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M. Aussant, je vous remercie d’avoir pris le temps de me répondre.
(Ce texte est une réponse à une réponse à une réponse à un billet de Jean-Martin Aussant.)
Urbania semble apprécier vous voir déguster du méchant fédéraliste pour le petit-déjeuner, permettez-moi donc de vous déranger pour une dernière fessée*, entre vos deux prochains manques de temps.
J’avais cru comprendre de Refelemele, à tort ou à raison, que de se résigner au fédéralisme relevait nécessairement de l’irrationalité suite aux arguments que vous avancez. À la lumière du 19e commentaire de votre réplique, il m’apparaît d’autant plus difficile de voir les choses autrement: les fédéralistes ne disposent selon vous d’aucun argument valable sinon leur propre attachement personnel à la feuille d’érable.
Avec égards M. Aussant, je crois qu’il est possible de défendre un système de gouvernement sans tomber dans le romantisme patriotique ou dans les exagérations pessimistes.**
À ce chapitre, votre conception des intérêts du Canada et du Québec manque cruellement de nuance. Réduire la fédération à un jeu à somme nulle (tout ce que gagne le fédéral, le Québec le perd), c’est faire fi de plusieurs décennies d’ententes et de compromis qui ont contribué à bâtir la société dans laquelle nous vivons.
Je vous soumets respectueusement que notre perception de ces intérêts est variable et qu’au mieux, les gouvernements (fédéraux comme provinciaux) agissent en tentant de s’en rapprocher du mieux qu’ils peuvent. Le processus de conciliation forcée des intérêts multiples de chacune des régions du Canada me semble être un avantage net du fédéralisme par rapport à des négociations internationales aux résultats aussi éphémères qu’abstraits. Mais encore faut-il qu’il marche, ce processus de conciliation et qu’on y prenne part avec un esprit ouvert.
Je n’insinue pas ici que le Québec a boudé le Canada depuis 30 ans : je l’affirme sans arrière-pensée. Non seulement le fédéral peine-t-il à trouver des francophones compétents pour offrir les services que nous réclamons, mais notre participation politique se borne à l’opposition (alors qu’auparavant, on pouvait trouver des Québécois actifs dans la plupart des hautes sphères gouvernementales et politiques, peu importe le parti).
Certes, vous mettez le doigt sur l’origine historique de cette attitude de repli (le rapatriement de la Constitution et ses deux tentatives manquées de résoudre l’impasse). Et je n’ai nullement l’intention de diminuer l’importance qu’a pu avoir le comportement de certains fédéralistes de l’époque. Par contre, je note au passage que les souverainistes (dont M. Parizeau) se sont montrés ouvertement hostiles à toute autre issue que l’indépendance. C’est donc dire qu’il était déjà trop tard en 1982, peu importe les efforts consacrés. C’est une chose de dénoncer le manque de dialogue entre le fédéral et ses provinces, c’en est une autre de se croiser les bras (ou de torpiller les négociations) parce que ça avantage votre propre paroisse.
Se pourrait-il, M. Aussant, que cette attitude ou cette insistance à se dépeindre comme de mauvais concubins (et à présenter la fédération comme une équation dans laquelle le Québec est condamné à perdre systématiquement) y soit pour quelque chose dans les doléances que vous entretenez envers le fédéralisme canadien? Je suis de cet avis.
Et, plus précisément, elle vient biaiser la manière dont vous défendez la doctrine du LIT.
Comprenons-nous bien : que vous soyez d’avis qu’il serait préférable pour le Québec d’atteindre une souveraineté totale (pour des avantages pratiques précis, ou même parce que la souveraineté possède une valeur intrinsèque pour vous), ça me semble bien honnête. Mais de là à nous réduire aux pauvres opprimés de la dictature du nombre, permettez-moi de m’inscrire comme dissident à votre analyse sur trois points :
1) Vous faites fausse route en affirmant que les Québécois sont gérés par de relatifs étrangers. Un Montréalais s’insurge-t-il à l’idée d’envoyer ses taxes à Québec sous prétexte que le fonctionnaire qui y habite ne vit pas à Montréal et possède des intérêts visiblement différents (clin d’œil à l’amphithéâtre) ? Allons. Malgré les distances et les enjeux qui pourraient nous séparer, nous vivons tous dans une société qui nous garantit une citoyenneté commune et des droits égaux.***
2) Vous confondez représentation et majorité. Je vous le répète, les Américains voulaient des élus qui s’expriment pour les colonies de l’Empire. Pas un nombre fixe d’élus. Ni même une proportion qui leur donnait un droit de veto virtuel sur les lois fiscales qui pouvaient s’appliquer à eux. Ils réclamaient leur droit, comme citoyens anglais, de voir leurs intérêts représentés dans les débats de la métropole. Si vous avez raison de dire que le Québec contrôle moins de 25% des sièges, l’Alberta ne dispose même pas de la moitié de ce nombre : est-ce que ça l’a empêché de devenir un joueur parmi les plus importants sur l’échiquier canadien ? Pas du tout. Depuis le pacte confédératif (que nous avons librement rejoint par voie démocratique malgré le fait qu’il introduisait dès le départ une représentation par population, chose dont nous avions pleinement conscience au moment de la signature), les provinces sont souveraines dans leurs champs de compétence et ce n’est pas jouer sur les mots : c’est un principe de base dans la pensée fédérale que la séparation des pouvoirs fournit une protection supplémentaire aux citoyens d’un état. Parenthèse sur les impôts : vous avez parfaitement raison de dire que j’ai écrit à tort que le Québec percevait tous les impôts pour en redonner sa part au fédéral.**** Cependant, l’autonomie du Québec quant à ses propres impôts et à la taxe de vente pourrait indiquer, dans un même ordre d’idées, qu’il est possible de s’entendre avec Ottawa, même sous les Conservateurs.
3) Vous confondez la prépondérance canadienne à l’international et l’absence de contrôle québécois. Je vous le répète, les traités ont besoin d’une loi pour devenir applicable et le fédéral peut difficilement sauter sur l’occasion pour envahir les compétences provinciales (properties and civil rights, ça vous dit quelque chose ?). Le Québec peut non seulement faire valoir son opposition dans les débats qui s’en suivent, mais aussi en contester la validité si nécessaire. Si ces mécanismes ne vous satisfont pas (je m’en doute un peu), il faut rappeler que ça n’a pas empêché le Québec de tirer son épingle du jeu à l’international (à travers la compétence partagée en immigration) ou même de profiter des retombées du succès commercial du Canada. Ça n’a pas non plus empêché la province de prendre l’initiative dans certains domaines comme la reconnaissance des compétences avec la France. Pas mal pour des vaincus enchaînés, vous ne trouvez pas ?
Mais malgré nos opinions divergentes, je tiens néanmoins à vous souhaiter la meilleure des chances dans une éventuelle élection partielle, à Montréal ou ailleurs, M. Aussant.
Au plaisir,
Gabriel Myre
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*Le châtiment corporel n’étant permis qu’entre adultes qui y consentent, veuillez considérer ce texte comme une preuve écrite de celui-ci.
**Le dramatico-fédéraliste que je suis ne peut s’empêcher de remarquer que pour quelqu’un qui disait vouloir convaincre l’homo oeconomicus de manière rationnelle et posée, votre utilisation du spectre de René Lévesque et de vos images « fortes » (l’esclave, les chaînes, les vaincus) – pour appuyer votre propre rhétorique – tend à indiquer un double-discours. Just sayin’
***C’est ce système de droits qui m’amène à conclure que des lois québécoises (notamment, la Charte des droits et libertés de la personne) limiteraient la capacité de l’Assemblée nationale à protéger la langue française de manière substantiellement différente qu’en ce moment. Je vous renvoie à l’arrêt Ford qui invalidait des dispositions de la Charte de la langue française, conformément à l’application des deux chartes.
****Car si je suis effectivement juriste – avec tous les (nombreux) défauts que ça implique – il m’arrive aussi de mal m’exprimer et d’être pris en défaut. Mea culpa aux lecteurs induits en erreur.