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Fa’que là, cette semaine, j’ai envie de te parler de la pilule du lendemain.
Parce que, comme à peu près toute jeune femme en pleine possession de ses moyens en ce début du 21e siècle, il m’arrive d’avoir des rapports sexuels, et parce que, comme il ne faut jamais dire jamais, ça m’est arrivé une couple de fois de laisser le ninja se glisser dans la pagode sans son casque de protection.
Quand t’as merdé, comme ça, tu sais qu’il faut que t’agisses vite. Que tu fasses un trou de trente balles dans ton budget, que tu te rendes à la pharmacie, et que, du haut de tes imprudences, t’ailles demander au préposé la pilule-dont-on-ne-doit-prononcer-le-nom-que-de-travers-et-pas-trop-fort. Si t’as la chance d’avoir un compagnon responsable, celui-ci t’accompagnera dans ta chasse au contraceptif d’urgence, et sera le témoin silencieux, mais compatissant du similiprocès que le pharmacien te fera avant de te remettre le fameux médicament.
Pis ton « j’ai merdé » deviendra soudainement un « j’ai merdé, mais pas t’taffaite ».
Fa’que là, un moment donné, on a merdé, mais pas t’faffaite. Ça faisait longtemps que ça ne m’était pas arrivé; la dernière fois remontait à mes dix-sept-ans-presque-dix-huit. Je m’en souviens comme si c’était hier; j’étais toute seule, j’entrai dans la pharmacie, remontai l’allée très audacieusement nommée « hygiène et contraception » (j’aurais juré que les innombrables emballages de condoms, offerts en toutes tailles et nervures imaginables, bruissaient de désapprobation au passage de mon impénitente personne) et me rendis au comptoir du pharmacien à qui je demandai la pilule du lendemain. Cré moé, cré moé pas, mais à dix-sept-ans-presque-dix-huit, quand tu vas demander ça au pharmacien, t’es contente en ‘ta qu’il y ait plein de dépliants sur la santé et les médicaments, sur le comptoir : ça te permet de regarder ailleurs.
À cette époque-là, à ma pharmacie, il fallait entrer dans le bureau du pharmacien, et subir un interrogatoire en règle et des remontrances qui doivent bien durer une demi-heure pour enfin obtenir ce que t’étais venue chercher. Les dépliants, le bureau du pharmacien, ta propre chaise, laisse-moi te dire que tu finis par trouver tout ça intéressant en ‘ta. En vrai, j’exagère peut-être un peu; l’entretien dure quelques minutes au plus, durant lequel on t’avertit bien que ce n’est pas un mode de contraception conventionnel, que ça peut fuckailler ton cycle, que si t’es déjà enceinte, ça ne sera pas efficace, et, enfin, que voici ce dépliant informatif (encore un estie de dépliant) à propos des différentes marques de pilule contraceptive.
Retour à ce un moment d’né où j’ai merdé, ce un moment d’né un peu moins ancien que mes dix-sept-ans-presque-dix-huit. Mane, ce n’est pas un pharmacien, mais une pharmacienne. Ça a l’air con, mais parler à une femme de ce qui s’est passé récemment dans tes organes génitaux, c’est un peu moins intimidant, même si ladite femme porte un uniforme plus blanc que blanc et qu’elle te regarde un peu de haut derrière ses lunettes œil-de-chat avec une petite chaînette en arrière du cou.
« Je peux vous aider? »
« Oui, j’aurais besoin, de, euh… La pilule du lendemain. »
Y’a pas mal plus de trucs à regarder que la dernière fois. À gauche, y’a des gaines tous formats pour les madames qui veulent se retenir la peau des cuisses, et à droite, y’a même des colliers en pur noisetier. En pur noisetier, mane!
« Est-ce que c’est pour vous? »
Mon regard semi-éteint vole depuis la chaînette de la pharmacienne jusqu’à l’amoureux.
« Ben là. C’est pas pour lui certain. »
Elle me fait un peu la morale, me pose deux-trois questions sur mon cycle pis sur mes dernières relations sexuelles, et me remet mon médicament. Oui, je l’fucking sais, madame, qu’il ne faut pas la prendre trop souvent, estiche, ma dernière remonte à presque dix ans. On peut tu aboutir, là?
Toutes ces anecdotes sans importance pour te dire que, finalement, se procurer la pilule du lendemain, c’est beaucoup moins ardu qu’auparavant, même si le ou la pharmacien-ne essaie quand même de te force-feeder des dépliants sur les anovulants. Y’a pas mal tous les mêmes avertissements, sauf peut-être que maintenant, on t’assure que si jamais t’es déjà enceinte, le médicament ne peut pas endommager le fœtus. Ah, pis aussi, ne la prends pas trop souvent, parce qu’à force, elle devient moins efficace. Ah. OK. Cool. Merci, là.
Une petite marche à la pharmacie, quelques questions à répondre sur tes activités sexuelles et vingt-quelque-trente dollars, ça ne me semblait pas – et c’est toujours le cas – bien cher payer pour dormir l’esprit tranquille.
Tout ça pour dire que, t’sais, BIEN SÛR que la pilule du lendemain, ça ne doit jamais devenir ton principal mode de contraception. Mais ça peut arriver à tout le monde, de merder. Même à la fille qui se méfie radicalement de l’industrie des anovulants. Je ne suis pas vierge, après tout. J’ai une vie sexuelle, comme à peu près tout le monde. En tant que femme qui souhaite ingérer le moins d’hormones artificielles possibles, ça me fait suer de prendre cette pilule-là. Pour de vrai. Ça me fait aussi suer de devoir expliquer son refus des anovulants à la pharmacienne qui me regarde pleine de doutes sur mon corps qui n’est juste pas capable d’endurer ça. Juste pas ca-fucking-pable.
T’sais, dans les revendications féministes de nos mères et grand-mères, il y avait aussi ça : pouvoir disposer librement de son corps, et pouvoir en jouir, littéralement. Être capable de décider ce qui va entrer dans ton corps, et ce qui va en sortir. C’est précieux, ça. Pas mal plus que ton orgueil ou ta gêne devant les questions untipeu trop personnelles d’un ou d’une pharmacien-ne. Et je suis heureuse de pouvoir te dire qu’aujourd’hui, avoir accès à la pilule du lendemain, c’est encore plus facile qu’il n’y a même pas dix ans. Mais pas trop souvent, là. C’est pas pour rien qu’on appelle ça un contraceptif d’urgence.
Merci, un gros merci plein de cœur à celles qui se sont battues pour qu’on y ait droit.
Pis merci, un gros merci plein de colleux à ceux qui prennent leurs responsabilités et qui accompagnent leur compagne à la pharmacie. Parce que merder tout à fait, ou bien merder mais pas t’taffaite, ça se fait à deux, à ce que je sache.