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La fée des trottoirs qui en a plein les bras

La fée des trottoirs qui en a plein les bras

Enjoliver le monde, une craque à la fois. 

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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« Je vais te boucher d’la craque sur un moyen temps! »

J’en conviens, c’est une citation un peu weird, mais c’est précisément ce que Laurence Petit, alias la Fée des trottoirs, fera au cours des prochains mois.

Ce qui a débuté comme simple projet pandémique pour passer le temps est devenu un véritable travail à temps plein.

Une job de rêve qui consiste à arpenter les trottoirs pour réparer les fissures en y insérant des mosaïques.

Nommé « flacking» , ce mouvement d’art urbain lancé par le Français Ememem vise à transformer des crevasses anonymes en carrelages décorés d’insectes, d’animaux ou de fleurs… Bref, de quoi provoquer un sourire au cours d’une marche.

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Après avoir inséré ses premières pièces dans le trottoir en face de chez elle dans le quartier Anjou, la fée a étendu ses ailes dans l’est de la métropole, en plus de participer à des évènements artistiques à travers la province, notamment un circuit historique sur les plaines d’Abraham, l’an dernier.

Maintenant, elle s’apprête à laisser sa griffe en France, en marge d’un festival à Lyon.

Avant qu’elle ne soit happée par la gloire et la renommée, je suis allé lui rendre visite à son atelier.

Les bijoux de trottoir

En posant le pied dans son atelier emménagé dans le garage attenant à son bungalow, on a tôt fait de tomber sous le charme de Laurence.

Les morceaux de mosaïques sont dispersés sur une grande table de travail, puis classés dans des bacs sur des étagères qui s’étendent jusqu’au plafond. « Ce sont des morceaux de vaisselle récupérés ou que j’achète dans des bazars. Ils sont résistants et lustrés des deux bords », décrit celle qui n’hésite pas à venir travailler en pyjama si une idée germe spontanément, le soir.

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« J’appelle aussi ça des bijoux de trottoir », enchaîne celle qui a dû chercher la bonne formule pour s’adapter à notre météo et assurer une pérennité à ses œuvres.

Au départ, la fée se sentait bad ass puisqu’elle frappait la nuit. « Je faisais ça illégalement, accroupie sur le trottoir devant chez moi. Mais en voyant les gens s’arrêter et les dialogues que ça générait, j’ai décidé de continuer de jour », raconte Laurence, dont les premières œuvres ont eu du mal à survivre aux quatre saisons.

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Il a fallu quatre années pour enfin obtenir le bon permis lui permettant de travailler en toute légalité. « Ça a été un véritable chemin de Compostelle, mais finalement, je rentrais dans la catégorie des “projets d’art public dans des lieux atypiques” », sourit la fée tenace qui avait besoin de ce permis pour décrocher des contrats.

Puis, grâce à un partenariat avec une entreprise spécialisée en revêtement de sol de son quartier et les conseils d’un ingénieur, elle a pu parfaire une recette qui rend ses œuvres « plus résistantes que les réparations de nids-de-poule de la Ville! », assure la mosaïste de métier, qui conserve d’ailleurs jalousement ladite recette miracle.

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Et cette année, ce sera la consécration, avec une centaine de mosaïques prévues ici et ailleurs. « Gatineau m’a choisie pour faire leur sentier culturel dans le Vieux-Hull », s’enthousiasme-t-elle.

Si elle dit ne plus prendre de commandes, elle demeure cependant ouverte aux demandes spéciales de son voisinage. La preuve, l’œuvre qu’elle s’apprête à intégrer dans une fissure du quartier est née d’un échange avec une voisine. « Elle m’a dit qu’elle aime les papillons, et pour moi, c’est important d’établir un lien avec le marcheur », philosophe Laurence.

« Moi, Hugo, les craques me parlent! », ajoute-t-elle avant d’éclater de rire.

Sélective de la craque

Bon, assez parlé, passons aux choses sérieuses.

J’accompagne la Fée des trottoirs tandis qu’elle immortalise sa dernière création dans le bitume. L’endroit a été judicieusement choisi et le trou a déjà été mesuré afin de bien le remplir. « Je suis sélective de la craque, pour que ça soit durable. Je veux qu’on les retrouve dans 50 000 ans! », lâche Laurence, visiblement incapable de se prendre au sérieux.

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En ces heures où les nouvelles se font moroses, ça fait du bien de talonner la Fée des trottoirs tandis qu’elle pousse son vélo rempli de matériaux vers le lieu où échouera sa dernière mosaïque. Une gerbe de fleurs dépasse aussi du cône orange qu’elle dépose sur son œuvre, le temps que le ciment prenne.

« Sans fleurs, les gens fonçaient dedans ou le kickaient », souligne l’artiste de 46 ans.

Celle-ci se met aussitôt au travail, chaque étape semblant parfaitement chorégraphiée. D’abord, il faut ajuster la fissure avec un marteau et un burin. Ensuite, on balaye le trou dans lequel on coule le ciment fraîchement mélangé (avec sa recette secrète). Laurence dépose ensuite avec délicatesse la mosaïque représentant un papillon sur le ciment frais et attend trente minutes, le temps que ça fige.

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Sur l’entrefaite, une voisine passe et s’extasie devant le résultat. « C’est très beau. Merci pour ce que vous faites », s’exclame-t-elle.

Trente minutes plus tard, la Fée des trottoirs chevauche son vélo pour rentrer chez elle, laissant dans son sillage un monde un peu moins laid.