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C’est pas pour péter de la broue, mais mon ami Saad est membre fondateur, directeur général et ancien capitaine de l’équipe nationale de hockey du Maroc. Rien de moins. J’avoue que je ne connais pas grand-chose au hockey, mais l’histoire de cette équipe atypique et pleine de cœur est une source d’inspiration qui dépasse le sport et les frontières.
J’ai rencontré les membres de la Fédération royale marocaine de hockey sur glace, alors qu’ils entamaient la préparation du premier tournoi africain de hockey sur glace…
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Khalid Mrini, président et fondateur de la fédération, est arrivé à Montréal en tant qu’étudiant il y a 36 ans.
Khalid Mrini : “J’avais vraiment la passion du hockey. Je suivais le Canadien de Montréal partout, de Hartford à Philadelphie. En 1983, j’ai été au tournoi de hockey pee-wee de Québec, et ça m’a fait un gros pincement de ne pas voir le drapeau marocain sur les mats. J’ai dit à ma blonde dans le temps : ‘Tu sais Suzanne, un jour, je vais mettre le drapeau marocain là-dessus.’ Tu ne peux pas imaginer comment elle a ri!
Et bien en 2006, on a participé. J’ai pris la photo — parce qu’on n’est plus ensemble depuis un petit bout — et je lui ai envoyé avec un petit mot :
‘Je l’ai-tu fait ou pas, ostie?’”
Du nouveau centre commercial de Rabat au tournoi Pee-Wee de Québec
“Tout a commencé en 2005. J’étais au bureau quand mon frère m’a appelé du Maroc. Il m’a dit ‘Tu sais ce que j’ai fait aujourd’hui…? J’ai patiné. Ils ont construit une patinoire au nouveau Mega Mall!’ Je ne pouvais pas y croire. J’ai pris le premier avion, et ensemble, on a tout de suite créé une équipe de hockey. Dès 2006, nous sommes venus avec 14 joueurs marocains pour participer au tournoi pee-wee international. Quand j’ai appelé à Québec pour inscrire mon équipe, j’ai dû un peu insister pour qu’on me croie. Mais je leur ai montré des photos de mes jeunes en train de s’entraîner à Rabat, et tout à coup, on est devenus l’attraction du tournoi! J’ai donné tellement d’entrevues… Mais celle de PBS, je m’en souviens, car elle m’avait frappé. Je leur avais parlé pendant une heure, mais ils n’avaient gardé qu’une seule phrase où je disais que le hockey, c’était comme une religion au Canada. Ils n’avaient rien retenu d’autre de toute l’entrevue.”
Les apprentis champions à Adu Dhabi
“En juin 2008, on a participé à la coupe arabe de hockey d’Abu Dhabi. J’ai rencontré les organisateurs sur place en avril. Mais dans l’avion, en revenant, j’étais là ‘Tabarnak, comment je vais faire pour trouver les joueurs? Je viens de signer une convention avec eux, moi là!’ Je n’avais pas un seul joueur! Heureusement pour nous, le championnat a été retardé de deux semaines parce qu’un prince émirati est décédé. J’étais triste pour lui qu’il soit mort, bien sûr… mais par contre il avait bien choisi son moment!
On a gagné la médaille de bronze. Nous, on était juste des Marocains, mais les équipes des Émirats arabes unis et du Koweït avaient chacune au moins 6 joueurs russes ou tchèques. Je me souviens qu’au début, je regardais le gardien de but koweïtien et j’étais vraiment impressionné. Et puis, à la fin de la game, il a enlevé son masque et les cheveux lui ont fait ‘flop!’ : une grande crinière blonde, et des yeux bleus!
J’ai trouvé les joueurs en mettant des annonces sur Facebook et sur internet. Puis je les ai tous réunis au Maroc pendant un mois, à mes frais, pour qu’ils s’entraînent ensemble. Les délais étaient très serrés. Le premier gardien de but, il laissait tout passer comme un couscoussier! On l’a emmené parce que c’est le seul qui avait répondu à l’annonce! La majorité des joueurs ne se connaissaient pas. Il y en avait certains qui étaient marocains, mais qui n’avaient jamais mis les pieds au Maroc. Ils habitent en majorité au Québec, et certains viennent de France, d’Angleterre, de Finlande, de Suède ou de Suisse.
On vit au Canada depuis 20 ans, 30 ans; il y en a qui sont nés ici… Mais on ne pourra jamais se sentir Canadiens à 100% parce qu’il y a toujours quelqu’un qui va nous demander d’où on vient. Nous sommes de fiers Canadiens, avec le Maroc tatoué sur le cœur. Et j’ai réalisé que notre rêve commun, c’est de jouer au hockey sous le drapeau marocain.”
Une expérience marquante pour les joueurs
Comment t’es-tu joint à l’équipe?
Saad Tawfiq : “J’ai rejoint l’équipe en 2008 pour la coupe arabe. J’ai répondu à une annonce sur internet. J’étais le capitaine en 2008. C’était difficile, au début, de trouver les joueurs. Tout le monde pensait que c’était une joke. C’est seulement une fois arrivés à Abu Dhabi qu’on a réalisé que c’était vrai.
On était très émotifs le jour où on a reçu les chandails. On était tellement fiers! Et puis, on avait emporté avec nous un CD de l’hymne national officiel du Maroc. Khalid nous a réunis dans sa chambre d’hôtel pour parler une dernière fois de stratégie, et à la fin, il a parti le CD. Tout le monde s’est levé tout d’un coup, sans qu’on nous demande rien. C’était très fort. Tout le monde avait la tête baissée. On pleurait.”
Personnellement, qu’est-ce qui compose ton identité?
Redouan Bouhdid : “Moi, je suis né ici. Avec ma famille, on rentrait au Maroc tous les deux ans quand j’étais plus jeune. C’est souvent pareil avec tous les gens d’une autre origine : la maison, c’est comme une ambassade. C’est comme si tu vivais dans un petit Maroc à l’intérieur du Canada. On est éduqués et on vit à la marocaine. Il y en a qui voient ça comme un point négatif d’être à l’étranger et de garder les valeurs de son pays d’origine. Mais en réalité, c’est un plus. On parle plusieurs langues et on connaît plusieurs réalités. C’est la mondialisation.”
Selon vous, quelles sont les forces et les faiblesses de l’équipe du Maroc?
Mohamed Aziz Bouhdid et Moulay-Ayad Dahha : “On a grandi dans le hockey, donc notre façon de jouer est la même que dans n’importe quelle équipe. C’est sûr qu’étant une équipe nouvelle dans le groupe mondial, on développe probablement un style plus défensif au départ, mais on a quand même des joueurs assez talentueux qui se joignent à nous, donc on évolue. Et puis ce qui nous différencie, c’est le cœur. On va se donner plus. Les joueurs qui jouent pour leur propre drapeau jouent toujours plus fort.”
Comment envisagez-vous l’avenir de la fédération royale marocaine de hockey?
Khalid Mrini : “La deuxième patinoire du Maroc vient d’ouvrir à Casablanca. On est rendus à entraîner 300 jeunes! Ce n’est pas rare de croiser un jeune avec un chandail de Crosby ou de Jàgr, rapporté par un frère ou une cousine qui a émigré aux États-Unis, au Canada ou en République tchèque. Le hockey n’est plus forcément associé à l’élite. On va chercher des jeunes défavorisés pour empêcher qu’ils deviennent des voyous ou qu’ils soient attirés par Daesh. Ils se sentent valorisés, ils ont de nouvelles ambitions. Plusieurs personnes donnent de l’équipement, de l’argent ou du temps. Je veux que cet esprit demeure à la base de notre hockey.”
En attendant la venue de ce premier tournoi africain de hockey sur glace, gardez l’œil ouvert sur les initiatives de Khalid Mrini, un des ambassadeurs les plus inspirants de notre cher sport national.
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