patrick : Mais, pour répondre à ta question, moi, ça m’a groundé. J’aurais pu être ben plus fou que ça.
François : Moi, je voulais pas me grounder : je voulais devenir plus fou que ça. J’ai pas eu de kids. Même pas pendant la tournée Rock le lait 92 !
Patrick : Toi, tu voulais te grinder !
François : Vivre le roche’n’roll, stie !
Viens dans le char, je vais te montrer de quoi
Au retour de la marche, une fois l’entrevue terminée, on nous indique que c’est le temps de reprendre le shooting, mais Patrick a pas envie de retourner sur la job tout de suite, il me propose subrepticement d’aller dans son auto (de luxe) pour me faire entendre des tounes de leur nouvel album.
François : Baisse les fenêtres !
Patrick : No-non, je veux pas que le monde écoute. Je vais te faire entendre Tant que tournera le monde. Tu vas voir, c’est juste acoustique. Elle est bonne en crisse.
Une power-ballade, plus rock que pop, aux accents un peu indie même, avec un refrain répété en boucle. Patrick mime les montées de drum. Surprise. Je trouve ça pas mal bon.
Patrick : Celle-là, elle est dans un autre style.
Ça part avec une ligne de synthé bassy et crottée. Surprise encore. D’autres lignes de synthé s’y ajoutent, de la disto ; la toune groove et Patrick marque les punchs avec son poing.
Sans regagner la superbe des premiers opus, les nouvelles chansons semblent intégrer adéquatement les influences des Killers et de Coldplay, dont Patrick parlait plus tôt. Audacieux pour de la pop grand public en français, audacieux de la part d’un groupe dont chacun chérit, secrètement ou non, les débuts, et audacieux pour un retour. Ça sonne fait pour les bonnes raisons, pas pour la passe de cash.
Patrick : Y est bon en christie c’te disque-là. J’te dirais même que c’est mon meilleur disque à vie.
Moi : T’oserais dire ça ?
Patrick : Oui !
Stylisme: Marie-Kim Mercier (pas la fille de patrick bourgeois — glossartistes.com)
Vêtements/accessoires : merci à Oldgold boutique héritage, Screaming Eagle, La Baie centre-ville, Eva b et Aldo
Maquillage/coiffure : Mélanie Savard
Production : Joëlle Raymond
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L’article était présenté par le défunt Bande à Part.