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La fois où j’ai servi de cobaye

Par
Sarah Labarre
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Des antécédents familiaux? Je ne sais pas trop. Des problèmes de santé? Pas vraiment. Vie sexuelle active? Certainement. Combien de partenaires durant les deux dernières années? Bah… Quelques-uns. Utilises-tu le condom? La plupart du temps.

Laissez-moi vous parler de la fois où j’ai servi de cobaye pour une compagnie pharmaceutique. C’est l’histoire d’une fille qui, pour faire comme toutes les autres filles, a consulté un gynécologue afin de se faire prescrire cette petite pilule miracle, celle qui permettait d’avoir des rapports sexuels sans le risque gênant d’une grossesse encombrante.

Et voilà qu’on me prescrit une pilule de troisième génération, Yasmin, qui, selon le médecin, devant mon apparente inquiétude, ne me causera aucun souci de santé à condition que je la prenne religieusement chaque matin. Une consultation de deux minutes et demie et je pars avec une prescription! Facile comme ça! C’est pas merveilleux, la vie moderne, rien qu’un peu?

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La vérité, c’est que ce n’est pas si merveilleux que ça. Quelques jours plus tard, ayant commencé mon traitement, je commence à ressentir des douleurs allant du supportable au “j’ai tellement mal que je vomis”. Les jours passent et mes règles ne cessent pas. Deux semaines ensuite et je recontacte le gynéco qui me rassure : “Tu n’as pas à t’inquiéter, c’est ton corps qui se place, qui s’habitue au traitement hormonal. Tu ne dois pas cesser le traitement, tu verras, ça va s’arranger.”

Trois mois plus tard, j’ai toujours aussi mal – je n’en dors plus la nuit – et mes règles n’ont toujours pas cessé. Au bord de l’épuisement, de l’anémie, je déchire le petit papier avec le numéro du gynéco et je cesse mon traitement. Les maux de ventre et les règles auront duré au total cinq mois. Laissez-moi vous dire que j’ai eu le temps d’en perdre des affaires durant tout ce temps : cheveux, moral, entrain, santé, joie de vivre. Ça finit par passer et j’oublie l’affaire jusqu’à mon récent rendez-vous avec une autre gynécologue, cinq ans plus tard.

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Celle-ci me prescrit un différent type d’anovulant; toujours de troisième génération, il s’agit du Nuvaring, un petit anneau transparent que l’on place dans le vagin et qui libère graduellement la progestérone et l’œstrogène, à petites doses. Deux semaines et ça va bien. Je ne le sens pas, mais je sais qu’il est là, et qu’il veille sur moi.

Adieu mes inquiétudes! Je vois devant moi s’étaler une liberté sexuelle que je peux pleinement assumer. Ha. Ha. Ha. Sauf que pendant le temps des fêtes, les douleurs recommencent. Adieu, veau, vache, cochon, couvée! Voilà même que la poule pond un œuf non fécondé : imaginez-vous l’équivalent d’une fausse couche qui dure trois semaines, pertes solides incluses. Personne ne devrait voir ça. J’arrête le traitement puis, deux mois plus tard, j’en ressens les effets qui s’en vont doucement.

J’ai été un cobaye, vraiment? (*1)

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Oui. Imaginez-vous donc que les risques vasculaires de l’étonorgestrel – l’hormone de 3e génération contenue dans le Nuvaring – n’ont JAMAIS été évalués! Le médecin qui prescrit le Nuvaring doit pourtant s’assurer que la patiente :

– a déjà utilisé une contraception hormonale pendant plus de deux ans sans incident – j’avais clairement indiqué à ce médecin les problèmes que j’avais eus avec Yasmin.

– n’a aucun risque d’incident vasculaire – cela n’a été qu’obscurément mentionné.

insiste à utiliser ce genre de voie d’administration – par exemple, si je refusais la pilule car trop contraignante, ce qui n’a jamais été évoqué durant l’examen.

– est au courant des risques liés aux contraceptifs de troisième génération et de l’absence d’étude sur les risques du Nuvaring – avant de faire ce billet, j’ignorais même qu’il existait des générations d’anovulants. L’absence d’étude n’a pas non plus été citée durant l’examen d’à peine quelques minutes d’où je suis ressortie toute confiante avec un échantillon gratuit du dispositif en question!

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Sans mentionner les risques de grossesse; la méthode étant nouvelle et demandant des évaluations, on ne sait pas non plus quels sont les risques d’échec liés au Nuvaring. Je ne sais pas pour vous, mais l’addition est selon moi assez facile à faire. Qu’est-ce qui a pu pousser un médecin à mettre un tel produit entre les mains d’une femme et ainsi mettre sa santé en danger?

Une confiance aveugle en la compagnie pharmaceutique? Un système de santé qui permet (et encourage!) les actes d’incompétence? Un plan marketing agressif des compagnies pharmaceutiques qui, pour gonfler leurs profits, ont introduit les contraceptif hormonaux de troisième génération supposément plus efficaces que ceux de seconde génération, donc, plus coûteux? (*2)

La France, d’ailleurs, cessera sous peu de rembourser les contraceptifs hormonaux de troisième génération et privilégiera d’autres méthodes de contraception, afin de tenter de limiter les effets pervers que ces médicaments peuvent avoir sur la santé des patientes. Il y a certes beaucoup de questions à se poser.

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La fois où j’ai eu de la misère à gérer mon indignation

Pourquoi ne pas faire un billet qui enquêterait sur les effets pervers des contraceptifs hormonaux? Après tout, je sais ne pas être la seule à vivre de pareils ennuis et j’ai déjà lu sur un recours collectif contre Yaz (*3)– autre anovulant de troisième génération produit par la compagnie Bayer – chez nos voisins du Sud. Alors, pourquoi pas? J’ai donc fait un appel à toutes sur les réseaux sociaux afin de recueillir les témoignages de d’autres femmes qui, comme moi, ont été victimes du marketing pharmaceutique.

La vérité, c’est que je ne m’attendais franchement pas à l’horreur des témoignages que j’ai reçus. Des histoires à crever le cœur. Une indignation et un dégoût difficiles à gérer. En voici quelques exemples : (*4)

Alice, 19 ans, Alesse 28 : Hospitalisation d’urgence, phlébite à la jambe. La veine cave de la cuisse gauche complètement bouchée par un caillot de sang, 8 jours à l’hôpital. Prenez-vous des anovulants? Oui. Arrêtez de les prendre, tout de suite. Bas de contention à vie (allô confort!), médication qui lui interdit l’alcool (imaginez-vous apprendre ça à 19 ans!) et impossibilité d’avoir des enfants, avant même de savoir si elle en voulait.

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Julie, alors 21 ans, Minovral : Thrombose, douleurs, vomissements sur des mois, des dizaines de visites à l’hôpital… On craint un cancer des os, ou même le VIH; on n’a jamais su ce qu’elle avait vraiment, jusqu’à ce qu’on lui dise de changer complètement ses habitudes de vie et qu’elle cesse de prendre la pilule et là, guérison miraculeuse! (*5)

Ariane, 33 ans, Yasmin : Deux embolies pulmonaires massives. À un cheveu de la mort. Cela fait 14 mois et elle est toujours en arrêt de travail, avec des séquelles probablement permanentes.

Sophie, âge inconnu, Micronor puis Mirena (stérilet à dosage hormonal) : Règles continues pendant 7 mois (bonjour anémie!) puis, après la naissance de son fils, elle commence l’utilisation de Mirena, petit miracle de la médecine moderne : douleurs au col de l’utérus, saignements persistants, anémie, épuisement, rapports sexuels douloureux, le médecin refuse de lui enlever son stérilet jusqu’à ce qu’elle se retrouve aux urgences.

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Marie, 25 ans, Nuvaring : Douleurs importantes durant les rapports sexuels, règles constantes, double embolie pulmonaire.

Julie, début vingtaine, Diane 35 : AVC. Pas besoin d’en dire plus.

Et ce poison ne fait pas de victime QUE chez les femmes. Savez-vous quels sont les impacts environnementaux de la prise d’hormones artificielles? (*6) La grande partie des hormones que les patientes ingèrent – soit jusqu’à 80% – sont éliminés par l’urine, et donc, se retrouvent dans les stations d’épurations où elles ne seront pas traitées, où elles seront rejetées dans l’environnement par les cours d’eau, ou dans les champs agricoles par l’épandage des boues usées municipales… Imaginez l’effet que ça peut avoir sur la faune aquatique.

Nous assistons véritablement à une féminisation des brochets et autres amis nautiques. Et si ça affecte jusqu’aux poissons, imaginez l’effet que cela peut avoir sur l’ensemble des hommes et des femmes qui inévitablement entrent en contact avec les hormones qui se retrouveront forcément dans l’eau du robinet!

Oui, mais…

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Oui, mais, certains diront, il n’en tient qu’à moi d’avoir un mode de vie responsable et de faire preuve de jugement dans ce genre de situation. Mais, qu’est-ce qu’un patient responsable?

La femme enceinte responsable, par exemple, ira religieusement à ses rendez-vous obstétriques tout le long de sa grossesse afin de s’assurer de la bonne santé de son enfant à naître. De même que le diabétique responsable prendra régulièrement ses lectures de glycémie et que l’obèse responsable suivra à la lettre l’avis de son médecin et appliquera sa diète au quotidien. Qu’en est-il de la femme désirant prendre la petite pilule miracle? (*7)

Elle se fiera bien entendu au bon jugement de son médecin. Il est entendu en société que nous sommes naturellement appelés à faire confiance au médecin. Après tout, c’est lui, le spécialiste, et c’est lui qui a la responsabilité de nous informer et de veiller à notre santé. Si le médecin nous dit : “Ne vous inquiétez pas”, pourquoi nous inquiéterions-nous?

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Bon, maintenant, je fais quoi?

Je ne sais pas encore ce que je vais faire. Une chose est certaine, il est hors de question que je me contente d’un billet de blogue, puis que je laisse aller, les bras croisés. Je veux changer les choses. J’ai dû, en tant que femme, en tant que féministe, avaler ma grosse pilule d’humilité. Les lobbys féministes ont longtemps combattu – et avec raison! – pour le libre arbitre de la femme sur son propre corps et la pilule anticonceptionnelle est l’une des armes-clé pour ce combat.

Mais avons-nous réellement le libre arbitre sur notre corps, ou bien sont-ce les compagnies pharmaceutiques qui contrôlent notre désir d’une sexualité épanouie et sans contrainte, en se jouant de nous, leurs cobayes?

Oui, la libre contraception et le libre contrôle de son corps pour toutes, mais à quel prix?

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(*1) Lire pour plus d’approfondissement cet article du docteur Marc Zaffran au http://www.martinwinckler.com/spip.php?article1114

(*2) Voir encore l’article du docteur Marc Zaffran sur la question

(*4) Tous les noms sont fictifs, les âges sont réels.

(*5) Julie utilise désormais un stérilet sans hormones qui ne lui apporte aucun inconfort et aucun symptôme gênant.

(*6) Pour plus d’informations:

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(*7) Voir l’article de Marc Zaffran: Qu’est-ce qu’un patient responsable? http://www.martinwinckler.com/spip.php?article1068