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La fois où j’ai échappé un handicapé

Par
Jonathan Roberge
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Nous venions de partir, mon ami Simon et moi, dans un Daewoo Lanos 1998. On s’entend que y’a rien de mâle dans “deux gars dans un Daewoo Lanos 1998 rouge vin”.

Janvier 2005
07:30 am
Autoroute 40, direction : Le bonheur.

Nous venions de partir, mon ami Simon et moi, dans un Daewoo Lanos 1998.
On s’entend que y’a rien de mâle dans « deux gars dans un Daewoo Lanos 1998 rouge vin ».

Moins masculin que ça?

Deux gars dans un Daewoo Lanos 1998 rouge vin qui écoutent du Dobacaracol en route pour aller faire de la randonnée pédestre. OUI M’DAME! Comme un gars de l’Estrie, j’ai déjà été un gars qui arbore fièrement des souliers Merrell et qui aime se promener en forêt! C’était il y a 8 ans. J’étais dans une phase hippie et je faisais moi-même mes barres tendres maison. Vos gueules!

J’étais aussi dans une ère de remise en forme, tsé cette période où tu te dis : « Je fais du ménage dans ma vie! »

Tu as l’impression qu’en classant tes bas dans ton tiroir, ta vie est transformée. Tu viens rapidement à la conclusion que tes dettes de cartes de crédit vont se rembourser plus facilement parce que ton linge est bien plié.

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Simon est mon partenaire de voyage, de roadtrip, de camping, de danseuses. C’est mon meilleur ami. Son défaut… Il est con.

Pas con du genre : « R’garde, je peux rentrer un exacto dans mon urètre! »

Non, plus con du genre, on part en voyage ensemble pour 3 mois en Amérique centrale et il oublie son maillot, sa serviette, ses shorts pis son fil pour charger son appareil photo… Mais, il a apporté de l’aloès au cas où il pognerait un coup de soleil.

Tu cibles le genre d’ami que j’ai? Tu en as un? … Permets-moi d’en douter.

Rendu à Tadoussac… Simon réalise qu’il a oublié son porte-feuille chez lui à Repentigny… Dans les poches de son manteau! Pas grave, c’est Simon et je suis zen, car, dans mes tiroirs, tout est classé par couleur.

Je lui achète donc un manteau fucking laid dans une boutique de Tadoussac avec ma Visa et un sourire en coin. Son « swag » de jeune homme qui portait un manteau avec une broderie de baleine qui saute me rendait heureux.

Ce soir-là, nous dormions à l’auberge jeunesse, car nous étions ce que nous étions et on ne voulait pas d’un hôtel sans weirdo avec des dreads qui cut pour se faire de la sauce à « spaguatt » en gang dans une cuisine remplie de vaisselle disparate.

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J’arrive dans le dortoir de l’auberge au deuxième étage, je dépose mon sac à dos et je me garoche sur le lit. Simon parle avec quelqu’un sur le bord des escaliers et tout ce que j’entends, c’est :

« … Pas de problème monsieur, on s’en occupe! »

Je sors de la chambre en pied de bas pour aller juger par moi-même si je peux rendre service ou pas à quelqu’un.
À mon grand étonnement, je vois Simon à côté d’un homme en chaise roulante. Et ils regardent, les deux, la descente d’escalier.

Une descente d’escalier d’une maison centenaire. Tsé large de 8 pieds, qui donne en plein centre de l’auberge, pas de rampes, mais avec des marches en beau bois lisse…

L’homme devait facilement peser 300 livres. Y’avait un muffin top de chaise roulante.

Simon me dit: « Prends ton bord, on va le descendre! »

« Pardon?? C’est pas un four, c’t’un humain, man! »

Une chaise roulante, ça n’a pas vraiment de pogne à part les accoudoirs. Mais dans le cas présent, les accoudoirs étaient enfouis dans le surplus de poids du pauvre monsieur. Donc inatteignables. Seule option… Les roues…

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Et c’est bien connu, quand tu transportes quelqu’un en chaise roulante, tu le prends par les roues. Question d’avoir de la stabilité!!!! YEAH RIGHT!

On a descendu les premières marches avec une démarche « ti pas secs ». Tsé, les petits pas secs rapides pis le dos bien droit qui te font douter de ta virilité.

Et c’est bien connu, des bas de laine sur du bois franc, crisse que ça a de la « grip ».

Mon talon droit a fait un « freegame » à une vitesse surprenante pis y’est parti de façon indépendante 3 marches plus bas.

J’étais maintenant en position goaler de hockey écartillé avec un obèse morbide appuyé sur mon chest.

Aucunement besoin de préciser que le monsieur hurlait. Mon genou gauche commençait à trouver ça ordinaire d’avoir toute c’te poids là à gérer et mon dos paniquait de ne pas avoir de rampe pour s’appuyer derrière moi.

Une chute de 6-7 pieds nous attendait. J’étais dans un état « engourdi chaud ». Comme quand tu manques ton stop pis que tu vois la police qui se met à te suivre, tu as une chaleur dans ton ventre pis comme des aiguilles qui picotent partout dans tout ton corps. Tu fais des sourires à je-ne-sais-pas-qui et ton visage fige avec une face pas belle.

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Bref, les hippies qui étaient en train de préparer une salade de lentilles sont accourus pour nous sauver. De façon efficace, ils sont venus m’aider à relever le monsieur.

À la gang, nous avions l’air d’esclaves égyptiens qui traînaient un gros bloc pour ériger une pyramide. Sauf que nous, on avait un Égyptien avec un jacket de baleine.

Et c’est bien connu, 12 mains sur une même chaise roulante, ça jouit d’une coordination spectaculaire. Le Cirque du soleil nous aurait regardé en disant : « Shit fuck qu’ils sont bons! »

On se rend de peine et de misère dans le bas de l’escalier. On dépose notre pauvre monsieur. Sur le mur face à moi, une énorme peinture à l’huile à l’effigie de l’homme que nous venions de descendre. Elle orne le salon principal.

C’était le propriétaire de l’auberge…

Il me regarde et me dit avec un ton « médium pas content »:

« Prochain coup, si vous êtes pas assez fort vous avez juste à le dire!!! »

Un peu insulté, je lui rétorque :

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« Prochain coup, descendez dont tout seul monsieur si vous êtes pas content. Pis je pense à ça comment avez-vous fait pour monter au deuxième? »

Monsieur avec un muffin top de chaise roulante me dit :

« Avec l’ascenseur, c’t’affaire!! C’est ton ami qui m’a proposé de me descendre au lieu de prendre l’ascenseur. »

Je me retourne vers Simon, je le regarde comme une mère regarde son enfant en lui disant « je ne suis pas fâchée, je suis déçue. »

Il me dit : « Comment voulais-tu que je sache qu’on allait s’échapper un handicapé dessus?! »

Il y a eu un long échange de regard entre lui et moi. Un silence pesant qui pouvait se traduire par :

Ok… Simon… Ok… Crisse que t’es con, tu es chanceux que mes bas soient nouvellement classés par couleur…

Je-suis-zen … Nouveau Départ….