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La fête après la pandémie

Fréquentera-t-on les bars avec frénésie ou misera-t-on sur les soupers cozy entre amis? 

Par
Ann Julie Larouche
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Les soirs de fête me fascinent. Des conversations plus décomplexées, la langue déliée, aidée par l’alcool. Des soirées précieuses, remplies de promesses, avec un coeur qui cogne plus fort qu’à l’habitude. Des yeux plus brillants, des rires aux éclats.

Les bars aussi m’enchantent. Ils acceptent ceux qui ont le ventre noué par le désir, les collègues festifs, même les âmes solitaires. Ce sont les seuls endroits où on accepte de se lover dans des bancs inconfortables pendant des heures, parce qu’ils nous offrent un moment suspendu à l’écart du monde réel.

Pourquoi y suis-je si attachée? Notamment parce que la fête est souvent bercée par une forme de tendresse et de charmante délinquance.

Mais maintenant que nous avons pris l’habitude de la maison, des rassemblements à distance ou en très petits groupes, allons-nous y prendre goût? Aurons-nous (re)découvert une forme de fête plus modeste, mais tout aussi réjouissante? Ou est-ce que les bars, les terrasses et autres lieux de fête déborderont aussitôt que nous aurons la permission de les fréquenter de nouveau?

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Nos habitudes festives

«La fête est extrêmement importante: elle raffermit les liens entre les individus», souligne d’entrée de jeu le sociologue Marcel Fournier. «Si vous voyez par exemple un grand événement comme une Fête nationale après une période de restriction où les individus ont été séparés pendant une longue période, il risque d’y avoir des débordements. Dans l’ensemble de la population, on relate aussi des relations sexuelles plus ouvertes», poursuit-il en soulignant des tendances observées d’un point de vue sociologique.

«Les gens ne changeront pas, et s’ils vont changer, ils ne changeront pas pour le meilleur.»

Candidement, je lui demande sa façon de percevoir la fête après-pandémie. «J’écoutais une entrevue avec un écrivain français qui disait: ce sera pareil… ou ce sera pire qu’avant. Les gens ne changeront pas, et s’ils vont changer, ils ne changeront pas pour le meilleur.» Donc si vous pensiez vous être assagi pendant cette période plus tranquille, vous risquez de vite revenir à vos anciennes habitudes festives.

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Des partys épuisants

À la fin du confinement, la plupart d’entre nous risquent d’être épuisés des relations sociales virtuelles. L’essoufflement se fait déjà sentir alors que de plus en plus de gens décident de se réunir à distance à l’extérieur plutôt que derrière leur écran.

C’est que célébrer en 5 à 7 sur Zoom est largement plus épuisant que de prendre un verre en personne. On doit décoder l’autre et ses expressions faciales, saisir son ton et défricher son langage corporel, séparés par des pixels. «Nos esprits sont ensemble alors que nos corps sentent que nous ne le sommes pas»*, explique le professionnel des comportements organisationnels Gianpiero Petriglieri, en entrevue à la BBC.

«On a réussi à remplacer une partie du contact humain par différentes applications numériques, mais elles amènent une grande fatigue. Une heure de vidéoconférence, ça nous épuise beaucoup plus qu’une heure en personne.»

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«C’est la première fois comme société que nous sommes aussi éloignés les uns des autres. On a réussi à remplacer une partie du contact humain par différentes applications numériques, mais elles amènent une grande fatigue. Une heure de vidéoconférence, ça nous épuise beaucoup plus qu’une heure en personne», affirme la professeure en sociologie du numérique à l’UQAM, Débora Krischke Leitao.

Si elle est d’apparence futile, l’effervescence d’une fête vient légitimer notre quotidien tissé de contraintes. C’est tout sauf banal, m’explique Débora; la fête remplit des fonctions essentielles pour les communautés à travers le monde, à leur façon, pour interrompre le cours de la vie quotidienne: «C’est pas du tout superficiel! C’est de créer des liens, les cultiver et les célébrer.»

En mode attente

Un de mes proches habitué au cycle boulot-dodo-gorlo, m’a évoqué son besoin évident de retrouver un endroit de communion. «Toute notre vie, on a une communauté au sens large (à l’école, au travail) avec des gens avec qui on n’est pas forcément proches, mais qui font partie de notre quotidien. Là, on n’a plus de communauté physique. Mais en temps normal, ça te permet comme humain de te sentir vivant.»

Et il n’est pas le seul. Bribes de mes conversations avec mes amis.

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J’ai hâte de recommencer le hockey et d’aller m’accrocher les pieds à la Grenade en revenant.

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J’ai rêvé l’autre nuit que je chantais du karaoké au Vieux St-Hubert et que le bar était en feu sur du Cowboys Fringants.

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Le Rosemont et ses gins à 5$ m’attendent.

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Je m’ennuie de finir une soirée paqueté à la Rockette.

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J’ai hâte qu’on me sorte dehors d’un bar à 3h du matin en allumant les lumières.

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Sérieux j’ai hâte d’écouter de la musique trop forte et de pas choisir ce que j’écoute. Et je niaise même pas.

D’ailleurs, Montréal est réputée pour ses folles nuits. Le blogue Thrillist la positionnait il y a quelques années comme la 7e ville la plus festive au monde, bien devant La Nouvelle-Orléans (14e) et Amsterdam (15e).

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Mais malgré l’impatience palpable, on comprend que les bars et autres endroits qui conjuguent fête ET rassemblement soient parmi les derniers à rouvrir. Bien sûr, il y a la question du nombre, mais le sociologue Marcel Fournier me rappelle qu’il y a presque toujours une forme de transgression dans une fête. Ajoutez à cela l’alcool qui coule à flots et nous avons là un potentiel cocktail explosif qui incite à prendre plus de précautions que l’inverse.

La fête : oui, mais avec qui?

Tout indique que notre capacité et notre envie de faire la fête n’auront pas perdu en force pendant la pandémie. Débora Krischke Leitao nous met toutefois en garde contre un effet inattendu du confinement : l’érosion de notre tolérance. «Les contacts en ligne servent à avoir une proximité avec les gens qui partagent nos intérêts et nos idées, alors que dans la réalité, le vrai monde est plein de diversité d’opinion et d’intérêts.» Il faudra probablement retravailler notre ouverture d’esprit pour recommencer à partager nos vies et nos rassemblements avec divers profils de personnes.

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«On ne sort pas d’une pandémie indemne. Il y a des effets psychologiques et sociologiques créés par le confinement. Il faut laisser aux gens la possibilité de se laisser aller, et en même temps, assurer un respect de nouvelles règles, ce qui est souvent difficile. Cette sortie de crise ne sera pas de tout repos », termine le sociologue Marcel Fournier. Mais rendu là, qui a encore envie de se reposer?