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La déception, l’incompréhension et la colère sont palpables chez les artisans du nouveau film québécois La déesse des mouches à feu, au lendemain de la décision gouvernementale de fermer les cinémas pour 28 jours à compter de ce jeudi, dans l’espoir de « casser la deuxième vague ».
Une décision qui suscite d’emblée la grogne chez les propriétaires de salles.
D’autant plus que ce troisième long-métrage de fiction signé Anaïs Barbeau-Lavalette (Le ring, Inch’Allah) connaît un départ canon, après s’être hissé en tête du box-office au terme de sa première fin de semaine.
J’ai eu la chance de voir le film la veille, à l’instar d’une trentaine de cinéphiles réunis dans la salle 12 du Starcité avant cette nouvelle tombée du rideau.
Verdict: un excellent film, porté par des performances d’acteurs/trices grandioses (Caroline Néron et Kelly Dépeault = juste wow), auquel se greffe une trame sonore magistrale.
Devant un tel constat, on ne peut que se désoler davantage pour ses artisans, qui voient leur film en plein envol se faire brusquement ramener sur terre.
J’ai demandé à quelques principaux intéressés comment ils dealaient avec cette rencontre interrompue avec le public québécois.
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Crédit: Entract films
Le coeur en miettes
Dans l’espoir de lui « préserver une deuxième naissance », le film sera retiré de tous les écrans – peu importe la zone – m’annonce au bout du fil la réalisatrice Anaïs Barbeau-Lavalette, qui encaisse durement cette décision gouvernementale. « On a pas le choix de faire ça puisque 75% de nos salles sont dans des zones rouges, mais ça arrache le coeur », confie-t-elle à chaud, tout juste après avoir appris que le film n’était pas seulement #1 au Québec, mais également au Canada. « Personne ne s’attendait à ça. Les cinémas sont des endroits hypersécurisés, j’y suis allée plusieurs fois. C’est dur de ne pas le recevoir avec une certaine brutalité », constate la cinéaste, relevant le paradoxe de laisser les gyms ou les centres commerciaux ouverts.
Au-delà de sa propre déception, elle se désole surtout pour les jeunes qui se déplaçaient en salle pour voir le film. « Ils ont besoin de se rassembler et je pense que ça leur faisait du bien. Le cinéma permettait de le faire dans un environnement contrôlé », croit Mme Barbeau-Lavalette, ajoutant que plusieurs jeunes allaient au cinéma pour la première fois et lui ont écrit des choses touchantes en lien avec son film.
«C’est quétaine de parler de “nourriture pour l’âme”, mais c’est une crisse de puff d’air aller au cinéma dans le contexte actuel, un baume facile», explique la réalisatrice.
Sans appeler à la dissidence ou vouloir lancer un mouvement, Anaïs Barbeau-Lavalette souhaite que les cinéphiles clament haut et fort leur attachement envers le septième art, mais surtout ce qu’il leur apporte. « C’est quétaine de parler de “nourriture pour l’âme”, mais c’est une crisse de puff d’air aller au cinéma dans le contexte actuel, un baume facile », explique la réalisatrice, qui se désole également pour les nombreux jeunes comédien(ne)s de la distribution, à commencer par Kelly Dépeault, qui incarne avec brio Catherine, le personnage principal. « Elle est vraiment triste. C’était son heure, son moment et ça faisait longtemps qu’elle l’attendait. On a participé à plusieurs Q&A ensemble et les jeunes trippaient de se reconnaître dans ce film», soupire-t-elle.
Anaïs Barbeau-Lavalette refuse néanmoins de lancer des tomates au gouvernement, pas son genre. « Honnêtement, la situation qu’on vit dépasse tout le monde, y compris le gouvernement. Il n’y a rien de machiavélique derrière ça, mais on ne se rend juste pas compte de ce qu’on coupe. Il y a une méconnaissance de l’impact de la culture dans la vie des gens », résume la réalisatrice, qui préfère regarder en avant, sans verser dans l’amertume. « La déesse a été le tournage le plus amoureux, le plus heureux, mais c’est sûr que s’il faut faire le deuil de partager le film avec le public, ce sera dur », réitère-t-elle, espérant que les gens seront au rendez-vous après la deuxième vague.
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Les gens ont besoin de cette soupape
« Honnêtement je ne comprends pas. Et moi dans la vie, quand je ne comprends pas, je back », peste de son côté le comédien Normand d’Amour, qui personnifie le père de Catherine dans le film.
Lorsque je l’ai contacté, le prolifique acteur venait de se fendre un cri du coeur sur Facebook, dans lequel il exprimait son exaspération vis-à-vis « l’illogisme » derrière les décisions du gouvernement en matière de culture.
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Aussi copropriétaire des pubs ludiques Randolph (dont quelques succursales ferment aussi jeudi), le comédien s’explique mal pourquoi les cinémas et les théâtres doivent à nouveau fermer. « Ce ne sont pas des lieux de propagation. C’est très arbitraire comme décision, est-ce qu’il y a anguille sous roche? Veulent-ils nous punir de quelque chose? », s’interroge-t-il à voix haute, ajoutant que le milieu culturel semble présentement laissé à l’abandon. « Elle fait quoi Nathalie Roy? Ils vont où les 400 millions dédiés à la culture? En plus les gens ont besoin de cette soupape », explique Normand d’Amour, qui trouve la situation « épouvantable » pour ses camarades de la Déesse. « Anaïs [Barbeau-Lavalette], c’est un bébé qu’elle a porté des années. Son film est fédérateur. Pourquoi on paye tout le temps pour les innocents?! Je suis tanné de ça », nous dit le comédien, qui conserve malgré tout un bon moral et promet de continuer l’animation de ces populaires quiz pandémiques, qui ont aidé des milliers de gens à tuer le temps lors de la première vague.
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Crédit: Entract films
Un acte de courage
Geneviève Pettersen, l’autrice du roman qui a inspiré le film, ne comprend pas non plus pourquoi le gouvernement pénalise un secteur qui n’a vu naître aucune éclosion. « Même à la première du film, je ne pouvais pas m’asseoir à côté de mon chum pour respecter la distanciation », illustre la romancière et animatrice, d’avis que les autorités tapent présentement sur le mauvais clou. « La problématique, c’était les rassemblements. Je ne pense pas que c’est la bonne industrie à shut down pendant 28 jours pour casser la vague », plaide celle qui aimerait aussi entendre la ministre Nathalie Roy là-dessus.
J’ai tenté sans succès de joindre quelqu’un au ministère de la Culture et des Communications pour réagir à ces critiques.
«Le film a fait 85 000$ en fin de semaine, c’est extrêmement bon dans les circonstances. On a battu Bob l’éponge!», lance à la blague Geneviève
Pour le reste, Geneviève Pettersen déplore cette nouvelle tuile qui s’abat sur le cinéma québécois, une industrie qui en arrache déjà suffisamment sans pandémie. « Le film a fait 85 000$ en fin de semaine, c’est extrêmement bon dans les circonstances. On a battu Bob l’éponge! », lance à la blague Geneviève Pettersen, qui n’avait jamais vu venir la fermeture des salles de cinéma.
Au contraire, elle qualifie « d’acte de courage» l’initiative de présenter un film québécois en salle, à l’heure où s’exprime une prise de conscience collective envers la consommation locale. « Le film attirait plein d’ados en plus, il y avait des files de jeunes avec des skateboards devant le Beaubien paraît », raconte-t-elle, déçue.
Sur une note d’espoir, elle espère que les gens finiront par voir le film, peu importe la manière ou le support. « D’ici là, les gens peuvent profiter de la pause pour le lire », suggère Geneviève, dont le roman connaît un second souffle en marge du battage médiatique entourant le film.
Ironiquement, le premier ministre François Legault fait partie des gens qui ont récemment découvert le roman à succès, ce qui lui a d’ailleurs inspiré un statut élogieux sur sa page Facebook.
« Personnages attachants. Humour noir. J’ai beaucoup aimé », avait résumé le PM.
L’histoire ne dit pas s’il a eu le temps d’aller voir si le film rendait justice au roman avant que son gouvernement ne décide de fermer les salles de cinéma.