Logo
La dernière Bicolline de la souveraineté

La dernière Bicolline de la souveraineté

Faute de budget, Brick & Brack devront malheureusement tirer la plogue sur leur party de la Fête nationale.

Par
Benoît Lelièvre
Publicité

« Le Québécois modèle, il a une p’tite barbe grise, une p’tite tope pis pas beaucoup de cheveux. C’est Pierre Falardeau, mais y est mort. Je suppose que ça compte pas. »

François Ruel-Côté et Sébastien Tessier échangent un bref regard complice avant d’éclater de rire. À quelques jours de leur troisième et ultime spectacle de la Saint-Jean-Baptiste, le duo mieux connu sous le nom de Brick & Brack n’a pas envie d’arrêter ses niaiseries.

Pas du tout, même.

La raison pour laquelle ils tirent la proverbiale plogue sur leur événement pourtant très couru est on ne peut plus plate : les coûts sont trop élevés et les gars n’ont plus les moyens d’offrir des cachets satisfaisants aux artistes.

« Dans le fond, c’t’entrevue-là, c’t’un appel au mécénat. C’est un appel à l’aide », blague à moitié Sébastien Tessier.

Publicité

La Saint-Jean de Brick & Brack est une célébration qui se veut dans l’esprit des festivités d’autrefois. Ambitieux, rassembleur et plus grand que nature, le tout est bien sûr teinté de leur humour absurde et fantaisiste, mais l’ironie et la sincérité s’y côtoient tels des égaux. On rit, on se moque, mais on vit aussi des moments d’émotions véritables. C’est l’ingrédient secret qui donne à ces soirées un caractère si spécial.

Ce n’est donc pas tant une soirée d’humour qu’on perd, mais plutôt une enclave où Brick & Brack construisaient de grandes émotions malgré le manque de moyens.

La Bicolline de la souveraineté

François et Sébastien ne sont pas de la génération ayant vécu le référendum de 1995 (François avait alors 1 an, Sébastien 7). Leur rapport à l’imaginaire souverainiste est donc fragmenté et filtré par les discours des médias.

Malgré tout, depuis 2023, la magie était au rendez-vous, les soirs de Saint-Jean-Baptiste. Selon François, l’absence de compromis est l’un des facteurs ayant contribué au succès des célébrations de Brick & Brack. Fêter la Saint-Jean en leur compagnie et à l’abri des caméras est une expérience qui n’a que très peu en commun avec le rassemblement annuel sur les plaines d’Abraham à Québec.

Publicité

« C’est un peu comme un jeu de rôle. C’est la Bicolline de la souveraineté », explique-t-il avec un sourire en coin.

« À la télé, on ne peut pas parler d’indépendance pendant le spectacle, mais pendant nos Saint-Jean à nous, on fait un référendum pour que la salle devienne un pays. On dit fuck Legault, Fuck Trudeau. Ça fait du bien au monde. »

La foule sait très bien qu’elle assiste à un spectacle d’humour, mais la ferveur du moment (mélangée avec une bonne dose d’alcool) a donné lieu à plusieurs moments forts. Sébastien se souvient encore très bien avoir été derrière le rideau du Club Soda avant leur toute première fête à écouter la foule scander : « Un pays! Un pays! ». Ils ont d’ailleurs reçu beaucoup de témoignages de gens qui leur ont avoué avoir été émus pour vrai.

Publicité

François et Sébastien n’ont jamais considéré ne serait-ce qu’une seconde l’idée de se censurer pour espérer passer à la télévision. En plus d’être contraire à l’esprit de Brick & Brack, les deux hommes ne détestent pas le petit côté interlope de leurs célébrations de la Fête nationale qui fonctionnent beaucoup à l’aide du bouche à oreille. « On revient à Falardeau qui donnait des copies du Temps des bouffons en VHS au monde. C’est une inspiration pour nous », raconte François.

Afin de pallier le manque de fonds, les deux hommes et leur équipe se sont creusé la tête pour trouver des solutions, mais n’ont jusqu’ici rien trouvé qui ne compromettrait pas un aspect essentiel de la fête. « Notre public est beaucoup dans la tranche d’âge 18 à 40 ans. On charge déjà 50 $ et pour les gens entre 18 et 30 ans, il faut le trouver, ce 50 $-là. Je me vois mal demander 75 $ au monde pour continuer », explique Sébastien.

Déménager de l’Olympia vers le Club Soda n’est pas une option, non plus. « La réduflation n’a pas la cote dans le milieu du spectacle. Tu vas offrir un spectacle avec moins de monde sur scène pour le même prix? Les gens vont nous envoyer chier », avance François.

Publicité

Faux poètes, vrais souverainistes

Brick & Brack ont vu le jour en 2013 dans le bar Le Zaricot à Saint-Hyacinthe, mais François et Sébastien ne le savaient pas encore. « C’était une soirée open mic pour amasser des fonds pour un voyage en France. François avait lu un fucking long poème à la Claude Gauvreau avant de le mettre en feu et de le crisser dans une poubelle. Je m’étais dit qu’il fallait faire quelque chose avec ça », se souvient Sébastien.

À l’époque, les deux hommes ne se connaissaient pas vraiment. Tandis que Sébastien était finissant à l’école de théâtre, François, lui, en était à sa première année. Ils se sont à peine croisés, le temps de quelques matchs d’impro, avant de finalement se retrouver à Montréal en 2015 où leurs personnages ont pu prendre vie, encore une fois grâce à l’impro. Depuis, le duo évalue avoir participé à près de mille rencontres.

Un détail à propos de Brick & Brack qui rend leurs personnages infiniment plus magiques lorsqu’on discute avec François et Sébastien ne serait-ce que quelques minutes : non seulement ils partagent un véritable intérêt pour l’histoire contemporaine du Québec, mais les incarner aura nourri cette passion pour nos racines collectives.

« Ce que j’aime, à propos de l’histoire du Québec, c’est qu’elle nous appartient. On a tous les mêmes référents. Peut-être pas en profondeur, mais tout le monde sait plus ou moins c’est qui, Jacques Parizeau, par exemple. C’est comme si on avait tous regardé la même série. C’est un terreau super fertile pour nous », précise François.

Publicité

François et Sébastien sont donc souverainistes, mais, contrairement à leurs personnages, ils sont aussi très lucides par rapport à cet éternel projet de société. « Les adversaires de la souveraineté ont toujours eu une immense arme politique en leur faveur : la peur de l’inconnu. C’est un affrontement entre David et Goliath et depuis trop longtemps, on est cantés dans le rôle de David », ajoute l’interprète de Brick.

Mais qu’arriverait-il de Brick & Brack si le Québec devenait enfin souverain? Pas grand-chose, selon les principaux intéressés. « On va probablement se mettre à chialer sur ledit pays et proposer d’en faire un autre », lance spontanément Sébastien.

Ni la fin de leur Saint-Jean, ni les méchants fédéralistes, ni même une éventuelle souveraineté ne sauraient venir à bout du duo. Ils ne seront peut-être plus sur scène, mais ils seront encore sur vos écrans et dans vos oreilles, un peu comme Charlebois en 1975 parce qu’ils sont indissociables de leurs interprètes.

Publicité