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La fois oĂč jâai photographiĂ© le dĂ©mĂ©nagement de Jean-Michel Blais
Jâai la chance de pratiquer un mĂ©tier qui me donne accĂšs Ă lâintimitĂ© de personnes exceptionnelles aux histoires fascinantes et Ă des instants de vie privĂ©e riche en Ă©motions. Comme photographe, mais aussi comme humain, il mâarrive dây toucher furtivement. Câest un peu comme ça que jâai eu un coup de coeur pour Jean-Michel Blais, lors dâun aprĂšs-midi de dĂ©mĂ©nagementâŠ
Quitter son nid
Au printemps dernier, Jean-Michel est Ă©vincĂ© de son appartement. Pour marquer la fin dâune Ă©poque, il donne un dernier concert dans lâintimitĂ© de sa chambre devant ses amis et sa famille. Câest de cette soirĂ©e quâĂ©mergera eviction sessions, un EP, puis un court documentaire que je rĂ©aliserai et qui raconte le processus crĂ©atif derriĂšre lâalbum.
Lors des tournages, le musicien me raconte Ă quel point cet appartement de la rue Hutchison a eu un impact majeur dans sa vie, son intĂ©gration Ă la scĂšne musicale montrĂ©alaise, son rĂ©seau dâamis et sa carriĂšre. TouchĂ© par son histoire, par le fait quâil doive quitter sa maison Ă laquelle il tenait tant, dans un quartier oĂč il a construit sa nouvelle vie montrĂ©alaise, lâidĂ©e de documenter ce moment fort en Ă©motion fait son chemin.
Je pense alors Ă son acolyte musicale, la piĂšce maĂźtresse de son appartement : son piano. Lâ « opĂ©ration dĂ©mĂ©nagement » de lâinstrument sur lequel il a enregistrĂ© un album et un EP me semble dĂ©licate. Se pointe alors lâenvie de capturer cette journĂ©e qui allait ĂȘtre empreinte de nostalgie et de nouvelles aventures. Le projet prenait forme.
Le luxe de prendre son temps
Dans mon mĂ©tier, le temps est un luxe. On est souvent poussĂ© Ă livrer rapidement, quel que soit le projet. Il faut savoir oĂč on sâen va et sây rendre le plus vite possible. Pendant un photoshoot, on nâa pas vraiment le temps de se poser des questions, remettre en doute son travail; le livrable est pour demain avec 25 photos Ă retoucher. Ici, jâavais carte blanche et la seule contrainte de temps Ă©tait Ă mon avantage, la ponctualitĂ© des dĂ©mĂ©nageurs nâĂ©tant pas leur plus grande qualitĂ©!
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J’ai passĂ© beaucoup de temps seul dans la piĂšce, Ă rĂ©flĂ©chir.
3 juillet 2018 â Câest la canicule, comme lors de tous les dĂ©mĂ©nagements Ă MontrĂ©al; il faut faire avec. Je suis arrivĂ© vers midi, Jean-Michel avait presque terminĂ© ses boĂźtes. Tout Ă©tait blanc et vide, exceptĂ© sa chambre et son salon oĂč rien nâavait bougĂ© (cadres sur les murs, piano fermĂ©, livres sur les tablettes, etc.). Jâai passĂ© beaucoup de temps seul dans la piĂšce, Ă rĂ©flĂ©chir et Ă analyser le lieu, la lumiĂšre, la composition et mon concept⊠Jâai mĂȘme pu pianoter pendant que Jean-Michel emballait les dix derniĂšres annĂ©es de sa vie dans la cuisine (bonjour la pression!).
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Jâaime les triptyques, cette technique revient souvent dans ma pratique, et câest lâavenue que je souhaitais emprunter pour capter le dĂ©mĂ©nagement de Jean-Michel. Trois photos de la mĂȘme piĂšce, celle qui contient le piano, Ă trois moments diffĂ©rents de son parcours. Je voulais capter la transition, les amis qui viennent lâaider, les cartons qui sâadditionnent, le lieu qui se transforme, le piano seul et finalement, lâespace complĂštement Ă nu. Mon but Ă©tait de faire plusieurs photos qui montre la piĂšce se vider, un peu comme du stop motion, mais avec une vieille camĂ©ra argentique grand format. Parlant de cette camĂ©raâŠavez-vous deux minutes? Je dois vous en parler.
La nostalgie de la pellicule
Câest un appareil photo 4 x 5 grand format qui a fait office dâalliĂ© cette journĂ©e-lĂ , un monorail Cambo SC qui mâa Ă©tĂ© donnĂ© par la famille du photographe Charles Gagnon, Ă©galement cinĂ©aste. Ă lâĂšre des appareils numĂ©riques, jâai souvent lâimpression dâĂȘtre un extra-terrestre lorsque je lâutilise, lui qui aborde un soufflet en accordĂ©on et moi avec un drap noir par-dessus la tĂȘte. M. Gagnon documentait la vie montrĂ©alaise de façon honnĂȘte et rĂ©aliste, il Ă©tait un photographe engagĂ© et câest une chance inouĂŻe que dâavoir hĂ©ritĂ© de son appareil. Son apport Ă la photographie documentaire quĂ©bĂ©coise a jouĂ© un rĂŽle important dans ma propre dĂ©marche artistique.
Le processus du 4 x 5 est trĂšs lent, il nous force Ă ralentir. Lorsque je couvre ma tĂȘte du drap noir, câest tout un processus introspectif qui sâamorce.
Le processus du 4 x 5 est trĂšs lent, il nous force Ă ralentir.
Quatre heures et une vingtaine de boĂźtes plus tard, les dĂ©mĂ©nageurs passent la porte de lâappartement. On emballe le piano dâune gigantesque couverture protectrice (pauvre pâtit!). Câest Ă mon tour de faire patienter les dĂ©mĂ©nageurs, je dois valider mes calculs de lumiĂšre avant le clichĂ© final. Lâappareil argentique nâa pas de focus automatique; je dois tirer le point manuellement en regardant le verre dĂ©poli de la camĂ©ra. Je glisse une feuille de nĂ©gatif dans la camĂ©ra et ça devient impossible de voir ce que je prends en photo lors du dĂ©clic. Le rĂ©sultat sera une surprise.
Tout le monde Ă©tait rassemblĂ© dans le salon. Jean-Michel surveillait les dĂ©mĂ©nageurs, les dĂ©mĂ©nageurs me surveillaient, ne comprenant pas lâimportance de prendre en photo un piano emballĂ©, et les parents de Jean-Michel guettaient ses effets personnels dans le camion⊠Bref, un beau cirque!
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Less is more comme y disent
Lorsque nous avons reçu les nĂ©gatifs du laboratoire, lâidĂ©e du triptyque de dĂ©part a rapidement pris le bord; la scĂšne du piano seul sâest finalement imposĂ©e, forte et douce comme ce que mâinspire la musique de Jean-Michel.
La photo a finalement fait son nid sur la couverture dâeviction sessions. Avec un peu de chance, jâaurai rĂ©ussi Ă toucher lâĂąme du pianiste et celle de ses fans.
Dâailleurs, je le remercie de mâavoir accueilli chez lui, dans lâintimitĂ© de sa maison. Câest grĂące Ă sa grande gĂ©nĂ©rositĂ© si jâai pu exprimer ma crĂ©ativitĂ© et lui rendre sur une feuille de nĂ©gatif de 4 x 5 pouces.
P.S. Le piano sâest rendu sain et sauf dans son nouveau logis, prĂȘt Ă inspirer de nouvelles notes⊠vers un prochain album.
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