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La détresse qui se cache derrière les bébés abandonnés à Longueuil

La détresse qui se cache derrière les bébés abandonnés à Longueuil

« Bien souvent, ces personnes-là sont très honteuses. Elles se sentent coupables et ont peur d’être stigmatisées. »

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Mardi matin, une petite montagne de peluches et de fleurs, ainsi qu’un message recouvrent le banc de l’abribus situé à l’angle de la rue Briggs et du Chemin de Chambly, à Longueuil. Des curieux s’arrêtent devant le lieu de recueillement improvisé, en silence.

C’est ici que tôt, la veille, un nouveau-né a été retrouvé. Selon La Presse, il était encore attaché à son placenta. Sa mort a été constatée à l’hôpital peu de temps après.

Quelques heures plus tard, la mère a été arrêtée dans une halte-chaleur du secteur, où elle était allée se réfugier après avoir donné naissance. L’intervenante sociale qui l’a prise en charge a notamment confié à Noovo Info qu’elle avait « le regard vide » à son arrivée.

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La femme de 33 ans, remise en liberté sous promesse de comparaître, pourrait faire face à une accusation d’infanticide.

Derrière cette tragédie qui secoue le Québec, il y a l’histoire d’une femme qui a accouché dans la rue.

Photo : Salomé Maari

« UNE DÉTRESSE IMMENSE »

Le 5 octobre dernier, à quelques kilomètres à peine de l’abribus, un autre bébé — né prématurément — était déposé au pied de la porte d’une résidence de la rue Bourgeoys. Par chance, il est toujours en vie.

Deux bébés abandonnés en moins d’un mois à Longueuil.

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« C’est une souffrance, une détresse immense qui se trouve derrière des gestes comme ça », estime Flavie Emmanuelle Brunet, superviseure clinique et intervenante psychosociale à l’organisme Première ressource, aide aux parents.

Depuis la pandémie, les employés de cet organisme remarquent une hausse marquée de la détresse chez sa clientèle.

Pour justifier cette hausse, l’intervenante pointe plusieurs facteurs : le coût de la vie qui augmente, la difficulté à se loger, l’isolement, et les séparations.

Selon elle, si certains parents choisissent d’abandonner leur enfant à l’extérieur plutôt que de le confier aux soins d’un hôpital, d’un service d’urgence ou d’un organisme communautaire, c’est parce que « bien souvent, ces personnes-là sont très honteuses. Elles se sentent coupables et ont peur d’être stigmatisées. »

Rappelons toutefois que l’abandon de bébés à l’extérieur demeure un événement extrêmement rare. Selon le bilan régional 2025 de la directrice de la protection de la jeunesse et directrice provinciale de la Mauricie et Centre-du-Québec, les situations d’abandon d’enfants de tous âges représentent seulement 0,8 % des suivis. « Le nombre de nouveau-nés abandonnés dans la nature représente un cas infime de ce nombre », précise par courriel Santé Québec, soulignant que ces statistiques englobent divers cas de figure, comme les projets d’adoption et les jeunes adolescents.

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« AU BOUT DU ROULEAU »

Au Chaînon, à Montréal, de plus en plus de femmes enceintes demandent de l’aide. « Quand elles arrivent, elles sont dans un état de tristesse, mais aussi au bout du rouleau, après avoir cogné à plusieurs portes », observe Sonia Côté, la présidente-directrice générale de l’organisme qui vient en aide aux femmes en situation d’itinérance ou de vulnérabilité.

Pour pallier cette hausse de la demande, Le Chaînon compte ouvrir, avant Noël, 27 unités de logement destinées aux femmes avec des enfants de 0 à 5 ans.

Lorsqu’une femme enceinte cogne à la porte de la ressource, celle-ci mobilise aussitôt des professionnels du réseau de la santé et des services sociaux afin de lui garantir un suivi en santé médicale obstétrique. En parallèle, les intervenants de l’organisme lui assurent un soutien psychosocial, un accompagnement et un toit.

Hélas, les femmes enceintes retardent souvent le moment où elles cognent à la porte des services d’aide.

« Les femmes ont souvent peur que le réseau ne leur enlève leur enfant. Donc, elles attendent le plus tard possible [dans leur grossesse] pour demander de l’aide », dit Sonia Côté.

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« Énormément de femmes qui se retrouvent en situation d’itinérance sont elles-mêmes issues du système de protection de la jeunesse », souligne l’anthropologue Myriam Daigneault, dont le mémoire de maîtrise porte précisément sur les grossesses en contexte d’itinérance. « Puisqu’elles connaissent le système, elles ont des appréhensions et des peurs. »

Elle constate d’ailleurs que de nombreuses femmes en situation d’itinérance cachent leur grossesse ou retardent leur suivi « par peur de se faire juger ».

PEU DE RESSOURCES ADAPTÉES

Selon le témoignage d’une femme rencontrée par Myriam Daigneault dans le cadre de sa recherche, il lui a fallu effectuer des appels sans arrêt pendant douze heures avant de finalement trouver un hébergement pour elle et son nouveau-né.

Selon l’anthropologue, elle est loin d’être la seule à rencontrer de telles difficultés. Celle-ci explique que les ressources mères-enfants sont trop peu nombreuses et surchargées de demandes, et que la plupart des hébergements d’urgence qu’on pourrait qualifier de plus accessibles dans l’immédiat « n’acceptent pas les enfants ou ne sont pas à même d’accompagner les femmes pendant leur grossesse ».

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« Le travail des intervenants en milieu communautaire est vraiment complexe, parce que la périnatalité sort souvent de leur champ de compétence, ça ne fait pas partie de leur formation », ajoute l’anthropologue soulignant tout de même que le milieu communautaire est « vraiment bien arrimé » avec le réseau de la santé, les cliniques mobiles et d’autres organismes.

INVISIBLES

Perte de logement, violence conjugale, exploitation sexuelle, enjeux de consommation et de santé mentale : tant de raisons peuvent pousser des femmes à vivre leur grossesse en contexte d’itinérance.

Et celles-ci ne sont pas forcément visibles dans la rue, vivant souvent une situation « d’itinérance cachée ».

« Elles trouvent des méthodes pour survivre à l’extérieur de la rue », en dormant dans des hôtels, chez des amis, ou en échangeant des services sexuels contre un toit, par exemple, explique Myriam Daigneault.

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Non seulement sont-elles invisibles, mais elles sont aussi quasiment absentes de la littérature scientifique et des plans d’action publique.

« DANS L’ANGLE MORT DE LA RECHERCHE »

Selon les données compilées dans une revue de la littérature sur le sujet menée au Québec, on estime que 40 à 60 % des femmes en situation d’itinérance sont mères.

Pourtant, les études qui se penchent sur la réalité des femmes enceintes en situation d’itinérance sont pourtant quasi-inexistantes dans la province, déplore Myriam Daigneault, d’avis que ces femmes se trouvent « dans l’angle mort de la recherche ».

Et les mots « grossesse », « enceinte » et « maternité » sont absents des plans d’action interministériels en itinérance au Québec, ajoute-t-elle.

« Il faut en apprendre davantage, il faut pousser la recherche là-dessus. C’est très important », croit la PDG du Chaînon, Sonia Côté.

Photo : Salomé Maari
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DES GROSSESSES QUI PEUVENT ÊTRE POSITIVES, MALGRÉ TOUT

Si la réalité de ces femmes peut être remplie de détresse et de solitude, l’arrivée prochaine d’un enfant peut aussi être porteuse d’espoir pour ces mères en devenir.

« Ce qui est vraiment ressorti de ma recherche, raconte Myriam Daigneault, c’est que pour les femmes que j’ai rencontrées, tomber enceinte, même en situation d’itinérance, ça devenait un point tournant dans leur trajectoire de vie qui était positif. » Pour certaines, ça a été le début d’une nouvelle ère. Ça a été la raison d’arrêter de consommer, de rompre ses liens avec le travail du sexe, ou de trouver un logement stable.

Pour sa part, Sonia Côté ajoute que les femmes enceintes qui sont passées par le Chaînon « veulent du bien à leur enfant » et « veulent toutes garder leur enfant, sans exception ».

Mais la détresse est bien présente, dans l’angle mort du réseau. Et parfois, malheureusement, elle culmine jusque dans un abribus de Longueuil ou devant l’entrée d’une maison.

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