Tout a commencé lors d’une soirée dans Verdun. On parlait de féminisme entre deux bières et une amie d’une amie a commencé à parler d’un cercle de femmes. “Ça s’appelle la tente rouge”, a-t-elle lâché, suivi d’un petit silence malaise plein de suspense.
Il ne m’en fallait pas plus pour commencer des recherches.
J’ai découvert que le concept de tente rouge était issu de la tradition amérindienne de la Moon Lodge, un lieu où se retrouvent les femmes pour échanger sur les mystères féminins comme la maternité, le cycle menstruel, la créativité ou la sexualité, entre autres.
Au Québec, l’Association des Cercles de fermières est la plus ancienne organisation fondée exclusivement pour des femmes. 35 000 femmes sont membres de cette association qui célébrait ses cent ans en 2015.
Est-ce le besoin d’un rassemblement tacite entre congénères, sous le couvert de l’anonymat où chacune dispose d’une voix égale à l’autre qui attire les femmes à rejoindre ce type de réunions? J’ai eu envie d’aller voir par moi-même.
J’ai trouvé l’évènement sur Facebook. La description laissait entendre qu’il allait être question de notre cycle menstruel, de guérison et de l’influence lunaire.
Seule condition pour participer : se définir comme femme seulement.
C’est quoi une “femme”? Qu’est-ce qui définit notre sexe? Je n’avais pas encore fait un pas en dehors de chez moi que déjà les questions se bousculaient dans ma tête.
Puis, le jour J est arrivé, un cocktail étrange d’émotions m’assaillait. Mon chum me trouvait drôle, moi j’avais presque envie qu’il se déguise en femme pour m’accompagner. “No way!” Je savais pas quoi porter, genre hippie ou authentique? Finalement, j’ai opté pour mes belles boucles d’oreilles en plumes, ça me donnerait un look Pocahontas (don’t judge!).
J’avoue que je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. Je ne pouvais pas m’empêcher de tomber dans des stéréotypes. Quel genre de femmes organisaient ce genre d’évènement? Est-ce que j’allais me retrouver dans une espèce de secte? Un powertrip de sorcières avec du poil en dessous des bras?
Une fois rendue en face du building rue d’Iberville, je jure qu’il y a eu un moment où je voulais prendre mes jambes à mon cou. “Allez, t’es une vraie reporter, let’s go!” Là, j’ai arpenté le petit dédale de béton pas rassurant pour deux cennes pour me rendre à une porte qui indiquait “Loft Pyramide. Entrez par l’autre porte s’il vous plaît!”, avec des soleils dessinés.
J’ai rassemblé mon courage et refoulé mon excitation pour mettre ma face de fille smatte et j’ai cogné. J’ai attendu, mais comme personne ne venait, j’ai poussé la porte. Pis là, j’ai arrêté de respirer tellement c’était beau. Je m’attendais à tout sauf à ça.
Je me sentais comme dans Alice aux pays des merveilles, sauf que là le tapis était en gazon synthétique.
Le loft Pyramide était un de ces endroits magiques, où tu entrais par une porte qui menait à un autre Univers. L’espace était immense et il y avait même un drapé aérien qui pendait du plafond!
Of course, j’étais la première arrivée (ben trop motivée, la fille!). J’étais un peu gênée, apparemment même l’organisatrice de l’évènement n’était pas encore là, de sorte que j’ai attendu dans la cuisine. Il y avait un gars qui préparait du Kombucha maison et une fille avec des dreads qui mangeait du spag (c’était l’acrobate qui faisait du tissu aérien).
J’ai appris qu’ils étaient dix à cohabiter dans la commune KESM, qu’ils avaient su créer une communauté accueillante, qu’ils organisaient régulièrement des workshops, des ateliers d’acroyoga et des conférences sur le mode de vie Polyamour, mais que c’était la première édition du cercle de femmes.
Les participantes ont commencé à arriver, il y avait une jeune mère avec son bébé qui était venue accompagnée de son mari pour qu’il s’occupe du petit, mais lorsque le cercle a débuté, les hommes se sont retirés.
L’animatrice a passé le pas de la porte en s’excusant de son retard et en souriant de toutes ses dents. Elle était loin de l’image de femme shaman que j’avais imaginée dans ma tête; elle était dans la vingtaine, portait les cheveux rasés courts et elle dégageait une belle énergie (non, elle ne s’appelait pas Roberta-Suzie) qui m’a tout de suite mis en confiance.
On s’est assises en cercle (c’était quand même le concept!), puis on a commencé par se présenter, en prenant le thé et en grignotant des petites douceurs. L’animatrice, appelons-la Joy, nous a offert des bracelets avec une pierre de jade pour chacune d’entre nous. Elle nous a dit d’insuffler une intention dans la pierre.
Il s’avérait (non sans hasard) que la rencontre tombait un soir de pleine lune.
On disposait chacune de dix minutes pour parler de notre semaine, dire si oui ou non on avait ressenti l’influence de la lune et dans quel état émotionnel on se trouvait. Certaines femmes ne se sentaient pas du tout affectées, d’autres ressentaient plus intensément leurs émotions.
On a ensuite adopté un ordre des sujets que nous souhaitions discuter, soit le cycle menstruel, la relation avec la mère et la sexualité, mais au final, on a skippé le thème de la mère, on avait trop hâte de parler de sexe, je pense.
Avant de tomber dans le vif de la conversation, Joy nous a fait se dégourdir les jambes. On a dansé, on a crié, puis, une fois la glace brisée, on s’est lancé dans le premier sujet : le cycle.
En écoutant Joy parler de ses astuces pour mieux comprendre un phénomène qui nous affecte toutes chaque mois, je me suis rendu compte qu’il est plus aisé de partager certaines expériences dans un contexte comme celui-ci.
Il est encore assez tabou dans notre société de discuter de sujets tels que les menstruations ou la sexualité avec ses pairs. Je repensais à certaines réactions que j’avais reçues venant de mon entourage quand j’avais dit que j’allais dans un cercle de femmes : “Ouin, j’ai vu que t’étais attending dans un cercle de femmes…”, “C’est quoi ça un cercle de femmes?”.
Je m’étonnais d’arriver à ce constat, mais force était d’admettre que je n’avais pas vraiment eu l’occasion ou l’ouverture nécessaire pour parler de menstrues avec mes amis ou ma famille.
Là, dans l’intimité de notre cercle de sept femmes de tous âges confondus, on se sentait protégées, comme dans un cocon et à l’abri du jugement.
Des conseils étaient prodigués, des témoignages partagés et on se comprenait en tant que femmes. J’en ai appris sur le cycle menstruel, car non, il ne suffit pas d’être femme pour comprendre tout ce qui passe dans notre corps et comment on peut être affectée ou non en fonction de la période dans laquelle on se trouve.
Joy nous a exposé sa méthode, comment elle tenait un journal de son cycle dans lequel elle notait certains éléments tels que sa libido, la fréquence de ses règles, ses humeurs et autres données factuelles. Elle nous a dit qu’après avoir fait cet exercice pendant deux mois, elle s’était rendu compte que certains schémas se répétaient. La période suivant directement ses règles était la plus créatrice, elle débordait d’énergie et se sentait attirante. Arrivée à la troisième semaine, si elle ne prenait pas soin d’elle, tout dérapait avec des sautes d’humeur (I know that feeling!).
Arrivée à un certain point dans la soirée, une dénommée Julie nous a fait un témoignage touchant de son amour… pour son utérus.
Eh oui! Apparemment que certaines femmes sont hyper connectées à cet organe sensible de leur corps. Julie par exemple, adore son utérus, elle ne jure que par lui et dit qu’elle a un réel don de communication qui lui permet de savoir à la minute prêt le moment de son ovulation. Tant et si bien, qu’on en est venue à toutes se regarder, réprimant un brin de jalousie devant cette relation fusionnelle et saugrenue.
C’était intéressant de voir que dans notre cercle restreint, on avait quand même une diversité de portraits ainsi que des sexualités très différentes.
Plusieurs se disaient pratiquer le mode relationnel Polyamour (personne qui revendique la possibilité d’être épris de plusieurs personnes à la fois), une jeune femme sortait d’une relation de quatre ans dans laquelle elle disait n’avoir ressenti aucun plaisir, deux femmes étaient ménopausées, nous avions une femme fontaine et multiorgasmique (rien de moins) et même une mère porteuse dans notre groupe!
Les conversations ne se limitaient pas qu’à des détails privés, on a eu quelques discussions d’ordre sociologique et des questionnements étaient soulevés. Par exemple, comment se fait-il qu’alors que les femmes contemporaines ont généralement un emploi, les institutions ne soient pas mieux adaptées pour pallier aux besoins spécifiques d’une femme lors de ses menstruations? Ou encore pourquoi a-t-il fallu attendre l’année dernière seulement, pour que la taxe sur les tampons et les serviettes hygiéniques soit abolie?
Puis, le moment est venu de se quitter. Je dois dire que j’avais hâte de prendre un temps pour tout assimiler.
Je ne peux pas nier que cette expérience n’a pas été inoffensive.
Au fil des discussions, j’ai été confrontée à d’autres manières de vivre, à ce que d’autres femmes peuvent expérimenter et aspirer à devenir. Quand je suis rentrée chez moi ce soir-là, j’ai pris soin de moi et pour la première fois, je me suis endormie en chuchotant des mots d’amour… à mon utérus.